Visite du préfet « référent loup »
Vers des tirs de prélèvement

Cédric MICHELIN
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Ce mardi 1er septembre à Martigny-le-Comte, le préfet « référent loup » au niveau national, Jean-Paul Celet, a rencontré les éleveurs victimes d’attaques. 56 ovins ont été tués en seulement deux mois. La profession lui a démontré que l’élevage saône-et-loirien - surtout de moutons, qui plus est charollais - n’est pas compatible avec la présence du loup. Des tirs de défense sont désormais autorisés et bientôt, après respect des règles communautaires, des tirs de prélèvements. Une brigade spécialisée de l’OFB pourrait également intervenir.

Vers des tirs de prélèvement

À l’image de la cinquantaine d’éleveurs masqués en raison du Covid-19, Jean-Paul Celet a rappelé qu’il faudra certainement apprendre « à vivre avec le loup », soit de façon permanente, soit sur des périodes (deux-trois ans) ou plus ponctuellement « sur son passage ». « Il faut se préparer aujourd’hui en s’accoutumant aux procédures ».
Autant dire que les éleveurs du département ne l’entendent pas du tout ainsi. La cinquantaine d’éleveurs présents le lui ont signifié. À la fin de la rencontre à Martigny-le-Comte, le cri du cœur d’un éleveur, au bord des larmes sans doute aussi sous l’effet de la fatigue des rondes de nuit et de l’accumulation du travail avec la sécheresse, venait rappeler à tous que oui, les éleveurs sont sous le « choc » des attaques car ce sont des éleveurs passionnés mais que non, ils n’entendent pas « s’accoutumer » à voir leurs animaux dépecés.
Le nouveau préfet de Saône-et-Loire, Julien Charles, l’a déjà bien compris, lui qui le matin même avait déjà signé l’autorisation de tirs de défense, après ceux d’effarouchement le 4 août. Le préfet référent loup au niveau national, Jean-Paul Celet, déroulait le « cadre réglementaire », sous l’oreille attentive des agents de l’OFB (Office français de la biodiversité) présents. Tirs d’effarouchement, de défense « simple », de défense « renforcé », de prélèvement. La « procédure » semblait trop longue pour les éleveurs. « J’estime qu’on a déjà été bien patients. L’heure a sonné de prendre une décision radicale », souhaitait Claude Ducert sur son exploitation.
Il fait partie des 13 exploitations victimes du loup. 18 attaques officielles pour 56 ovins tués (+13 blessés) « par suite de blessures », comptabilisait Laurent Solas, technicien à la chambre d’agriculture, soulignant ainsi au passage la souffrance des brebis ainsi déchiquetées. Sans compter les victimes « non-officielles », non déclarées, s’agaçait un autre éleveur. Des chiffres alarmants en seulement deux mois !

Impossible de tout protéger

Pour l’heure, dix dossiers pour obtenir des dispositifs de protection ont été reçus à la DDT et 30.000 € de crédits « obtenus rapidement », se félicitait Julien Charles. Mais l’objet de la visite à la demande de la FDSEA, de JA et de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire était plutôt de démontrer clairement la « non-protégeabilité de notre territoire ». Président de la section ovine à la FDSEA, Alexandre Saunier appelait dès lors à accélérer : « c’est bien d’avoir obtenu des tirs de défense mais quand pourra-t-on vous dire qu’on n’a pas réussi à le tirer ? », questionnait-il, sachant parfaitement qu’avec « notre mode d’élevage en lots et avec une multitude de kilomètres de haies, on se sent impuissant » face au loup qui a de grandes chances de n’être jamais même aperçu par un chasseur. Comme lui, les autres éleveurs veulent passer à des tirs de prélèvement. La députée Josiane Corneloup précisait l’intention générale nationale pour prévenir toute mauvaise interprétation : « les éleveurs ne veulent pas éradiquer le loup mais réguler les populations ».

