Formations agricoles
Des métiers en tension, attractifs mais…

Cédric Michelin
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Consacrée au thème de la formation, la dernière session de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire du 19 septembre (lire notre édition du HH) a donné la parole à Vivea Bourgogne-Franche-Comté pour la formation continue des agriculteurs et à l’Ifocap Paris pour les élus chargés de les représenter.

Des métiers en tension, attractifs mais…

Lors de la table ronde, le directeur d’AgroBioCampus Davayé, Jean-Philippe Lachaize avait pour tâche de dresser le panorama de l’enseignement agricole et viticole en Saône-et-Loire. Un exercice que la profession réalise et met à jour plusieurs fois par an pour « anticiper les besoins de formations de demain ». Le contexte évoluant vite et fort comme le prouvent les intentions de fermetures du Velet ou de réduction de l’offre de formation dans des lycées agricoles ou CFPPA.

Pourtant, en agriculture, comme en viticulture, les métiers en tension sont légion et cherchent désespérément de la main d’œuvre compétente. Les derniers chiffres de la Dares (Ministère de l’Emploi) de 2023 sont symptomatiques en Bourgogne-Franche-Comté : 4.600 salariés viticoles ou arboricoles sont recherchés… pour un indice de tension de 3 sur 5 à ce stade ; 500 agriculteurs salariés (3/5) ; 200 salariés en maraichage ou horticulture (3/5) ; 70 éleveurs salariés (3/5)… et c’est parfois pire pour des métiers spécialisés comme conducteurs d’engins agricoles et forestiers où 40 offres d’emploi sont non pourvues (indice de tension de 5/5). Idem pour les 20 techniciens pour faire de l’encadrement sur une exploitation agricole.

Et la concurrence entre secteurs d’activité ou filières se fait de plus en plus forte. Le préfet de Saône-et-Loire, Yves Séguy met en garde l’agriculture et la viticulture : « vous n’êtes pas les seuls à être en recherche pour leurs métiers en tension ». Chaque filière fait alors valoir ses atouts et/ou débaucher chez les autres. On retrouve donc de fortes demandes d’ouvriers non qualifiés en industries agro-alimentaires (430 emplois à pourvoir ; 5/5), d’employés de libre-service (680 ; 1/5), d’aides à domicile (480 ; 1/5)…

Le problème étant qu’il y a une double urgence. Avec 1.500 agriculteurs de Saône-et-Loire partants en retraites prochainement, les transmissions et reprises sont loin d’être assurées. « Derrière, se pose la question des passerelles », avec des salariés qui pouvaient aussi être intéressés pour reprendre tout ou partie de l’exploitation.

De moins en moins attractifs

Avec indicateur défavorable, la "perte" programmée de 10.000 lycéens dans les dix prochaines années en Bourgogne-Franche-Comté. La démographie de la Région est mal embarquée, se dirigeant toujours plus vers un vieillissement programmé et l’exode vers les métropoles. Sans réelle politique d’aménagement des territoires, les campagnes ne réussissent à combler le vide laissé. La Région vient de lancer une initiative en ce sens, une première à l’échelle d’une région. Mais dans le même temps, l’État et le Conseil régional ont beau jeu de faire des économies sur la carte des formations agricoles ou d’investir pour moderniser les établissements. Le Velet ou le CFPPA de Davayé en sont encore les exemples.

Heureusement, la Saône-et-Loire dénombre encore « plus de 2.100 élèves en formation initiale agricole dont 1.600 via la voie scolaire et 500 en apprentissage ». Cet accueil important se fait qui plus est « grâce à une offre importante, dans tous les secteurs d’activités agricoles et viticoles, et ce, avec une belle complémentarité », se félicitaient tous les acteurs de la formation, public comme privé, qui affichent en Saône-et-Loire, une volonté farouche de travailler ensemble « même si cela n’empêche pas de ne pas être d’accord sur tout ».

Image d’Épinal

Quelques signaux faibles viennent cependant ternir ce bilan. « Les effectifs sont globalement en recul en Bac techno et au collège ». « Les chiffres sont contrastés avec de moins en moins de demande sur nos formations alors qu’on n’a aucun souci d’employabilité ». Outre la démographie générale, les professionnels ont la douloureuse impression que l’enseignement agricole, au même titre que les métiers d’agriculteur et de viticulteur, souffrent « d’une image d’Épinal surtout dans les collèges de centres-villes et même semi-ruraux ». Une « ignorance » autour des métiers de plein air, nature, avec des animaux, avec autonomie… qui pourtant répondent aux aspirations de la société bien souvent et permettent de « travailler sur nos territoires ».

