Sécheresses et générateurs anti-grêles
Peu d'effets sur les pluies

Cet été, les esprits se sont échauffés avec la sécheresse. Une vive polémique a éclaté entre les promoteurs des générateurs anti-grêle, viticulteurs de Bourgogne et du Beaujolais, et ceux qui "subissent" cette troisième sécheresse, se situant en zones d’élevage à proximité. Chef du centre météorologique de Météo France à Dijon – où se trouve la Direction interrégionale Centre-Est -, le météorologue, Denis Thévenin a répondu à nos questions. 

Peu d'effets sur les pluies

Pourriez-vous, en quelques mots, rappeler comment se forment les nuages, la pluie, la grêle ? Et la différence entre météo et climat ? De plus, un consensus se dégage autour du changement climatique mais qu’en est-il pour notre région autour de la Saône-et-Loire ?
Denis Thévenin : La météo est le temps qu’il fait précisément à un instant ou sur une courte période en un lieu donné, à ne pas confondre donc avec le climat, défini comme une moyenne des « temps qu’il a fait » sur une longue période (températures, pluies, ensoleillement…). "Le" climat varie sur le temps long sous l’action de « forçages » externes et de mécanismes internes au système climatique. Ces variations ne sont pas ou peu perceptibles à l’échelle humaine. Néanmoins, le changement climatique est maintenant bien mesuré et établi par les experts du Giec. On observe une augmentation des températures de l’ordre de +1°C depuis le début du XXe siècle sur nos régions.

Les précipitations annuelles semblent plus irrégulières depuis quelques années, qu’en est-il ?
D.T. : Le lien entre augmentation de la température et précipitations est plus complexe, globalement il y a une augmentation des précipitations par augmentation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère : plus il fait chaud, plus l’air peut contenir de vapeur d’eau. Cette dernière vient pour près de 90% des océans et 10% des surfaces terrestres.
Les données de 1960-2010 montrent une légère augmentation des précipitations sur nos régions principalement au printemps et en automne et de façon plus modeste en hiver, sans variation significative en été.
De septembre à avril, les précipitations sont le plus souvent sous forme de perturbations océaniques. En été, elles prennent un caractère orageux, par essence très hétérogènes et avec de fortes variabilités.

Côté climat et temps long, l’augmentation des températures a une influence sur la circulation générale océanique et atmosphérique. Les perturbations se forment à la limite entre l’air froid arctique et l’air chaud tropical. Cette limite est saisonnière et fluctuante en latitude montant vers le nord l’été, plus basse l’hiver laissant circuler les perturbations océaniques. 
Sur nos régions, un des effets du changement climatique peut être un déplacement vers le nord de cette limite, avec pour conséquence un décalage des perturbations vers le nord de l’Europe et donc un arrosage moindre sur une partie du pays, ce qui est par ailleurs simulé par les modèles climatiques.

Mais lorsque la température augmente, l’évapotranspiration et l’évaporation augmentent. Ne devrait-il pas y avoir plus de nuages et de pluies ?
D.T. : En cas d’absence de précipitations, la surface devient sèche, il n’y a plus l’évaporation qui limitait les températures (l’évaporation refroidit la surface). D'ailleurs,  les températures maximales extrêmes sont toujours observées sur sol sec. Ainsi, sur sol sec, les températures maximales sont de +2 à +4°C, c’est une boucle de rétroaction, les températures déjà plus chaudes le sont plus encore avec des conséquences délétères sur les végétaux (arrêt de la végétation, brunissement, dépérissement…).

