Conseil de l’Agriculture de Saône-et-Loire
Cohérences et incohérences des programmes des partis et candidats aux législatives

Cédric MICHELIN
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Le 1er juin à Blanzy, les organisations professionnelles membres du Conseil de l’Agriculture de Saône-et-Loire ont interrogé les candidats se présentant aux élections législatives dans notre département. Après les questions (lire notre précédente édition), les réponses des partis Reconquête, Les Républicains, Nupes, Rassemblement national et Ensemble. Le Manifeste pour une ruralité vivante leur a été remis.

Cohérences et incohérences des programmes des partis et candidats aux législatives
Reconquête

Reconquête

Dans son propos introductif, le candidat Reconquête de la 4e circonscription de Saône-et-Loire, Jean Raffa, rappelait d’emblée « la puissance agricole française » et le « désir de vivre en zone rurale » en France. Son programme découle « d’une science qui ne se trompe jamais : la démographie ». Pour les métiers en tension, Jean Raffa veut « inciter les Français à revenir en zone rurale pour pallier le problème de main-d’œuvre et pour développer les circuits courts ». Dès lors, entreprises, écoles, soins… « en découleront ». Pour enclencher le mouvement, il veut que « l’État engage plus de dotations pour le rural et avec des incitations fiscales fortes et différenciées, attractives pour les ménages et les entreprises » s’implantant en zone rurale. Voulant « rompre avec l’esprit jacobin d’une technostructure centralisatrice », Jean Raffa compte « faire confiance aux corps intermédiaires, aux populations et aux associations populaires ». Le tout se faisant alors dans un « grand plan de la ruralité ». Pour accueillir ses nouveaux habitants, il veut comme chez lui à Plottes, « concentrer dans le bourg et réhabiliter les maisons pour garder les terres arables ».
Sur les énergies renouvelables, le photovoltaïque « cousu main » lui paraît une « bonne solution » mais pas les éoliennes. Il préfère le nucléaire.
S’il ne nie pas les difficultés économiques agricoles, « la réalité est contrastée en France entre un céréalier de la Beauce et ici ». Dans tous les cas, « tous les dispositifs de subvention sont souhaitables en agriculture mais cela doit être accompagné d’allègement des charges ». Il se dit prêt en cela à être « discriminant » envers les villes, voulant voir « migrer des populations », notamment de « jeunes urbains technophiles » pouvant télétravailler dans les zones rurales « où le coût de la vie doit être un avantage plutôt qu’un inconvénient ». Son combat sera contre « le problème de fond des métiers à basse rémunération » se disant choqué du nombre « de travailleurs pauvres », surtout en période d’inflation. Tout sera une « question de dosage, repenser le système dans le bon sens d’aider les gens en difficulté » et non, « ceux qui n’ont pas d’intérêt à travailler car ils ont des aides ». Sans cela, « vous ne trouverez pas de bras et il vous faudra procéder à une migration étrangère ». Une partie du « problème » viendrait également de l’éducation, Jean Raffa étant pour une présentation des métiers agricoles dès le collège pour « rentrer dans le monde du travail très tôt ».

Les Républicains

Les Républicains

Pour la 3e circonscription, Charles Landre veut lier agriculture et ruralité. En urgence, il souhaite traiter ces deux sujets pour « défendre le monde rural, repenser l’État sur la filière agricole et la souveraineté alimentaire, inscrire l’agriculture dans les évolutions environnementales, sanitaires, rurales et des services publics ». Pour mettre fin à l’agribashing, « il faut un discours valorisant les pratiques agricoles : traçabilité, harmoniser l’étiquetage, clauses miroirs pour que les produits importés soient les mêmes que les normes imposées en France… ». Plaçant l’agriculture « au cœur du modèle français », le sujet du renouvellement des générations serait pris « à bras-le-corps à Paris » afin d’offrir « partout autour des centres bourgs, le pack essentiel » de services publics, avec un ministère de la Ruralité. Pour lui, la limite d’un minimum de 15.000 habitants pour une Com’com doit « sauter ».
Sur les questions d’environnement, Charles Landre se contente de « faire confiance aux agriculteurs », comme sur les énergies renouvelables ou les « mesures d’exceptions pour protéger vos troupeaux », face aux loups notamment. Il veut également « lutter contre la prédation foncière, y compris étrangère » pour préserver la souveraineté alimentaire du pays.
Sur la loi ÉGAlim, Charles Landre y voit « un premier pas » afin d’arrêter d’être « la seule profession qui est contrainte de vendre sous ses coûts de production », appelant l’État à « prendre de nouvelles responsabilités » en la matière, à l’image du prix unique des livres et sa TVA réduite (5,5 %). Les retraités agricoles devraient avoir « garanti un niveau Smic ». Côté formation, l’apprentissage et l’éducation doivent préparer aux « transitions ».
Son collègue de la 1ère circonscription, Christophe Juvanon, a des doutes sur la compensation « à l’euro près » au budget des EPCI et communes rurales sans les trois impôts (foncier, habitation, aménagement). Il préfère les Scot, PLU et PLUI pour éviter toute artificialisation de terres agricoles. Il s’inquiète néanmoins de voir dans le Mâconnais « moins d’éleveurs. Que mettre dans les prés ? », parlant alors de méthanisation ou de photovoltaïque « surtout en autoconsommation ou pour entretenir le réseau » électrique local.
Suppléant de Gilles Platret (5e circonscription), Lionel Duparay plaidait pour « un patrimoine moins imposé » avec des exonérations de droit de succession. Il plaidait également pour moins de normes qui sont autant de « concurrences déloyales » face aux pays tiers. Enfin, les « achats des collectivités doivent respecter ÉGAlim », lui étant pour des « cuisines centrales et des plans alimentaires territoriaux qui éduquent les jeunes, parlent des métiers agricoles et rémunèrent les agriculteurs ».