La multiplication des salons de l’emploi ou de la formation constitue également une plus grande visibilité pour les autres secteurs et filières (industries, services, artisanats, fonctionnaires…). La profession agricole appelle les nouveaux députés à rapidement se repencher sur une loi, d’orientation agricole ou non, pour « concrétiser une politique volontariste qui va chercher les élèves là où ils sont pour les convaincre qu’il est possible d’avoir des carrières et des parcours qualifiants, évolutifs et valorisants… » en agriculture.

Cinq agriculteurs en un

En parlant justement de carrière qui évoluent, les chef(fe)s d’entreprise agricole ont-elles et eux aussi plusieurs vies. De l’installation à la cessation, mille et un métiers sont pratiqués. Les vignerons disent souvent enchainer les métiers dans une journée : chef d’entreprise le matin, commercial le midi, tractoriste l’après-midi ou encore secrétaire administratif le soir… et weekend. Autant dire que les compétences sont larges. Mais sont-elles bien maîtrisées faute de formation initiale sur tous ces postes. Tout le monde n’aime pas faire de la vente auprès de clients ou inversement se mettre dans la comptabilité. C’est pourquoi le président de Vivéa BFC, Anton Andermatt invite ses confrères à se former régulièrement. Ce n’est actuellement pas le cas. Sur 30.534 contributeurs en BFC, seuls 6.401 bénéficient. En clair, et maintenant pour la Saône-et-Loire, sur 7.258 cotisants à Vivea, seuls 1.765 se forment. Et ce, en comptant les formations obligatoires (Certiphyto, Bien-être animal…). Évidemment, la réponse la plus fréquente étant : « j’ai pas le temps de me former », regrette Vivea qui ne ménage pas ses efforts pour rendre son offre de formation continue adaptée aux besoins et réalités terrains (enquête auprès des 4.500 viticulteurs, études avec les OPA…). Les notes des formations Vivea atteignent 8.6/10. Les stagiaires appréciant les échanges entre confrères, les cas pratiques. Vivea essaye d’anticiper les besoins futurs en proposant des formations sur la transmission, la résilience de l’entreprise par des pratiques adaptées au changement climatique, la création de valeur ajoutée ou « dernière nouveauté : l’humain au cœur du travail pour limiter la pénibilité avec des volets sur la gestion des salariés, des conflits internes… », invite Anton Andermatt.

 

 

Ifocap : « Apprendre donne envie d’apprendre généralement »

Le directeur de l’Ifocap à Paris, Laurent Mainguan a fait un plaidoyer pour « former les femmes et les hommes d’action capables d’agir sur les problèmes de leur temps », à commencer par les femmes agricultrices. Depuis 1959, l’institut formant « des cadres paysans » agit pour la « parité ». Il invitait les élus présents à la cession chambre à motiver d’autres collègues pour qu’ils mettent « en position de faire changer les autres ; de monter en compétence », sachant que 95 % des formations Ifocap sont construites sur mesure pour les élus OPA ou les salariés. La base des formations étant d’apprendre en faisant, tout « en confrontant les manières de faire ». Laurent Mainguan invitait chacun à prendre du recul. « On n’exerce plus le même métier à vie et c’est aussi de plus en plus vrai en agriculture », qui doit s’ouvrir aux autres. Ce que ne cesse de répéter la présidente de Fontaines Sud Bourgogne, Anne Gonthier qui les encourage à « partir de chez vous, tant que vous n’avez pas encore le nez dans le guidon de votre ferme ». L’occasion de s’ouvrir au monde et à d’autres. Ou à l’inverse, de « ne pas s’enfermer dans une dépendance ou une façon de penser ». À commencer par la valorisation des échecs : « on apprend tous les jours de ces erreurs ».

Une majorité d’élus des OPA en France est passée par l’Ifocap. « Apprendre donne envie d’apprendre généralement » pour transmettre après au plus grand nombre normalement. Et il le faut, car les sujets sociétaux ont rattrapé le monde agricole ces dernières années (pesticides, véganisme…). « Ces sujets montent dans les sociétés et il faut que les élus, vous, soient armés pour dialoguer et éviter le décalage de compréhension. Car, même si le terrain a raison, vous ne serez pas compris si votre philosophie ne l’est pas », remettant en cause votre éthique de travail pourtant noble : celle de nourrir les populations.