Tirs « dérogatoires »

Ce à quoi semblait disposer à faire Jean-Paul Celet, venu sur place pour justement « voir comment adapter le cadre général à vos spécificités [...] mais en restant bien dans le droit communautaire ». La France est l’un des seuls pays en Europe à maintenir des « autorisations dérogatoires pour tuer le prédateur ». Car depuis 2019, le seuil fixé à 500 loups pour la préservation de l’espèce a été dépassé - 580 officiellement mais plutôt « 700-800 » après le croisement des données OFB-professionnels - et la France a fixé un « seuil de destruction » jusqu’à 19 %, soit une centaine de loups "à tirer". 98 loups ont donc été tués en 2019 : 60 par des louvetiers, 15 par des éleveurs (avec permis de chasse-, 4 par des chasseurs (non éleveur), 14 par la brigade OFB et les autres dû au « braconnage ». La population des loups croit de 20 % par an donc une centaine de loups pourraient être abattus à nouveau sur les 36 départements concernés. Vice-président de la chambre, Luc Jeannin plaidait pour privilégier les "dérogations" sur les territoires comme le notre « où la population est enchevêtrée avec l’élevage », à la différence des espaces plus sauvages.

Une brigade en renfort

Revenant sur son message premier de « préparer au mieux » les éleveurs à « vivre » ou à « tuer » le ou les loups, Jean-Paul Celet proposait que la brigade spécialisée « des tirs renforcés » - qui officie dans l’Arc alpin – vienne en Saône-et-Loire « pour une analyse du comportement du loup, savoir où il peut attaquer, où se poster et l’enseigner à vos louvetiers qui connaissent le terrain, pour être le plus efficace ». Dernière preuve que le préfet référent loup avait bien entendu les demandes des éleveurs, « je suis là pour protéger vos troupeaux avec un maximum d’efficacité et nous mettrons tous les moyens nécessaires ». Le département va vite être reclassé « du cercle 3 au cercle 1 ». Surtout, un nouvel arrêté doit être pris fin septembre pour « casser la progressivité » de la procédure autorisant les différents tirs. Ainsi, des « tirs de prélèvement pourront être plus facilement accordés après demande du préfet départemental et accord du préfet coordonnateur ». Le président de la FDSEA, Christian Bajard, le remerciait d’avoir tenu son engagement de venir en septembre. Il appelait néanmoins à « aller très vite » sur ce sujet. Il a d’ailleurs alerté Julien Denormandie vendredi à Autun. « L’éleveur ne peut pas être la variable d’ajustement du loup », avait alors répondu fort à propos le ministre de l’Agriculture.

« Nous ne sommes pas un zoo » !

« Nous ne sommes pas devenus éleveurs pour nourrir le loup tous les soirs. Nous ne sommes pas au zoo », a interpellé François Delaunay, un des éminents membres fondateurs de la race mouton charollais. « C’est une catastrophe, lançait-il aux préfets - au coté de Pascal Chaponneau, l’actuel président de l’OS -, au-delà du préjudice moral, ce sont des souches génétiques détruites. C’est le fruit de 50 ans de sélection qui ne peut être remplacé. C’est inestimable ». Le chargé de l’agriculture au Conseil départemental, Frédéric Brochot, se disait « prêt à intervenir si besoin entre l’indemnisation et la perte réelle estimée pour un animal inscrit ou sa valeur bouchère ».
Si un éleveur bressan mentionnait l’arrivée imminente d’un lynx dans le proche Jura, un autre éleveur attirait l’attention de tous sur le « moyen de protection » que sont les chiens patous. « Il va falloir avertir les voisins et promeneurs car j’ai deux patous et au bout de deux ans, j’ai eu des problèmes avec la gendarmerie et la SPA ». Conscient cette difficile cohabitation sur les chemins, l’État cherche à créer une filière pour « former » ces chiens de défense pour qu’ils n’attaquent plus les humains. Un problème qui reste cependant marginal : avec 102 morsures répertoriés l’an dernier, « le fait de 70 chiens déviants sur 5.000 en France ».