Directive IED
Émissions industrielles : le secteur bovin finalement épargné

Après des mois de discussions, les institutions européennes sont parvenues à un accord sur la révision de la directive sur les émissions industrielles dont la portée sera étendue au secteur agricole. Le Parlement européen a obtenu que les élevages bovins échappent aux obligations du nouveau dispositif qui entrera progressivement en vigueur à partir de 2030. Par contre, les élevages de porcs et de volailles voient, eux, les seuils d’entrée dans le système assez nettement réduits. Ils bénéficient, toutefois, d’un cadre réglementaire allégé.

Émissions industrielles : le secteur bovin finalement épargné

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont parvenus, dans la nuit du 28 au 29 novembre à un accord sur la directive sur les émissions industrielles. Le texte ne sera pas étendu, comme le proposait initialement la Commission européenne, aux élevages bovins. Bruxelles réexaminera les règles en 2026 pour évaluer si le champ d’application de la législation doit inclure les bovins ainsi qu’une clause de réciprocité pour garantir que les producteurs de pays tiers répondent à des exigences similaires lorsqu’ils exportent vers l’UE. Dans leur compromis, les colégislateurs ont ajusté certains seuils d’entrée dans le dispositif : 350 UGB (unité gros bovins) pour les porcs, 280 UGB pour les volailles (300 pour les poules pondeuses) et 380 UGB pour les élevages mixtes. Les exploitations agricoles extensives et bio sont exclues du champ d’application de la directive.

Dans ce dossier, le Parlement européen s’était prononcé pour le statu quo : maintien de l’élevage bovin en dehors du champ d’application de la directive et des seuils à partir desquels les élevages de volaille et de porc entrent dans le dispositif inchangé. Les États membres s’étaient, eux, mis d’accord sur des seuils d’entrée pour les élevages de bovins et de porcs fixés à 350 UGB, pour ceux de volaille à 280 UGB et pour les exploitations mixtes à 350 UGB. La Commission européenne proposait, initialement, que toutes les exploitations bovines, porcines et avicoles comptant plus de 150 UGB tombent sous le coup de la directive.

Actuellement, le texte concerne les élevages avec plus de 40.000 emplacements pour les volailles, plus de 2.000 emplacements pour les porcs de production (de plus de 30 kg) et plus de 750 emplacements pour les truies. Les nouveaux seuils convenus vont toucher un nombre plus important d’élevage. Les plus affectés seront ceux de poules pondeuses dont le seuil est environ divisé par deux (passant de 40.000 à 21.500).

Un dispositif allégé

Afin d’éviter le fractionnement artificiel des exploitations agricoles, dans le but de réduire le nombre d’UGB d’une exploitation à un seuil inférieur à celui à partir duquel s’applique la présente directive, le compromis prévoit que les États membres adoptent des mesures garantissant notamment que deux installations situées à proximité l’une de l’autre et dont l’exploitant est le même puissent être considérées comme une seule unité au regard du calcul du seuil pour les animaux d’élevage. Les exploitations agricoles qui entrent dans le dispositif doivent demander un permis aux autorités nationales et avoir recours aux « meilleures techniques disponibles » pour limiter leur impact pour respecter des normes de rejets de polluants (oxyde d’azote, méthane, ammoniac…). Afin de réduire la charge administrative, les colégislateurs se sont accordés sur l’obligation pour les États membres de mettre en place un permis électronique d’ici à 2035. Étant donné que les exploitations agricoles ont des opérations plus simples que les installations industrielles, celles-ci bénéficieront d’un régime de permis plus léger. De même, les élevages seront soumis à un système allégé de contrôles, notamment en ce qui concerne leur impact sur le sol et l’eau.

Les contrevenants s’exposeront à des amendes d’au moins 3 % de leur chiffre d’affaires annuel réalisé dans l’UE pour les infractions les plus graves. De plus, les États membres doivent accorder aux citoyens concernés par les cas de non-respect le droit de réclamer une indemnisation pour les dommages causés à leur santé. Afin d’accroître la transparence, un portail européen sur les émissions industrielles sera créé. Les citoyens pourront y trouver les données relatives aux émissions polluantes des sites industriels avec des données sur l’utilisation de l’eau, de l’énergie et des matières premières. Ces nouvelles règles s’appliqueront progressivement, à partir de 2030.

Mitigé

Pour les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca), cet accord est « loin d’apporter un soulagement » et suscite au contraire « un sentiment d’incompréhension et d’inquiétude chez de nombreux éleveurs ». Les règles d’agrégation seraient laissées à la discrétion des États membres, ce qui pourrait conduire à un fractionnement supplémentaire au sein de l’UE, craint aussi le Copa-Cogeca.

