EXCLU WEB : Les barrières non tarifaires au centre des accords internationaux

À l’occasion de la publication d’un rapport consacré aux accords de libre-échange et de politique agricole commerciale, Chambres d’agriculture France (APCA) a organisé une conférence-débat qui confrontait le commerce international avec la stratégie environnementale de l’Union européenne. Avec en toile de fond, le cas des clauses-miroirs et l’ajustement du carbone aux frontières.

EXCLU WEB : Les barrières non tarifaires au centre des accords internationaux

Dans les accords internationaux, ce sont les droits de douane qui sont les premiers sur la table des négociations et qui font l’objet d’âpres discussions. « Dans ce domaine, il reste encore des marges de manœuvre pour les produits agricoles et agroalimentaires », concède Thierry Pouch chef du service économique de Chambres d’agriculture France (APCA) qui a piloté un rapport sur les accords de commerce international (lire encadré). Cependant, « la question des barrières non-tarifaires occupe une place décisive dans ces négociations » ajoute Sébastien Windsor, président de l’APCA. Ces barrières visent à protéger son marché de la concurrence extérieure. Les exemples les plus courants sont les contingents, les normes techniques ou sanitaires ou des textes législatifs favorisant les entreprises nationales.

 

Besoin d’exporter

 

Pour le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, la « politique commerciale doit être un instrument de politique publique qui doit améliorer la compétitivité de l’agriculture ». Mais comment créer de la valeur économique avec la transition écologique et la faire reconnaître dans les accords internationaux ? Il faut d’abord sortir du dogme qui fait qu’en France et en Europe on a toujours nié créer de la valeur environnementale. Toujours selon lui, il est nécessaire d’avoir une vision comme celle de Farm to Fork « qui a cependant oublié le rôle nourricier  de l’agriculture », juge-t-il au passage. Surtout, il faut commencer par lutter contre le dumping au sein de l’Union européenne et faire en sorte que les socles environnementaux et sociaux puissent irriguer les relations internationales. Le député Jean-Baptiste Moreau (LREM, Creuse) ne demande pas autre chose quand il suggère « d’uniformiser les règles européennes car nos principaux concurrents sont les pays de l’Union européenne », estime-t-il. Encore faut-il savoir où placer le curseur de ses règles internes pour éviter de perdre des parts de marchés, tant au sein du marché communautaire que sur celui des pays tiers. «  L’agriculture française a besoin d’exporter, sinon en six mois, l’agriculture disparaîtra », plaide le député auvergnat qui pousse le bouchon plus loin en demandant de « revoir de fond en comble les règles de l’OMC qui datent des années 1990. Car elles ne correspondent plus à la réalité de l’économie mondiale ».

 

L’Europe : puissance normative et d’influence

 

Jouer sur les clauses miroirs est une solution qu’avance Julien Denormandie. Mais les mettre en œuvre se révèle difficile car elles dépendent de différents commissaires européens. Par exemple celle relatives aux antibiotiques dits de croissance relèvent de la commissaire à la Santé, Stélla Kyriakídou quand celles de la traçabilité sont dans le portefeuille de son collègue à l’Agriculture Janusz Wojciechowski. « Or, ces clauses sont examinées en tuyau d’orgue. Il n’y a aucune coordination », se désole la sénatrice Sophie Primas (LR, Yvelines). Encore la mise en place de telles mesures doivent-elles être opérationnelles et aussi contrôlées, plaide Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes. Il veut lui aussi que les standards exigeants de l’Union européenne en termes de contrôles vétérinaires, de contrôle de qualité, de bien-être animal ou encore de lutte contre la déforestation intègrent les « nouvelles théories du commerce international ». Cependant, dans les accords commerciaux, il est avant tout question de commerce d’un peu de santé mais pas de mode de production. Si les importations de viande bovine dopée aux antibiotiques est interdite en Europe, c’est avant tout parce que les instances internationales (comme l’Organisation mondiale de la santé) veulent lutter contre l’antibiorésistance, autrement dit de lutter contre le risque que les antibiotiques deviennent à terme inefficaces si on en multiple les usages.  

L’idéal serait que  ces contrôles répondent aux mêmes normes et mêmes exigences d’un pays à l’autre. Mais là encore, il n’existe aucune règle commune internationale…

« L’Union européenne doit donc se montrer comme une puissance normative et d’influence », défend Thierry Pouch qui prévient toutefois que vouloir trop imposer à nos partenaires commerciaux pourrait avoir des effets négatifs. « Attention à de possibles mesures de rétorsions de leur part », mentionne-t-il, détaillant la palette des sanctions possibles : d’une simple perte de confiance à la remise en cause des accords bilatéraux. Mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières n’ira pas de soi, annonce l’économiste de l’APCA « car la comptabilisation des émissions carbone de chaque exploitation est une tâche ardue », explique-t-il. C’est pourquoi il sera nécessaire de doser « progressivement la réciprocité », avance Clément Beaune. « Il nous faut avancer pas à pas, résolument, sans reculer sur nos ambitions », conclut Sébastien Windsor. Nul doute que l’équilibre sera long à trouver.

Le rapport des Chambres d’agriculture France

Le rapport (au demeurant très éclairant) de 108 pages que Chambres d’agriculture France vient de publier établit le constat que le multilatéralisme commence à s’essouffler. En effet, le cycle de Doha commencé il y a plus de 20 ans n’est toujours pas achevé, avec pour conséquence le développement d’accords bilatéraux (UE-Canada, UE-Mercosur…). Dans un tel contexte, « la facilitation de l’accès au marché européen à des produits plus compétitifs ne fera qu’accentuer les difficultés auxquelles sera confrontée l’agriculture européenne sur le plan concurrentiel », poursuivent les auteurs du rapport. La Commission européenne doit donc se positionner comme le chef de file de la transition écologique avec la France comme fer de lance du dossier des clauses miroirs qui doit faire face aux réticences de la Commission européenne, plaident-ils. Quant à limiter l’impact de la libéralisation des échanges agricoles pour limiter voire interdire les importations de produits contribuant à la déforestation, ce serait une étape nécessaire « mais non suffisante pour se tourner vers un commerce porteur de systèmes alimentaires durables », note le rapport. Autrement dit, le cheminent vers un multilatéralisme environnemental en est encore à l’état embryonnaire.

Le rapport est disponible sur le site des Chambres d’agriculture (https://chambres-agriculture.fr/ ) rubrique Publications.