Portrait d’un domaine
Sully, le château à multiples cartes

Françoise Thomas
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Le château de Sully c’est bien plus qu’une demeure emblématique du 15e siècle. Ce n’est pas seulement non plus des terres immenses ceinturant la bâtisse. Et c’est au-delà d’une histoire de familles de notables traversant la grande Histoire. C’est aussi désormais un lieu où l’on expérimente et l’on tente. Un endroit où l’on essaie et l’on souhaite perpétuer des cultures et toute une philosophie de vie.

Sully, le château à multiples cartes

Ce n’est pas parce que la magnifique bâtisse affiche près de dix siècles d’histoire, que l’ensemble du château de Sully reste figé dans le temps. Bien au contraire. Sa propriétaire, la duchesse de Magenta fait preuve d’une énergie débordante pour tester, réinventer, faire évoluer le lieu et ses cultures.
« Dans la famille de mon mari, ils disaient toujours qu’un si grand domaine ne pouvait pas aller sans une ferme ». Aussi, fidèle à ce principe même après le décès du duc en 2002, sa femme a tout fait pour conserver l’ensemble.
Et ce n’était pas une mince affaire. En fait, la gestion du château de Sully est articulée autour de trois pôles : la partie exploitation agricole (260 ha), le domaine viticole (situé non loin, en Côte-d’Or, à Chassagne-Montrachet) et la partie touristique. Ce n’est donc pas le travail qui manque.
Mais d’un courage sans limite et armée d’une patience infinie, la duchesse de Magenta a tout fait pour respecter la volonté familiale, et jusqu’à présent avec succès.

Plus de 200 pensionnaires

« Cela n’a pas toujours été facile », avoue-t-elle cependant. Au début, elle avait repris seule la gestion de l’exploitation avant de la confier à un couple de fermiers. Mais ceux-ci ont eu la possibilité de s’installer dans leur propre ferme et sont repartis en Champagne au bout de huit ans. Il y a quatre ans environ, la duchesse se retrouve donc à nouveau à la tête de l’ensemble du domaine et de sa centaine de bovins allaitants. « Mais toute la période de vêlage était compliquée à gérer seule. Je voulais donc travailler différemment, sans la contrainte de l’élevage ».
Ainsi, aidée de Sophie Mobillion, conseillère entreprise à la chambre d’agriculture, c’est une mise à plat complète de la conduite du domaine qui est opérée. Et des choix s’imposent…
Sur les 260 ha de la propriété, 190 sont dédiés aux pâtures. « Nous ne prenons plus désormais que des génisses en pension, d’avril à octobre ». Ainsi, cinq à six éleveurs placent entre 200 à 240 animaux chaque année sur les prairies, gérées en pâturage tournant. Pendant les six mois de présence, la duchesse confie l’essentiel de la gestion des troupeaux à un jeune. « Je ne gagne pas d’argent sur cette partie-là, mais je n’en perds pas non plus et les parcelles sont mieux entretenues ».

La sècheresse s’en mêle

La première année, il y a trois ans, tout s’est très bien passé : « l’herbe se gérait toute seule, se rappelle la duchesse, nous sommes en bout de vallée et nous avons de bonnes terres pour l’élevage. Mais il y a deux ans, nous avons dû commencer à complémenter les animaux l’été, et l’an passé et cette année, nous n’en finissons plus d’apporter du foin et de l’eau ! ». Car, au pied du Morvan, Sully n’échappe pas aux conséquences de la sécheresse et des épisodes caniculaires.
Elle se souvient encore qu’en 2018, « les vaches sont parties le jour où nous avons distribué la dernière botte de foin ! ». Cette année, si le retour de la pluie (tant espéré…) permet une repousse de l’herbe suffisante, la duchesse gardera les vaches le plus possible jusqu’en novembre si cela peut aider les éleveurs, mais sans toutefois compromettre la repousse du printemps prochain. Pragmatisme et logique avant tout !
Pour le travail de la terre, là encore elle travaille avec des jeunes en prestation de service, « je n’ai pas de matériel, nous faisons donc appel à la Cuma locale ».
« Mon principe est l’entraide, que tout le monde soit gagnant-gagnant. Je constate autour de moi que les agriculteurs ont la volonté de vivre de leurs terres et d’entretenir leur territoire. Ce qui est désolant et anormal c’est de constater que l’on travaille de plus en plus, pour gagner de moins en moins ».

Essais, succès, échecs…

D’où une volonté en parallèle, de chercher des filières atypiques, en devenir ou à ressusciter…
Ainsi pour la partie céréales, elle ne se contente plus seulement de blé et de colza, elle teste chaque année aussi des variétés autres ou anciennes. Ainsi il y a trois ans, la duchesse a semé avoine, épeautre et seigle. « J’avais déjà eu des difficultés à trouver les semences, mais il a été encore plus compliqué de trouver un stockeur agréé à qui vendre la production ! ».
Elle a cependant poursuivi la culture d’avoine. « Le rendement est moindre qu’avec le blé, mais puisqu’il y a moins d’intrants, cette production est finalement plus rentable ».
Elle a aussi testé la moutarde « les rendements n’ont pas été bons cette année… mais je poursuis quand même ! », ajoute-t-elle, l’œil pétillant.
Elle va aussi continuer de tester des méteils. « La première année, c’était un mélange à nous, constitué de vesce, pois et blé qui a été très concluant. Cette année, le mélange acheté tout prêt de raygrass, vesce, trèfle a été beaucoup moins bon, mais est-ce dû à la sécheresse ? ». Là aussi poursuite des « essais » surtout qu’elle souhaite rallonger ses rotations sur cinq à sept ans pour intégrer des prairies temporaires.