Dans une tribune commune publiée la veille de la réunion, les eurodéputés Benoît Lutgen (rapporteur pour avis pour la commission de l’Agriculture, droite), Jérémy Decerle (centre) et Paolo De Castro (social-démocrate) alertaient sur les conséquences d’une inclusion de l’élevage bovin dans le dispositif. « Avec pour seul et unique objectif de réduire les émissions, la directive appliquée au bétail pourrait nécessiter des solutions issues de la grande industrie : des animaux dans des étables fermées et des dispositifs pour purifier l’air de ces étables », préviennent-ils, avec pour conséquence « toujours plus de concentration, et de standardisation ».

À l’issue des négociations, Jérémy Decerle tire un bilan mitigé de l’accord : « La sortie du secteur bovin du dispositif était la meilleure chose à faire », mais celle-ci s’est négociée « au détriment des autres secteurs de l’élevage (porc et volaille) », regrette-t-il. De plus, fixer un seuil de 380 UGB pour les exploitations mixte est, selon lui, « stupide alors que la Commission européenne ne cesse de plaider pour la diversification des exploitations ».

À l’inverse, les ONG se disent très déçues. Greenpeace dénonce « une farce ». Pour le Bureau européen de l’environnement (EEB) l’exclusion des bovins du champ d’application de la directive constitue « un revers majeur, la seule possibilité de changement reposant sur une simple clause de révision ». L’association déplore également que les règles applicables à l’élevage industriel de porcs et de volailles « excluent des éléments cruciaux tels que les systèmes de permis et de rapports, les fréquences d’inspection minimales ou la surveillance de la protection de l’eau et des sols ».

Accueil mitigé de la FNSEA et de La Coopération agricole

Si la FNSEA et La Coopération agricole considèrent que l’exclusion des bovins de la directive sur les pollutions industrielles constitue une avancée, elles dénoncent les nouveaux seuils retenus pour les porcs et les volailles ainsi que l’introduction des règles de cumul. « Nombre d’exploitations porcines et avicoles devraient demain appliquer des règles coûteuses et inadaptées. La conséquence sera un rapide recul de ces élevages familiaux, diversifiés et durables, et parallèlement une forte augmentation des importations de viande ne respectant pas nos normes et ne répondant pas aux attentes sociétales », déplore la FNSEA. « Bon nombre de nos exploitations familiales est menacé. Elles se verraient appliquer des règles inadaptées et disproportionnées », estime La Coopération agricole. Les deux organisations ne se satisfont pas de compromis issu du trilogue et appellent le Parlement européen ainsi que le Conseil des ministres de l’Union européenne à ne pas le valider lors des prochaines étapes.

Forte déception de la FNP et de la CFA

Si la FNPL et la FNB ont accueilli favorablement la décision du trilogue, la Fédération nationale porcine (FNP) et la Confédération française de l’aviculture (CFA) se montrent particulièrement déçues « La décision est totalement inversée pour les porcs et les volailles », déplorent-elles dans un communiqué commun. Concrètement, cela se traduit par un fort durcissement des seuils d’éligibilité à la directive pour les porcs et les volailles, « une réduction de moitié », estime François Valy, le président de la FNP. « Les élevages de 120 truies naisseur-engraisseur vont être concernés, alors que la taille moyenne des élevages français est de 250 truies naisseur-engraisseur. Au bout du compte, ce sont 3000 éleveurs qui seront soumis à la nouvelle directive contre 700 actuellement ». « Contrairement aux intentions affichées de garantir la sécurité alimentaire, cette nouvelle directive va accélérer la baisse du nombre d’éleveurs et favoriser les agrandissements », ajoute-t-il. Pour les volailles, si le statu quo pour les poulets de chair est préservé à 280 UGB, soit un seuil de 40.000 places, il est durci à 28.000 emplacements pour les canards, à 9.333 pour les dindes et dindons et 14 000 pour les oies. Pour les poules pondeuses, il est quasiment réduit de moitié à 300 UGB, soit 21.428 places. Selon les estimations de la CFA, 25 % des élevages de poulets de chair seraient concernés par la nouvelle directive, sans changement par rapport à la situation actuelle. En revanche, 73 % des élevages de dindes seraient soumis à la nouvelle directive contre 13 % actuellement. Et pour ce qui est des poules pondeuses, la proportion passerait de 26 % aux alentours de 50 %. Contacté par téléphone, l'eurodéputé Jérémy Decerle assure suivre les négociations et faire remonter les propositions de la profession.