Côté orages, il y a deux cas de systèmes : les orages organisés en ligne dans un flux établi résultant d’un conflit de deux masses d’air ayant de fortes différences de températures et les orages locaux. Pour les premiers, la grande échelle l’emporte le plus souvent sur la petite échelle, autrement dit l’influence de l’environnement local reste marginal.
Pour les orages locaux, au contraire, le local peut l’emporter. La rugosité du sol, le relief (>300 m de dénivelé) peuvent favoriser le soulèvement de la masse d’air, les vallées diriger l’orage. L’apport de vapeur d’eau supplémentaire est à considérer (zones humides, forêts de grande superficie, état d’humidité des sols, le type de cultures, d’agriculture…), Tous ces facteurs peuvent expliquer en partie l’hétérogénéité des quantités sous orages.
Dans le cas de cette année et de la typologie des surfaces en Saône-et-Loire, les apports locaux de vapeur d’eau à recycler restent trop limités pour régénérer des précipitations.

Lors de la dernière décennie, la Saône-et-Loire a connu quatre années de sécheresse. Quid à l’avenir ?
D.T. : Il faut bien différencier la sécheresse météorologique (déficit des précipitations) de la sécheresse agricole (sols superficiels secs).
L’augmentation des températures entraîne un découplage entre les deux, à précipitations constantes, voire en légère hausse, les processus décrits ci-dessus ont pour conséquences une augmentation de la fréquence des sécheresses agricoles.
Contre intuitivement, c’est la température qui est déterminante dans la sécheresse agricole, vient ensuite le manque de précipitation.
L’étude des pluies des dernières décennies sur la Saône-et-Loire le montre, la variabilité annuelle de la quantité d’avril à septembre est sensiblement identique alors que pour le nombre de jours avec sols très secs, il y a une nette rupture à partir des années 2000 que l’on peut attribuer au changement climatique surtout si cette tendance se confirme dans les années à venir.
Le contexte à la fois des températures et de la sécheresse des sols est général sur des grandes régions (plus de la moitié de l’Europe en 2020) même si on observe de petites différences au niveau local (petites régions, départements, infra-département)
De ce point de vue, on ne peut imputer les causes à des pratiques locales mais bien à des causes structurelles et générales.

Quid des générateurs

Des éleveurs – près de certains générateurs – estiment que la sécheresse est causée par ces mêmes générateurs, est-ce possible ? Si oui ou/et non, pourquoi ?
D.T. : Concernant la lutte anti-grêle, la technique utilisée consiste à ensemencer les nuages de noyaux de condensation avec pour objectif d’augmenter le nombre de particules de glace au détriment de leur grosseur.
Si cela fonctionne en théorie et en laboratoire, en conditions naturelles, les masses et énergies en jeu dans un cumulonimbus sont telles qu’il n’est guère possible de modifier ni la structure du nuage, ni sa trajectoire.
A titre d’illustration, un cumulonimbus de taille moyenne absorbe dans son courant ascendant 9.000 tonnes de vapeur d’eau par seconde, en condense 7.200 t, précipite 4.000 t d’eau par seconde.
La formation de la grêle a lieu à un endroit bien précis du nuage, entre les courants ascendants et descendants qui se côtoient, le déplacement du nuage, la chance pour que cet "ensemencement" ait lieu à la fois au bon moment et au bon endroit est bien faible. Cette technique n’a jamais fait sa preuve d’efficacité, preuve qui de toute façon est impossible à établir.
Comme toute particule solide, les noyaux de condensation issus de la combustion du mélange de d’iodure d’argent et d’acétone retombent rapidement au sol, s’ils sont pris dans un courant ascendant et qu’ils participent à la condensation, ils se retrouvent dans l’eau de pluie, sinon retombent au sol par les courants descendants.
L’ensemencement est parfois utilisé pour favoriser la condensation en période de sécheresse, si en théorie la technique peut rendre la condensation plus efficace, le résultat reste décevant car, au final, c’est bien la quantité de vapeur d’eau disponible qui conditionne la quantité de précipitations possible.
En résumé, cette technique ne peut avoir d’effet sur la trajectoire des orages, probablement pas efficace et très probablement sans effet sur la quantité d’eau aux alentours. Les conséquences environnementales ou sanitaires de cette pratique ne sont de ma compétence.