Grand entretien
Arnaud Rousseau élu président de la FNSEA: sa feuille de route

Actuel président de la Fop et du groupe Avril, Arnaud Rousseau a été élu, le 13 avril, président de la FNSEA. Cet agriculteur de Seine-et-Marne est à la tête, avec sa femme, d’une exploitation de grandes cultures de 700 hectares et quatre salariés. Arnaud Rousseau présente également sa feuille de route pour la FNSEA. Il souhaite élargir l’implication des élus de la FNSEA et améliorer leur formation. En externe, il plaide pour une stratégie « offensive », orientée vers la « souveraineté alimentaire », la « compétitivité », le « renouvellement des générations » et la recherche d’un « accord avec la société ».

Vous avez fait, ces dernières semaines, un tour des fédérations de votre syndicat. Quels enseignements en tirez-vous ?
Arnaud Rousseau : Au fil de la vingtaine de déplacements déjà réalisés, j’ai pu mesurer la très grande pluralité des situations à travers les territoires. On nous parle souvent du modèle agricole : cela n’a pas de sens, tant les agricultures sont diversifiées et les modèles multiples. Ce constat est en phase avec ceux posés dans notre dernier rapport d’orientation : il propose d’ouvrir les bras à la pluralité des profils, qu’ils soient issus ou non du monde agricole, comme cela sera majoritairement le cas demain

Ces déplacements m’ont aussi permis de me présenter : il y a encore beaucoup d’élus que je ne connaissais pas. Cela m’a permis d’être évalué, d’être questionné et de questionner pour entendre les attentes, les problématiques, les incompréhensions des agriculteurs. Je constate qu’il y a à la fois une forme de fatigue morale, mais aussi un consensus sur la volonté de porter et boucler des projets qui ont du sens. Je retiens, enfin, le vrai questionnement des éleveurs sur leur avenir.

Dans un courrier envoyé fin d’année dernière, vous aviez annoncé que vous portiez des changements de gouvernance au sein de la FNSEA. Pouvez-vous préciser ?
A.R. : Avec les moyens qui sont les nôtres, nous allons devoir être plus efficaces. Il va falloir réfléchir à un changement de modèle, pour passer d’un fonctionnement pyramidal à quelque chose de plus transversal ou en étoile. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur des compétences solides au sein du réseau, parmi les élus comme parmi les collaborateurs : réfléchissons à une organisation permettant aux expertises d’être mutualisées autant que possible. Par exemple, appuyons-nous sur l’expertise en matière de prédation déjà présente dans les Alpes.

Je suis ainsi favorable au renforcement du binôme collaborateur/élu. Je souhaite que chacun des 69 membres du conseil d’administration participe au déploiement d’un dossier. Cela permettra de faire émerger des talents, chez les hommes comme chez les femmes. Je veux aussi travailler sur la formation des élus, car j’entrevois des pistes d’amélioration. Je veux discuter de tout cela avec les élus : je ferai des propositions en ce sens, et c’est le conseil d’administration qui arbitrera et orientera.

Quels seront vos dossiers prioritaires ?
A.R : Il y a d’une part ce qui relève de la stratégie, à moyen et long terme, que nous devons préparer ensemble. Premier sujet : comment porter la souveraineté alimentaire française, avec son corollaire qui est la compétitivité de l’agriculture française et des revenus équitables pour les agriculteurs. Pour approvisionner des marchés locaux ou internationaux, il faut que les agriculteurs gagnent leur vie. Le deuxième sujet, c’est le renouvellement des générations, à un moment où nous allons avoir de nombreux départs en retraite.

Le troisième dossier vise à rétablir un accord avec la société, basé sur certains constats que nous devons tous partager. Il s’agit notamment de déterminer comment vendre nos produits à un prix juste tout en répondant aux attentes des consommateurs en termes de naturalité et de proximité, ainsi que de leur faire comprendre que cela a un coût. Nous devons également réfléchir à la transmission des exploitations agricoles et à la nécessité de continuer à investir, ainsi qu’à la manière de faire vivre les territoires ruraux. Ces défis nécessitent une réflexion approfondie et une remise en question de nos pratiques actuelles.

