Ambassade du Charolais
Quel avenir pour le Charolais ?

Cédric Michelin
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Le 22 juillet dernier à Charolles, l’Ambassade du Charolais célébrait ses 40 ans. Pour réfléchit au futur,  une table ronde sur le thème du « Charolais, ses racines, son avenir » réunissait le « père fondateur » de la race et plateau de l’Aubrac, André Valadier, ainsi que le critique gastronomique, Périco Légasse accompagné de Marine Seckler et Christian Bajard, pour respectivement JA et FDSEA de Saône-et-Loire, ainsi que Didier Giraud, éleveur-sélectionneur et « Grandes gueules » sur RMC. 

Quel avenir pour le Charolais ?

Pour introduire cette table ronde, le président de l’Ambassade du Charolais, Daniel Rizet redisait « l’objectif » de cette journée festive (lire aussi notre précédente édition) à savoir « dégager des pistes » face notamment à certaines difficultés de « non-transmission des exploitations d’élevage charolais ». Une « démarche » et des réflexions qui sont suivies et accompagnées par les organisations professionnelles agricoles du département à l’image de la chambre d’agriculture, les JA et FDSEA… mais également le conseil Départemental qui, tous, soutenaient cette journée.

Et pour prendre de la hauteur et du recul, « c’est une personne exceptionnelle » qui à 90 ans faisait la démonstration que la passion n’a pas d’âge. « Père fondateur » du Parc naturel régional de l’Aubrac et de son activité économique tournée vers son patrimoine (race Aubrac, fromages et couteaux Laguiole, aligot, tourisme rural…), André Valadier se disait humblement être « une archive » alors qu’il n'en est rien, tant ses réflexions et ses idées sont vives et pleines de sagesses pour les générations futures. Un exemple à suivre sur « comment réussir à fédérer tous les secteurs de l’économie », le félicitait son ami, Daniel Rizet.

Le président de la FDSEA, Christian Bajard présentait rapidement le secteur de l’élevage en Saône-et-Loire. « La grande moitié à l’ouest du département est très spécialisée avec notamment un cheptel de vaches allaitantes en diminution. Cela peut nous inquiéter bien sûr, mais il y a aussi plein de choses qui peuvent cocher des cases aujourd’hui du côté des consommateurs, notamment nos atouts environnementaux », avec nos bocages et vertes prairies. Avec toujours et encore de « jeunes éleveurs passionnés » par la race charolaise, comme le prouve la participation aux concours. Et pas que, tant les établissements de formations agricoles font le plein. Certes, les éleveurs de charolais « se lancent dans d’autres productions », reconnaissait-il pour être plus résilients, face notamment à des sécheresses plus récurrentes. Il regrettait toutefois que le Charolais, race comme territoire, n’arrive pas plus « à raconter de belles histoires », son histoire autour de son élevage de qualité qui a façonné ses paysages. Car l’époque est finie où « tout le monde avait un grand-père agriculteur ». Les liens se sont rompus « tellement rapidement » avec la société. Reste donc à reprendre depuis le début, « du plaisir dans l’assiette » à « ce qui se passe réellement dans nos exploitations ».

Valoriser pour capitaliser ou l’inverse ?

C’est justement ce que fait Marine Seckler. La jeune éleveuse fait d’ailleurs de la vente directe sur son exploitation à Blanot ou sur les marchés. L’occasion de communiquer positivement sur toutes les forces de l’élevage. La présidente des JA71, qui a pour mission notamment d’aider les jeunes à s’installer, veut voir le verre à moitié plein avec « plus d’une centaine d’installations aidées » par an, soit le quart du total en Bourgogne-Franche-Comté. Côté élevage, les chiffres sont « stables ». En revanche, avec près de 1.200 départs à la retraite, toutes filières confondues, dans les dix ans à venir, « il va falloir qu’on augmente ce nombre » d’installations pour tenter de renouveler à l’identique.