Nupes

Nupes

Candidat dans la 3e circonscription, Richard Beninger aime le mot « paysan qui a gardé tout son sens » mais s’inquiète de voir partir « la moitié en retraites » dans les prochaines années. « Devant l’ampleur de ce problème, les solutions doivent être de même ampleur », regrettant « cinq ans de politique non mise en œuvre face aux défis urgents ». Se disant sensible à la souveraineté alimentaire, néanmoins « réelle dans notre pays », cet ancien membre d’une association de lutte contre la pauvreté alerte toujours sur les « huit millions de Français qui ont recours à l’aide alimentaire ». Inquiétude valant aussi pour « un paysan sur cinq vivant sous le seuil de pauvreté et même, un sur trois en élevage bovin », dont « l’éthique même du métier est de nourrir ». À cela, se rajoutent « l’enjeu climatique » dans une « situation irréversible » et « l’effrayante question sociale d’un paysan se suicidant par jour » en France. Pour lui, « il faut complètement repenser le modèle agro-industriel ».
Son collègue de la 1ère circonscription, Patrick Monin parle de « flexisécurité » pour tous afin de « sécuriser les parcours de vie », permettant de changer de métier. Il plaide également pour des « contrats de solidarité territoriaux » pour qu’après des études, le diplômé ait l’obligation d’exercer de deux à dix ans en milieu rural. Même encadrement « contre l’artificialisation » avec une grande loi foncière et un plan « Marshall pour une véritable mutation agroécologique », voyant la fin des phytos CMR et traitements préventifs. Les énergies renouvelables doivent être installées « dans les milliers d’hectares non utilisés en villes » pour « vous laisser plus d’espace pour travailler ».
Pour améliorer la rémunération des « paysans », Patrick Monin est « favorable à des prix planchers ne permettant pas de vendre en dessous du prix de production ». Les produits étrangers utilisant « des pesticides interdits doivent être taxés ». Pour garantir le pouvoir d’achat des Français, Richard Beninger votera pour des aides sur « l’énergie et produits de premières nécessités comme cinq fruits et légumes ». Sans être « pour ou contre la bio, les pesticides, l’Europe… », il veut « prendre sur les marges des intermédiaires » et veut une Pac « efficace » sur le climat, l’alimentaire et les « emplois massifs à créer ». Et ce, en « diminuant d’un tiers la lourdeur administrative », selon Patrick Monin, avec un « choc de simplification ».

Rassemblement national

Rassemblement national

Éleveuse d’ovins et candidate dans la 4e circonscription, Valérie Deloge souhaite mettre en place « une agriculture de bon sens avec les circuits courts et le localisme afin de garantir aux paysans, des prix respectueux et mettre un terme aux marges abusives » dans les filières. En « généralisant » l’étiquetage des produits alimentaires, elle entend « couper les importations déloyales ». Sentant « la colère monter du monde paysan », Valérie Deloge estime « impératif de protéger la nature avant de nourrir les populations », critiquant « le dogme du libre-échange européen » et la « frénésie de sa politique de la Ferme à la fourchette ». Pour elle, la crise sanitaire Covid a mis en avant « notre grande idée de la souveraineté ». « Rien n’est perdu, ce n’est qu’une question de volonté et de priorité dans nos actes ».
Étant pour l’arrêt « drastique » de toute artificialisation des terres agricoles, elle veut utiliser les friches industrielles pour construire. Le photovoltaïque sera uniquement sur toiture et l’éolien sera arrêté.
Son collègue dans la 2e circonscription, Olivier Damien veut remédier à « l’injustice profonde des agriculteurs mal payés qui participent à l’excédent commercial » de la France, et pour cela, il veut des accords de filière et un « protectionnisme d’État », mais sans « surréglementation ». Sur le bien-être animal par exemple, Valérie Deloge est « pour » avec d’autres « méthodes » : « pas d’animaux tués sans étourdissement ; des normes d’espaces pour élevage en plein air, plutôt qu’en claustration, utile néanmoins pour nourrir des millions de gens… ». Pour elle, « l’agriculture est une passion et on doit donner envie de ces métiers magnifiques dès le collège », via l’apprentissage.
Olivier Damien veut redonner de l’attractivité aux territoires et métiers « qui souffrent », avec des technologies modernes notamment, passant par un équilibre « un euro en milieu urbain, un euro en milieu rural ». Cet argent ne viendrait plus de Bruxelles « contraignant la nation par des directives » puisque la France « reprendrait la main dessus ». Valérie Deloge veut même arrêter toutes « perfusions des subventions pour être plus libre de ses choix » mais en ouvrant la possibilité de « renégocier plusieurs fois par an avec la grande distribution ou avec son assureur ».
Olivier Damien souhaite que les « séniors puissent accompagner les jeunes et leur redonner le goût au travail » et « réindustrialiser les territoires ruraux de manière à ramener emplois, transports, médecins, écoles, services… », les « néoruraux aspirant à la qualité de nos campagnes » depuis la crise Covid.

