Politique agricole commune
Clément Beaune en visite au Breuil sur le besoin d'une Pac "forte"

Cédric MICHELIN
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Le 31 juillet au Breuil, Clément Beaune, nouveau secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, et donc de la Pac en partie, est venu visiter l’exploitation du Gaec Guillemin. L’occasion pour lui de comprendre les préoccupations du terrain et ce que la profession attend de lui et du gouvernement, en matière de négociations européennes.

Clément Beaune en visite au Breuil sur le besoin d'une Pac "forte"
Les frères Guillemin ont fait état de leurs inquiétudes au secrétaire d'État Clément Beaune.

« Chiche ? », interpellait un éleveur à la suite des propos du nouveau secrétaire d’État, Clément Beaune, chargé des Affaires européennes en visite au Breuil dans l’exploitation des Guillemin. « Chiche de faire une véritable harmonisation agricole, fiscale, économique, environnementale… et de toutes les règles en Europe. Chiche ? », relançait l’éleveur qui voit bien trop d’incohérences et de concurrences à l’intérieur même de l’Europe comme avec les pays tiers. Loin de retourner sa veste, Clément Beaune confirmait que l’Europe peut en effet se montrer « incohérente » mais qu’elle « avance » sur ces sujets, lui le spécialiste des négociations communautaires. Et même un peu plus vite aujourd’hui qu’hier à cause ou plutôt grâce au Covid-19. Un nouveau cap – moins ultra-libéral - aurait même été franchi selon lui. Et pour donner un exemple, le secrétaire d’État évoquait les accords de libre-échange entre l’Europe et le Mercosur. « La France ne s’était jamais opposée à aucun accord commercial. Là, la France s’est opposée à celui avec le Mercosur. D’ailleurs, le rapport (d’impact, NDLR) sera rendu public et remis au Premier ministre à la rentrée. Cela provoque des débats en Europe mais même les Pays-Bas, libéraux, n’en veulent pas », analysait Clément Beaune. Il faut dire qu’avec un Jaïr Bolsonaro au pouvoir au Brésil et des feux gigantesques en Amazonie, il est plus facile de s’opposer au Mercosur alors qu’avant, la même non-traçabilité des élevages ou des grandes cultures de soja et huile de palme n’empêchaient pas de signer l’accord… Pas sûr que le Ceta soit non plus remis en cause.

Gare au Brexit

Pour la FNB, l’éleveur nivernais, Emmanuel Bernard imageait le problème de la mondialisation en général : « on importe du prix et on exporte de la valeur. Mais jamais on n’autoriserait une voiture qui freine moins bien que les nôtres sur nos routes ! ». Des distorsions de concurrence en agriculture d’autant plus difficiles à accepter que la France empile les normes et n’arrive plus à les imposer aux autres. Le Covid-19 a justement mis à jour de graves lacunes : avec les travailleurs étrangers exploités en Italie, en Espagne, sous-payés en Angleterre, en Allemagne… Clément Beaune ne niait pas « que parfois les règles européennes sont bonnes mais tous les pays n’ont pas la même rigueur à les appliquer ». Son gouvernement et lui travaillent « à une concurrence juste et organisée », reconnaissant néanmoins que « cela prendra des années mais si on ne le fait pas au niveau européen, on n’y arrivera pas », nous seuls Français, sous-entendait-il. Et le premier dossier sur la pile est celui du Brexit : « moins inquiétant que le Mercosur mais plus fort commercialement », puisque le Royaume-Uni est le premier partenaire commercial de la France.

Plan protéine à imposer ?

Sauf que ces pays "maritimes", au même titre qu’une région comme la Bretagne, ont développé des filières agro-alimentaires industriels, basé sur « l’importation de soja OGM à bas prix venant d’Amérique », analysait Benoit Regnault. Pour le président de la CSEA du Chalonnais, « c’est une montagne, ce monstre pétrole-soja, » qui se dresse devant le plan protéine qu’il appelle de ses vœux. Lui, le féru d’agronomie, veut voir plus d’échanges « agronomiques » entre les zones d’élevage et de cultures, entre l’ouest et l’est du département. Clément Beaune ne cachait effectivement pas que « sur ce sujet, la France est assez seule » en Europe.
En attendant, les agriculteurs n’arrivent pas à vivre de leur travail. Sylvain Marmier – pour la chambre régionale Bourgogne Franche-Comté – revenait sur le budget Pac 2021-2027. Maintenu ou à la baisse, l’éleveur du Doubs sait juste que « les revenus sont à la baisse et la Pac ne peut compenser les prix payés aux producteurs. Ces prix se construisent en filière et avec d’autres acteurs comme la grande distribution ». Regardant le sénateur et conseillé régional, Jérôme Durain, ils affichaient « ne pas être favorables à une régionalisation des aides » à l’avenir. Idem pour la FDSEA de Saône-et-Loire qui y voit là, une nouvelle source de « concurrence entre régions », analysait Christian Bajard, son président. Tous se rejoignaient aussi sur le constat que les aléas climatiques frappent plus fréquemment et que la Pac doit monter en puissance sur la gestion des risques.