Et quels sont vos premiers dossiers chauds ?
A.R. : C’est toute la difficulté à la FNSEA : comment gérer l’urgence du quotidien, et continuer à garder le regard sur l’horizon pour ne pas perdre notre ligne. Ce qu’il faut régler maintenant, c’est d’abord la question de l’eau, son stockage et son utilisation. Non pas pour la préempter ou la confisquer, mais pour produire notre alimentation, en s’adaptant à des périodes de pluies plus erratiques, en collant aux réalités des territoires. Le projet de réserves de Poitou-Charente correspond à une réalité et à un potentiel local, en aucun cas il ne constitue un modèle duplicable dans l’ensemble des régions.

Il y a aussi la question des produits phytosanitaires. Comment on fait pour ne pas se retrouver en situation d’impasse technique, tout en diminuant l’usage de produits qui posent question. Citons aussi quelques sujets bruxellois, dont le premier est la norme IED, qui voudrait imposer à l’élevage les règles en vigueur pour encadrer les émissions des grandes entreprises industrielles ! Notre position est la suivante : sortons de cette norme l’élevage français, qui n’est pas industriel. Il faut simplement aller voir ce qu’il se passe en Chine ou en Russie pour s’en rendre compte.

Présidence d'Avril

Allez-vous garder votre casquette de président d’Avril ? Comment concilier ces deux postes ?
Oui, j’ai l’intention de conserver les deux postes. D’abord parce qu’il y a un lien consubstantiel entre le syndicalisme et Avril. Pour être président de ce groupe, il faut être administrateur de la Fop, qui est elle-même une association spécialisée de la FNSEA. Personne ne peut être agriculteur engagé dans un poste à responsabilité chez Avril s’il n’est pas administrateur de la Fop et donc s’il n’est pas adhérent de la FNSEA. Et il se trouve que les administrateurs de la Fop ne sont pas cooptés, mais proposés par les présidents de FRSEA sur consultation des FDSEA.

Or, nous portons, dans cette maison, depuis plusieurs années, un syndicalisme à vocation économique. Et j’ai l’habitude de dire qu’Avril est une forme aboutie du syndicalisme. Je rappelle également que la FNSEA nomme, de manière très régulière, ses administrateurs pour prendre en charge toutes sortes de mandats et responsabilités, comme par exemple à l’Office français de la biodiversité ou à l’Inrae. Nous avons ainsi une liste de 150 représentations. Et cela ne choque personne.

Ce qui pose question, et je le comprends, c’est la taille de l’entreprise. Je précise que je suis président non exécutif. Autrement dit, je ne gère pas au quotidien le travail des 7 500 salariés. Ma mission, c’est de conduire aux destinées, choisir la stratégie d’un groupe.

J’ai entendu parler de conflits d’intérêts, mais personnellement, je ne vois pas en quoi cela pose un problème. Je défends toujours les mêmes intérêts, que ce soit dans mon département ou à l’échelle nationale, en pratiquant un syndicalisme économique au sein d’Avril. De plus, je tiens à souligner que le groupe produit à la fois de l’huile et des tourteaux, ce qui l’implique dans les filières végétales et animales.

Il n’en reste pas moins qu’Avril, ce n’est pas l’élevage herbager par exemple. Comment éviter la montée des dissensions entre élevage et cultures, que l’on sent croître d’année en année (alternatives végétales à la viande, biogaz, Pac…) ?
La FNSEA a depuis sa création une culture forte du consensus. Elle s’est construite sur le Serment de l’unité paysanne, qui a 77 ans et est pourtant toujours actuel. L’idée que tout le monde a une place et se sent représenté, c’est un principe fondateur à la FNSEA. Il n’est donc pas concevable que, parmi les six ou sept agriculteurs les plus engagés, du haut du bureau, il n’y ait pas une représentation équilibrée des productions et des territoires.

Je connais ce petit jeu bien rodé d’opposition entre éleveurs et céréaliers, mais il y a en fait une notion forte de complémentarité. Par exemple, le Massif central a la particularité de ne pas engraisser ses animaux : cela tombe bien, car pour faire finir un broutard, il faut souvent de la production végétale, sous diverses formes. L’élevage lui-même est pluriel : élevages porcin, avicole, allaitant et laitier, qui peuvent s’exercer selon des modes différents selon les régions.

Sur tous les sujets qui hystérisent, tendent les débats, y compris, parfois, en interne, je veillerai à ce que nous gardions la vision la plus pédagogique possible. S’il y a des tiraillements, ou des désaccords, ils seront abordés en conseil d’administration, dans lequel je n’ai qu’une voix sur 69. Tout le monde le sait dans notre maison : la FNSEA est puissante parce qu’elle pratique cet art du consensus.