Ensemble

Ensemble

Candidat à sa réélection sur la 3e circonscription, Rémy Rebeyrotte parlait d’emblée des lois agricoles qui seront « amplifiées encore sur le renouvellement de la profession », se fixant pour objectif « 20.000 agriculteurs supplémentaires » chaque année en France.
Bien que reconnaissant que les « intérêts des pays européens sont parfois contradictoires », il défendait le travail effectué sur la Pac, « politique à la hauteur des enjeux qui rendrait sinon plus dure la concurrence mondiale ». Sur la réforme assurantielle à venir, les calamités octroyées après le gel 2021 ou les 400 millions d’€ ce printemps sont une « amorce » de ce qu’elle préfigurera. Sur ÉGAlim 1 et 2, le bilan de la contractualisation « n’est pas parfait, ni simple », reconnaissait-il, envisageant déjà ÉGAlim 3 « s’il faut aller plus loin et équilibrer les dures négociations » commerciales. Néanmoins, « il faudra tenir la ficelle par les deux bouts » pour maintenir le pouvoir d’achat des Français, avec une économie qu’il craint au bord de la stagflation, une forte inflation des prix avec une faible croissance économique. Il croit donc toujours dans « les circuits courts avec une stratégie globale cadrée par l’État. À vous de vous en emparer », notamment en communiquant sur la réalité de la profession.
Si les lois, Sempastous (foncier, parts sociétés…) et Girardin (transmission, fiscalité…), agiront sur le « long terme », pour Benjamin Dirx, candidat à sa réélection (1ère circonscription), il « faut aider la reprise avec la création d’un fonds agricole et aller plus loin sur les droits de succession, jusqu’à 150.000 € pour son enfant, jusqu’à 100.000 € pour la famille proche ou sur une exonération à 75 % des baux ruraux jusqu’à 300.000 € », sans remettre en question le Pacte Dutreil.
Pour Laurence Gauthier (2e circonscription) et son suppléant, Jacky Comte, la « nouvelle étape de la transition agroécologique » tend vers le « zéro carbone » net, « soutenu par le gouvernement ». Conscient que « quelques propriétaires rêvent d’argent en vendant des hectares à des vendeurs de panneaux photovoltaïques », Jacky Comte veut « cadrer les choses » sur l’agrivoltaïsme aussi. Autres sources de valeur ajoutée, les circuits courts et les produits Bio seront favorisés, annonçait Marie-Claude Jarrot, suppléante sur la 5e circonscription, qui compte s’appuyer sur les 800 établissements de formations agricoles « pour donner envie de redevenir paysan », et ce de la classe de 4e au doctorat. Pas de solution facile sur les métiers en tension, « vos métiers sont chronophages donc l’organisation collective est indispensable », promettant de simplifier les démarches administratives partout.

Zuckerberg et Gates n’ont qu’à bien se tenir !

Zuckerberg et Gates n’ont qu’à bien se tenir !

C’est avec émotion et force qu’Étienne Signoret a demandé puis pris la parole devant les candidats réunis à Blanzy. Son intervention était un témoignage de la réalité d’un jeune installé en milieu agricole. Viticole pour être plus exact à Clessé.
D’abord, il rappelait que ses parents qui lui ont transmis le domaine touchent « un Smic pour quarante ans de travail ». « Se considérant comme privilégié » car ses parents attentionnés ont renoncé à une « part de leurs rentes », au vu des prix du foncier, cette reprise n’a pas été simple pour « reprendre le stock de vins », l’obligeant à emprunter et payer des impôts dessus. Sa DJA de 32.000 € a servi à remettre aux normes l’exploitation et au final, « tout est reparti dans le système qui fait manger beaucoup de monde bien établi » autour de la viticulture et ses territoires. En amont et aval de lui, « un agriculteur fait vivre six personnes. Nous sommes les Bill Gates ou Zuckerberg » de la ruralité et pourtant, il constate et déplorait voir et venir « de ce monde qui meurt sans rien dire », s’en faisait-il le porte-parole un instant. « Concrètement, qu’allez-vous faire pour favoriser les installations ? Par une fuite en avant ? Ce monde rural en déclin est-il voué à disparaître ? », avait-il à cœur de réveiller les consciences politiques, pas que le temps d’une élection. « J’ai au moins une satisfaction, je fais ce métier qui me plaît », concluait-il néanmoins en guise de pied de nez au silence des candidats.