Académie d'Agriculture de France
Tenir une comptabilité socio-environnementale s’imposera tôt ou tard

Dans un rapport commun, le cercle de réflexion Agridées et l’Académie de l’agriculture conseillent au secteur agricole de s’intéresser davantage à l’élaboration des normes de comptabilité environnementale (CSE), actuellement en construction, pour y faire valoir ses spécificités. L’objectif recherché : en faire un outil d’accompagnement des transitions.

Tenir une comptabilité socio-environnementale s’imposera tôt ou tard

« Il faut que le monde agricole s’implique dans le processus de normalisation de la comptabilité socio-environnementale », a plaidé Francky Duchâteau, lors de la présentation, le 24 mai, de son rapport pour le cercle de réflexion Agridée, réalisé en partenariat avec l’Académie de l’agriculture. « Aujourd'hui, nous sommes souvent à l’écart de ces grands lobbyings ». Le thème est d’autant plus intéressant qu’il est « encore en construction », a abondé l’agro-économiste de l’Académie de l’agriculture, Jean-Marie Séroni, qui a participé aux travaux. Il a toutefois le défaut d’être encore « très flou ».

Par comptabilité environnementale, Francky Duchâteau entend un ensemble de méthodes de calcul des effets d’une activité sur son environnement (biodiversité, ressources, climat, etc.). Cela inclut des méthodes aujourd’hui disparates telles que l’Analyse de cycle de vie (ACV), la déclaration de performance extra-financière (DPEF) ou la méthode Care (Comprehensive accounting in respect of ecology). Peu à peu imposées par la loi, ces normes seraient l’objet de « controverses » importantes et de « combats politiques » intenses, jusqu’à une échelle internationale, entre les États-Unis, la Chine, et l’Union européenne.

Intégrer les spécificités agricoles

Faut-il par exemple intégrer les seuls effets de l’environnement sur les entreprises, ou aussi celles des entreprises sur l’environnement ? Les États-Unis penchent pour la première option, quand l’UE préfèrerait la seconde, rapporte Francky Duchâteau. Le débat s’inscrirait d’ailleurs dans le champ plus large des normes de comptabilité : « l’UE a cédé depuis une vingtaine d’années sa souveraineté comptable aux normes internationales, relate l’expert en Entreprises durables d’Agridées. Elle se dit qu’elle doit reprendre la main ». L’environnement serait une occasion de le faire, d’autant que certains imaginent plus tard une intégration des comptabilités financières et extra-financières.

Pour que le secteur agricole pèse davantage sur l’élaboration de ces normes, les auteurs lui recommandent notamment de s’impliquer auprès des structures travaillant sur la comptabilité financière (ex. autorité de normalisation comptable, groupe européen consultatif sur l’information financière). « Il faut intégrer les spécificités de l’agriculture, notamment le fait qu’elle peut améliorer l’environnement », souhaite l’ancien expert-comptable Jean-Marie Séronie. Prochaine échéance : l’entrée en application en 2024 au niveau européen de la nouvelle norme de déclaration extra-financière (CSRD) pour les entreprises de plus de 250 salariés.

Outil de décision ou indicateur de performances ? 

La CSE répond à une demande sociétale. À l’échelle d’une entreprise, elle serait en France l’aboutissement de l’extension de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) à toute l’agriculture. Mais le chantier de la CSE doit être conduit à l’échelle européenne afin qu’elle soit un outil environnemental de comptabilité et de gestion crédible et commun aux 27 pays membres. Leur gouvernement devra pouvoir s’y appuyer pour accompagner la transition environnementale de l’économie de l’Union européenne.

De leur côté, les banques pourraient refuser de financer un projet d’agriculteur dont la CSE prévisionnelle montre qu’il détériore l’environnement de l’exploitation.

Dans leur note commune, l’Académie et AgriDées font 14 recommandations. Citons par exemple la réalisation à grande échelle des diagnostics d’impact à l’échelle des entreprises avec des référentiels harmonisés (bilan carbone, gaz à effet de serre, biodiversité…) et leur mise en œuvre à intervalles réguliers pour suivre les évolutions dans le temps. La CSE s’appuiera ainsi sur les résultats qui en découleront pour rendre compte de la performance environnementale de chaque exploitation.

Enfin, il reviendra aux pouvoirs publics de se mobiliser pour accélérer l’institutionnalisation des méthodes de CSE et « de repenser les modalités de mise en œuvre des politiques publiques à l’attention des entreprises agricoles ». Il s’agira par exemple de lever les freins juridiques à la mise en place de paiements pour services environnementaux financés par les fonds publics.