Reste le « problème de capital et la capacité d’investissement ». Deux dispositifs sont à connaître : le Start Agri et le Gaec à l’essai. Avec aussi une partie de la solution dans les mains du cédant qui doit « faire l’effort » de ne pas surestimer ses biens. L’anticipation étant tout aussi importante pour réussir à trouver le ou les bons candidats au moment du départ. Si ces préalables sont réalisés, « il y a même de belles réussites ». Les banques prêtant à ceux apportant des garanties certes, mais la meilleure des garanties est encore des prix aux dessus des coûts de production, soit la simple application de la loi ÉGAlim, insistait Christian Bajard qui se bat pour la contractualisation avec indices.

S’appuyer sur une race forte

Didier Giraud n’est pas du genre d’éleveur à avoir sa langue dans sa poche. Et tant mieux, il dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. C’est ce qui plaît aux « Grandes gueules » de RMC. À la question, comment évolue la race charolaise, l’éleveur sélectionneur, président du GIE Synergie Charolais œuvrant notamment à la vente de reproducteurs de la station de Jalogny, n’y va pas par quatre chemins : « La charolaise de Vendée, de Paca, de Moselle… ou la charolaise de Charolles ? Là se trouve une partie de nos maux ». La charolaise est devenue par endroits un « minerai », encore plus avec la domination de la restauration rapide et du steak haché. Pour autant, la race charolaise a plus d’un atout dans son sac, à commencer par sa capacité à se « différencier localement », à l’image de l’AOP Bœuf de Charolles, donnait-il en exemple.

Pour lui, une nouvelle génération d’éleveurs arrive, loin des préoccupations de sa génération. « Les gamins de 20 ans, qui veulent s’installer, veulent vivre comme le reste de la société. Ils veulent vivre avec les réseaux sociaux, avoir des weekends, être mariés, avoir des enfants donc avoir une vie de famille », schématise-t-il. Ce qui se ressent ensuite dans les choix génétiques, orientant la race pour « que le métier soit un peu plus vivable », comme le vêlage facile ou sans corne par exemple. Autre limite à « l’industrialisation », à Charolles tout du moins, « le métier d’éleveur n’est pas mécanisable à outrance ». Ce qui, combiné aux conseils de communiquer sur le métier, devrait permettre à un moment donné, « de retrouver de la valorisation sur le produit » final, à rebours de « la course à la prime à la vache engagée avec la Pac 1992 ». La seule façon pour lui de renouer « des liens avec des restaurateurs étoilés à Paris », ce sera la régularité de la qualité. Aux acteurs du territoire charolais de rajouter de la valeur à la « marque » Charolaise de Charolles, pour évoquer comme l’Aubrac sur son plateau, « le tourisme, les paysages, les vaches quoi ».

André Valadier confirmait ce potentiel ou plutôt ressources mal exploitées : « les bonnes orientations sont en place », motivait-il. Et ce ne sont pas vegans qui lui font peur. Le sage Aveyronnais a une répartie toute prête : « N’ayez aucune crainte, chez nous, nos vaches sont toutes végétariennes » et gardiennes de la biodiversité des prairies permanentes avec les éleveurs.

« Une richesse pour toute la collectivité », concluait-il. « Des puits de captage de carbone », rajoutait Daniel Rizet, prompt à voir les « nouveaux » atouts du charolais.

La charolaise a sauvé l’aubrac ! L’aubrac inspirera-t-il le charolais ?

La charolaise a sauvé l’aubrac ! L’aubrac inspirera-t-il le charolais ?

Éleveur-paysan, longtemps président de l’INAO, André Valadier est connu surtout pour être le « père fondateur » du plateau de l’Aubrac. Pendant près d’une heure, il est revenu sur cette fabuleuse histoire vivante. « Je voudrais ne pas oublier de transmettre aux éleveurs du Charolais un message de reconnaissance », débutait-il avec son joli phrasé d’Occitan. Car, en 1960, la race aubrac est tombée en désuétude économiquement et menace de disparaître, malgré le fromage laguiole issu du lait des aubracs. La charolaise est alors dans une dynamique totalement inverse.