Toujours plus

Convaincue que l’on peut obtenir bien plus du sol en comprenant mieux son fonctionnement, elle a ainsi intégré le groupe Reva, réseau d’étude de la biologie des sols répartis partout en France. « On ne connaît pas l’importance de la biologie du sol pour la croissance des plantes, on commence tout juste à s’y intéresser. Si les agriculteurs se posent déjà beaucoup de questions, les viticulteurs y viennent eux petit à petit ».
Cette multiplicité de productions, cette recherche permanente, voire cette remise en question, la duchesse les teste à plus petite échelle dans son potager (voir encadré). Ainsi si le magnifique château de Sully a un nombre incalculable de pièces, il insuffle aussi en parallèle une énergie sans borne à ses propriétaires.

Surprenant potager

Surprenant potager

Le domaine de Sully est un lieu magnifique. Quand on arrive par le portail principal, si le château se dresse tout au bout de la grande allée, celle-ci est longée de part et d’autre par deux immenses bâtiments : les anciennes dépendances agricoles.
Le bâtiment de gauche abrite de splendides écuries restaurées tout à fait aptes à recevoir des réceptions. Derrière celui de droite, on découvre l’un des endroits préférés de la duchesse : le potager…
Comme pour le reste des terres, la duchesse teste, essaie, abandonne, poursuit, réoriente différentes plantations ! Intarissable sur le sujet, elle pourrait en parler des heures. « On trouve ici essentiellement des plantes aromatiques, mais je fais aussi différents légumes. Je n’ai pas encore trouvé les bonnes combinaisons entre eux, mais j’essaie ». Ainsi cette année, elle souhaitait que les tournesols servent de support aux petits pois... « mais comme je n’ai pas arrosé, le potager n’a pas toujours été un succès… », reconnaît-elle. Car c’est là aussi l’un des grands projets de la duchesse, obtenir de la nature le maximum tout en économisant l’eau et en recourant le moins possible aux traitements. Le tout, comme pour le reste des terres, sans être pour autant dans une démarche bio. Ainsi pour ne pas avoir à désherber les allées, « je teste là les copeaux de bois et ici j’ai tendu de grandes bâches plastiques. Pour préserver au maximum l’humidité pour les plants, je paille beaucoup et j’ai repris l’habitude de ma mère qui mettait des cartons au pied des légumes ». Ainsi ce potager offre un spectacle atypique… mais qui s’explique !
L’un des trésors du lieu est une collection de 300 variétés différentes de pommiers en provenance directe de Normandie ! « C’est là l’un de mes grands chantiers de l’automne : créer un verger dans lequel replanter tous ces pommiers ».

La vigne par passion

C’est le mari de l’actuelle duchesse, le quatrième duc de Magenta, qui développa les vignes au milieu du siècle dernier. « À cette époque, le vin était peu rentable, se lancer dans les vignes était donc perçu comme plutôt folklorique », souligne-t-elle. C’est donc contre l’avis de tous et surtout de son entourage qu’il acquiert malgré tout un domaine du côté de Chassagne-Montrachet. L’histoire lui a depuis donné raison.
« Aujourd’hui, détaille la duchesse, nous exploitons 9 ha dont une partie est sur Puligny ». Le Domaine des Ducs de Magenta Abbaye de Morgeot produit ainsi entre autre du puligny-montrachet 1er cru, du chassagne-montrachet 1er cru, de l’aloxe-corton 1er cru.

Vie de château pour tous

Vie de château pour tous

Très complémentaire des activités agricoles et viticoles, la partie touristique est le troisième pilier de la gestion du domaine. « À une époque, nous nous sommes clairement posé la question, et il nous a semblé primordial d’ouvrir cette demeure au public ». Ainsi, il est possible d’organiser des réceptions et des mariages dans les magnifiques pièces du château, tout en profitant de l’extérieur, notamment de la terrasse surplombant la pièce d’eau. Des visites tout public sont aussi organisées, dont certaines avec des thématiques spécifiques en fonction des saisons (en tenue d’époque, spécial halloween, etc.), de l’intérieur du château ou de ses jardins.
Avec « un tiers des mariages annulés, un autre tiers reportés », cette année 2020 vient cependant de mettre un grand coup de frein à toute l’activité tourisme et réception et va contraindre la propriétaire du lieu à envisager d’autres formules.
Mais la bâtisse comme ses dépendances n’en demeurent pas moins à découvrir…

Loto du Patrimoine

L’ancien petit théâtre à l’italienne du château vient d’être intégré dans la nouvelle promotion du Loto du patrimoine. Pour cette troisième édition, 101 projets ont été sélectionnés, ce théâtre est le seul représentant du département. Construit dans un style Premier empire vers 1830, il nécessite une complète restauration dont le montant est estimé à 500.000 €, mais l’idée est vraiment que le théâtre revive bientôt sur ces planches !