Gestion des risques

« C’est compliqué chez nous de faire de l’élevage sans herbe », résumait Guillaume Gauthier, président de la section bovine, avec une troisième sécheresse consécutive. Son homologue pour le lait, Stéphane Convert, voit un nombre croissant de contradictions entre les « règles écolos » et les réels besoins des agriculteurs en matière de changement climatique. « Monsieur et madame tout le monde émettent des avis sur tout et n’importe quoi », comme sur le glyphosate, créant une pression sociétale illogique, critiquait Hélène Doussot, la présidente de la commission des agricultrices qui prend le problème à la racine en allant expliquer le métier dans les écoles (Fermes ouvertes…). Vice-président de la FDSEA, Luc Jeannin réclamait donc de la « cohérence » entre les politiques (Pac, Green Deal, Farm to fork, Biodiversité 2030…) et surtout de ne pas mener les agriculteurs face à « des impasses techniques », comme sur l’agriculture de conservation. Pour Clément Beaune, méfiance, « les exigences des consommateurs ne vont pas diminuer mais on ne peut avoir des règles plus fortes que les autres pays », ce qui est pourtant déjà le cas.

Besoin d’investir

À la demande collective de garder une Pac « forte », le député européen et éleveur, Jérémy Decerle, revenait sur les récentes négociations budgétaires (budget EU, Pac, plan relance Covid-19, etc.) : « le budget Pac est maintenu. Maintenant, on doit batailler sur son contenu, sur les idées. Le Covid-19 a montré que l’on pouvait à nouveau venir à manquer notamment d’aliments. Le secteur agricole doit retrouver un volume de développement avec la Pac, pour lutter contre la chute des revenus, la baisse des paysans, le changement climatique… ». Les JA rebondissaient sur le besoin effectivement d’augmenter les installations d’agriculteurs dans les prochaines années (lire encadré). Christian Bajard fixait lui deux autres marqueurs : « ne plus créer de distorsion de concurrence et accompagner les agriculteurs dans leurs besoins d’investir. On veut une Europe pragmatique, pas technocratique », concluait-il.

Un déplacement marquant !

« Depuis tout à l’heure, cela me trotte dans la tête ». Visiblement, Clément Beaune a été marqué par les craintes de la profession de ne pas réussir à renouveler les agriculteurs dans la décennie décisive qui vient. 70 % des terres du département sont détenues par des plus de 50 ans ; ces derniers représentent un agriculteur sur deux en Saône-et-Loire, l’alertait Bernard Lacour, président de la chambre d’agriculture. Les frères Guillemin ont fait part de leurs doutes sur l’avenir du Gaec. « 2011, 2015, 2018, 2019 et maintenant 2020, encore la sécheresse. Cela veut dire moins de fourrage, des stocks au plus bas, des achats d’aliments, des soucis de fécondité (nombre de veaux divisés pas deux), des décalages des ventes lors de marchés moins porteurs et donc de la trésorerie en moins… ». Le cycle semble infernal. Pour le Département, Frédéric Brochot et Rémy Rebeyrotte constatent « neuf années sur dix avec des aléas climatiques », « même les épicéas » sont touchés, ou encore la vigne avec les gels de printemps. Le Département avance donc un Plan Environnement à son échelle ; la Région son plan de Relance incluant l’agriculture en septembre.
Cinq jours seulement après sa nomination, Clément Beaune restera donc marqué par ce premier déplacement qu’il voulait « dans une exploitation agricole avant d’aller dans les capitales européennes. La Pac n’est pas une politique du passé, c’est la seule qui peut nous garantir la sécurité alimentaire. Je me rends compte qu’on n’aura pas de transmission (d’exploitation, NDLR) hors sol si les gens ne vivent pas de leur travail. C'est ce qu’ils veulent, pas des aides », concluait le secrétaire d’État.