« Je suis une archive de la dernière génération à avoir fabriqué des tracteurs vivants sur pattes », rappelle-t-il la force motrice des bœufs qui servaient aux travaux de force. Une modernité contemporaine d’alors qui devient « un concurrent redoutable » malgré la « résistance » de quelques éleveurs d’aubrac, dont il fait partie. Non pas contre le tracteur, mais parce que l’aubrac « n’avait alors plus de destination », de destinée, de destin… Les effectifs de la race s’effondrant, les « premiers symptômes de consanguinité » apparaissent alors. « C’est le croisement avec des charolais qui a permis à l’aubrac de tenir. Ces produits ont suscité l’intérêt à nouveau de quelques structures économiques via l’Italie, ce qui a permis de maintenir un troupeau en race pure ». Mais sur ce balancier de la vie, le retour « était trop facile » et « on partait sur un méli-mélo invraisemblable ». Les schémas génétiques sont alors revus « pour éviter de ne plus avoir aucune identité ». Un plan de conservation qui aboutit donc sur un plan de relance pour mettre en avant les qualités d’élevage de la race aubrac. De là, naîtra même une IGP (indication géographique protégée), génisse fleur d’aubrac, « résultant d’un croisement direct de première génération aubrac-charolais ».

Avec ses massifs, ses deux rivières… ce territoire de montagne, « au sud du Massif central dans sa partie volcanique », a été « façonné par les troupeaux pendant des siècles ». Des scientifiques (agronomes, sociologues…) se penchent sur la renaissance de ce territoire et « après avoir un peu dédaigné ces études », les morceaux du puzzle ont commencé à s’emboîter « et on a perçu la relation entre activité économique et milieu naturel ». Avec encore beaucoup de travail, tout ceci a donné une « image » au plateau de l’Aubrac, avec notamment son point d’orgue annuel, la transhumance « qui est devenue aussi une fête » et une économie. « Les fleurs sur la tête des vaches » ont fait ressortir les intérêts botaniques du territoire. Les touristes, sur le chemin de Compostelle, comprennent alors le rôle de la fertilisation, du fromage servant à conserver le lait, de la vache transformant l’herbe en lait… Voulant valoriser ses savoirs, André Valadier prend la présidence de l’Inao, à l’heure de la naissance des AOP. « J’aurais voulu appeler les cahiers des charges plutôt des cahiers de ressources » car, pour lui, les conditions de production doivent avoir pour « but d’apporter un maximum de valorisation au produit », d’abord gustativement, mais aussi en termes « d’image », pour le lait, le fromage, la viande… redisait-il inlassablement. Tout est dans le détail comme les magnifiques sonnailles portées lors des transhumances. Un tout qui aboutira sur la création du Parc naturel de l’Aubrac, « la dernière création collective qui rassemble tous les acteurs : les éleveurs, les gens du tourisme, les artisans… ».

André Valadier donnait un contre-exemple pour bien faire ressortir ses propos sur la nécessité de rester acteur de sa réussite collective et individuelle. « Notre zone de montagne aurait pu avoir des aides pour compenser ses handicaps. Se bagarrer pour être classé en handicap majeur, se souvient-il sa dernière AG de sa coopérative à la Terrisse où il a milité pour ne pas basculer toute notre énergie dans la culture intensive du handicap. La Pac n’est pas notre client ». De quoi ensuite être sûr de ses forces et refuser les avances de Disney ou ne rien lâcher aux enseignes de distribution. Ainsi, « l’aubrac a su conserver ses qualités allaitantes » pour fabriquer notamment le fromage au lait cru Laguiole et l’aligot qui en dérive, « avec un prix du lait payé aux producteurs dans les cinq meilleurs de France ». Au Charolais maintenant de s’inspirer de l’Aubrac, invitait Daniel Rizet, plus que jamais volontaire pour lancer une « dynamique de territoire ».