Alimentation animale
Le retour très controversé des protéines animales transformées

Sous couvert de coller aux nouveaux objectifs agricoles et environnementaux qu’elle s’est fixée pour 2030, l’Union européenne s’apprête à autoriser les protéines animales transformées : les PAT. Un mot bien pudique qui cache ce qu’il est désormais interdit d’appeler "farines animales" et qui ont créé de retentissants scandales agricoles et alimentaires entre 1996 et 2000.

Le retour très controversé des protéines animales transformées
Pourquoi une telle prise de position qui risque de crisper autant les producteurs, les industries agroalimentaires que les consommateurs ? 

Le 14 avril dernier le Standing committee on plants, animals, food and feed (Scopaff - en français Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale) a adopté une proposition visant à ré-autoriser l’utilisation des PAT pour l’alimentation de certaines espèces. Il s’agit ni plus ni moins qu’un feu vert de la Commission européenne à la nourriture des volailles et des porcs avec des résidus de viande provenant de non-ruminants et d’insectes.

Un enfer pavé de bonnes intentions

Cette initiative est présentée sous son meilleur jour. À l’heure du Green Deal, il ne s’agit pas, c’est évident, de se lancer dans une vision productiviste de l’agroalimentaire, ni de "forcer" la nature. Au contraire, l’introduction des PAT procède d’une approche vertueuse. Recycler et valoriser les déchets issus de l’élevage et des sociétés d’équarrissage qui, non seulement concourrait au cycle de la vie, à la vie économique et sociale mais aussi au développement de certains territoires ruraux. La Commission européenne estime que la réintroduction des « farines animales » est compatible avec sa stratégie « de la ferme à la table ». Ce retour des PAT permettrait, selon elle, de « mieux utiliser les protéines et autres matières premières pour l’alimentation animale ». L’Europe apporte aussi la garantie de contrôles plus stricts et l’application de meilleures méthodes d’analyse des aliments pour animaux : « afin d’éviter tout risque et de contribuer à la vérification de l’absence de contamination croisée avec des protéines de ruminants interdites et de recyclage intraspécifique », précise la Commission. Autrement dit, juré, craché, le « cannibalisme » sera banni. De plus, l’apport des PAT aux ruminants restera interdit. Voilà de quoi rassurer un consommateur qui aura en plus l’impression de faire un geste pour la planète, puisqu’il contribuera à réduire la dépendance de l’Europe à l’égard des protéines notamment végétales importées de pays tiers (Brésil notamment) et qui sont accusées de favoriser la déforestation.

ESB : le retour ?

Ce que le consommateur sait moins c’est que l’initiative de la Commission était envisagée depuis quelques années déjà, mais qu’elle n’avait jamais complètement abouti. Progressivement, l’instance bruxelloise avait fait pression pour réintroduire ces "farines animales" et la France, initialement opposée, avait été contrainte, en 2013, de céder en permettant l’utilisation de farines de volailles ou de porc pour nourrir les poissons d’élevage et en 2017 pour les farines issues d’insectes.

Il se souvient en revanche des nombreux scandales alimentaires qui ont rythmé les trois dernières décennies : viande aux hormones, lasagnes avec de la viande de cheval, et bien sûr le scandale de la vache folle en deux vagues successives : celle de 1996 qui avait touché le Royaume-Uni puis celle de 2000 qui s’était immiscée en France. Ces deux crises ont durablement traumatisé les consommateurs européens. Ils n’ont pas oublié que ce sont ces farines animales qui ont été à l’origine des prions, éléments déclencheurs de l’ESB chez les bovins et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l’humain. Le consommateur est devenu à la fois plus méfiant et plus exigeant sur la composition des produits bruts ou transformés qu’il achète. La multiplication des labels, des QR codes et des blockchains permettant de retracer la composition de plats préparés en témoigne. Cependant, ces nouvelles technologies ne sont pas infaillibles. Les consommateurs, quand ils auront compris ce qui est en jeu, vont légitimement s’interroger sur les garanties que toute la chaîne de valeur pourra apporter quant à l’innocuité de ces farines. A fortiori puisque des cas d’ESB ont réapparu ces derniers mois, dont deux en Espagne : un en janvier 2021, dans un élevage de 353 bovins à Viniegra de Arriba ; et un autre en mars 2021, à Jerez de los Caballeros près de Séville, entraînant l’abattage de huit animaux.

Toujours plus, mais certainement pas toujours mieux ! 

Dans cette logique, la création d’une filière ad hoc risque de créer un appel d’air productiviste, au plan européen voire mondial, sur fond d’élevages intensifs, avec les effluents et rejets associés. Alors que la logique d’ensemble du Green Deal est de maîtriser les productions agricoles de toutes sortes, et leur impact sur l’environnement, la production de viande de porc et de volaille, pour nourrir volailles et porcs, viendrait multiplier la production, et les nuisances associées.  Pour garantir l’innocuité de ces PAT, les États et les filières devront nécessairement s’accorder à certifier l’étanchéité des lignes de production, par la mise en place d’installations nouvelles, de contrôles renforcés, de processus de traçages supplémentaire, de la ferme à l’assiette. Par quelles techniques et à quel coût ? Par qui sera-t-il supporté ? Par les consommateurs finaux, qui du coup trouveront une raison supplémentaire de ne pas se tourner vers ces produits ? Par la grande distribution ? Ce serait une première… Bien plus sûrement par des agriculteurs français dont le tiers ne gagne pas 350 euros par mois et qui passent déjà beaucoup trop de temps dans les servitudes administratives ? 

Les agriculteurs Français ont conscience qu’ils ont beaucoup à perdre surtout après les périodes de confinement qui leur ont permis, grâce aux circuits courts et aux ventes directes à la ferme, de retisser des liens de confiance avec le consommateur. Réintroduire les PAT ruinerait les efforts engagés.