Défensive ou offensive ?

Portez-vous une vision différente de votre prédécesseur ? Ces dernières années, le contexte politique aidant, la FNSEA semblait avoir opéré un virage sur les questions de commerce international, vers plus de protection. L’endossez-vous ?
La FNSEA doit être à l’offensive. Soit on considère que l’alimentation est une commodité et l’agriculture une simple variable d’ajustement, et dans ce cas nous pourrons aller chercher cette commodité ailleurs dans le monde, comme nous l’avons fait avec la sidérurgie ou le textile. Mais ce n’est pas ce que j’entends du consommateur et de la plupart de ceux qui s’expriment sur le sujet.

À l’opposé de cette vision, nous affirmons que l’agriculture française est en pointe sur la durabilité. La FNSEA ne préconise pas de vivre en vase clos – la souveraineté n’est pas l’autarcie ni l’autonomie totale –, mais d’exiger de la réciprocité, des clauses miroir dans les contrats et réglementations internationaux. Si on interdit l’usage d’une molécule en France, cela n’a pas de sens d’importer un produit venant d’ailleurs et cultivé ou élevé grâce à cette molécule

Nous faisons aujourd’hui encore le constat que l’agriculture est souvent une variable de négociation. Puisque nous avons des attentes élevées en Europe, cessons de sacrifier les agriculteurs européens. La FNSEA n’a pas fait volte-face à ce sujet. Elle dit que préserver la souveraineté alimentaire en France et en Europe, c’est essentiel ! On a vu que, dès que la situation se tend avec la Russie, par exemple, les marchés alimentaires entrent en crise. Il faut produire, durablement. Nous avons des responsabilités vis-à-vis de certains pays.


Sur l’eau, qu’attendez-vous des pouvoirs publics ? Vous semblez plutôt sur la défensive désormais...
Il faut arrêter de voir la FNSEA sur la défensive ; cela sert l’intérêt général demain de pouvoir utiliser de l’eau en agriculture pour fabriquer notre alimentation. Si nous cessons de produire, nous allons au-devant d’importations massives ou de problèmes de pénurie. J’ai vu des gens se battre en France pour des bouteilles d’huile de tournesol à 4 euros…

Sur l’eau, le cadre réglementaire est posé, la volonté politique a été tracée dans le cadre du Varenne de l’eau et du changement climatique. Il y a des régions en France où des projets de stockage s’élaborent, sans que cela fasse de bruit. On a un seul problème, c’est l’hystérisation du débat, avec des gens qui veulent monter le sujet en épingle. Leur combat, ce n’est pas tant l’eau qu’une vision décroissante du secteur agricole et de l’économie.

Sur la crise de la bio, on a l’impression que vous êtes un peu frileux à demander des aides au gouvernement, notamment sous le volet de relance de la consommation...
Le premier syndicat d’agriculteurs bio en nombre d’adhérents, c’est la FNSEA ! Et nous ne considérons pas cette crise avec détachement. Il faut être précis. Nous avons régulièrement émis des alarmes sur la décorrélation entre une vision politique de la nécessité de produire en bio et la réalité de marché. Ce qui nous rattrape, à notre grand regret, c’est bien le fait qu’un certain nombre de marchés sont saturés : la pomme, les œufs, le lait. Sans compter que les questions de pouvoir d’achat ont, de surcroît, détourné les consommateurs.

La FNSEA a plusieurs objectifs : d’abord sauver les producteurs bio, car nous voulons continuer à produire en France. Les 10 millions proposés ne sont donc pas à la hauteur de l’enjeu. Il faut aussi arrêter de fixer des objectifs de conversion décorrélés du marché : la décision politique consistant à fixer un objectif de 18 % d’agriculteurs en bio ne tient pas face à la réalité des débouchés. Cela est d’autant plus vrai dans un contexte de crises et d’inflation. Par exemple, je suis maire de ma petite commune, et fais face tous les jours à cette situation contradictoire : comment faire pour m’approvisionner en produits bio, plus chers que les produits conventionnels, alors qu’il est impossible de demander plus aux parents pour payer la cantine ? C’est bien le consommateur et le consentement à payer qui font l’équilibre de ce marché. Je préconise une approche pragmatique et réaliste.