Mal-être en agriculture
La prévention du mal-être en agriculture se déploie en Bourgogne

Marc Labille
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Un programme de prévention du mal-être en agriculture est engagé à l’échelle de la Bourgogne. Chef de file de cette mobilisation d’envergure, la MSA vient de réunir une conférence sur le sujet à Autun. 

La prévention du mal-être en agriculture se déploie en Bourgogne
Une centaine de personnes ont assisté à la conférence consacrée au mal-être en agriculture à Autun organisée par la MSA Bourgogne. Parmi elles, de nombreuses « sentinelles » fraîchement formées, mais aussi d’autres acteurs du monde agricole, des gendarmes, etc…

Le 28 novembre dernier à Autun, la MSA Bourgogne organisait une conférence sur le thème du mal-être en agriculture. Cet évènement s’inscrit dans un travail de fond engagé à l’échelle nationale. Face au constat d’un mal-être sévissant en agriculture avec une surmortalité liée au suicide, un certain nombre de résolutions ont été prises du national comme au local. En première ligne sur la prévention du mal-être, la MSA est l’un des acteurs majeurs de cette mobilisation. Elle veille au déploiement d’un programme de prévention du mal-être en agriculture. Ce programme s’appuie notamment sur la création d’un « réseau de veilleurs » au sein du monde agricole. Il s’agit de personnes formées pour « être en capacité de détecter, d’orienter, d’accompagner d’autres personnes en proie au mal-être », présente Maud Dekyndt, responsable de ce programme à la MSA de Bourgogne.

Un réseau de 104 sentinelles en Bourgogne

Ces sentinelles sont en place en Bourgogne depuis un an. Elles sont une centaine de personnes issues d’organisations professionnelles agricoles, d’associations, vétérinaires, fonctionnaires de la DDT, gendarmes, etc. Toutes ont suivi une formation spécifique de deux jours. Elles ont appris à détecter les signaux faibles, à connaître les facteurs de risques et les mécanismes psychosociaux. La MSA intervient également dans le cadre d’un comité technique mal-être créé en 2022 et qui réunit avec elle les Directions départementales des territoires (DDT), l’Agence régionale de santé (ARS) et d’autres partenaires institutionnels. « Le réseau est encore en construction », confie Maud Dekyndt qui ajoute que le programme est là pour « coordonner les dispositifs existants ; les rendre visibles, les faire connaître avec trois piliers : humaniser, aller vers, accompagner ».

« Une ombre qui plane sur les territoires ruraux »

La conférence d’Autun a réuni une centaine de personnes, parmi elles, de nombreuses « Sentinelles » fraîchement formées, mais aussi d’autres acteurs du monde agricole, des gendarmes, etc. Le mal-être en agriculture est « une ombre qui plane sur les territoires ruraux », introduisaient Mauricette Besançon et François Vaillant, tous deux co-présidents du comité paritaire d’action sanitaire et sociale de la MSA Bourgogne. Se félicitant de la création de ce nouvel acteur qu’est le réseau des Sentinelles, les deux élus appelaient de leurs vœux « la restauration du mieux-être de la population agricole ».

« De l’humanité pour traiter les facteurs de risque »

Premier intervenant de cette journée, le Docteur en psychologie sociale François-Régis Lenoir estimait que la santé mentale et la violence systémique - à l’origine du mal-être (lire encadré) - sont encore des sujets tabous. « Tout commence seulement », introduisait-il. Le défi est d’autant plus grand qu’il faut remettre en cause « notre relation à la santé mentale », tout comme il est difficile d’engager une remise en cause systémique… Il est en effet toujours plus confortable de cibler « un vilain canard », faisait remarquer l’expert. « Il faut apporter de l’humanité pour traiter les facteurs de risques en agriculture », estimait François-Régis Lenoir. S’en prendre à tous ces facteurs de risque implique nécessairement une remise en cause collective.

En agriculture, les facteurs de risques psychosociaux sont nombreux et les causes du mal-être d’un individu sont toujours multifactorielles. Dans les grilles d’analyse de cas, ces facteurs de risques sont les changements du métier, la communication, la charge de travail, le degré de liberté, les compétences, la reconnaissance, le soutien social, l’équilibre des sphères de vie, les évènements de vie, l’évolution des partenaires du monde agricole…

Les particularités de l’agriculture…

François-Régis Lenoir pointe les particularités de l’agriculture qui la distinguent du secteur des entreprises. L’absence d’objectif commun et surtout, « le fait qu’un agriculteur est tout petit face à la DDT, aux Ministères, l’Europe, la banque, la MSA… ». Pour prévenir le mal-être, il faudrait donc « changer les interactions entre des grandes institutions et les agriculteurs. Certaines entités institutionnelles ou professionnelles ont beaucoup grossi : comment y remettre de l’humanité ? », questionnait le docteur en psychologie. « L’hypertrophie de la sphère professionnelle au détriment des autres sphères de vie (personnelle, familiale, sociale…) est un autre facteur de risque dévastateur », alertait François-Régis Lenoir.

 

« Réseau Psy », un dispositif d’appui en santé mentale
L’après-midi, Clara Martineau, cadre de santé au Centre Hospitalier Spécialisé de Sevrey, a présenté les outils Réseau Psy, 3114 et Vigilan’S.

« Réseau Psy », un dispositif d’appui en santé mentale

« Réseau Psy est un dispositif d’appui en santé mentale en Saône-et-Loire spécialisé dans la coordination d’un parcours de soins », présentait Clara Martineau, cadre de santé au Centre Hospitalier Spécialisé de Sevrey. Destiné aux situations dites « complexes », ce dispositif mobile est là pour « prévenir les ruptures de soins », y compris lorsque l’offre de soins est limitée, expliquait l’intervenante. Réseau Psy repose sur une équipe comprenant notamment un médecin psychiatre, deux infirmières, une assistante sociale… Il dispose d’un numéro vert 0800 071 000 et d’un mail reseau.psy@ch-sevrey.fr. Réseau Psy s’adresse aux professionnels de santé, médecins, partenaires sociaux, famille, entourage… La demande débouche sur l’établissement d’une fiche d’inclusion. L’équipe de Réseau Psy prend alors contact avec la personne demandeuse ainsi qu’avec les partenaires existants autour du patient. Si nécessaire, le Réseau prend contact avec le patient. Une visite à domicile lui est proposée pour « une évaluation de la situation avant examen en réunion clinique pluriprofessionnelle ». Cette analyse de la situation permet d’orienter la personne vers la bonne prise en charge et de prendre contact avec les partenaires ciblés pour prendre le relais. Réseau Psy accompagne jusqu’à la prise en charge du patient.

3114, le numéro de la prévention du suicide

3114 est le numéro d’appel national (24h/24 – 7 jours/7) de prévention du suicide, pour les personnes en détresse, ayant des pensées suicidaires et pour tous ceux qui souhaitent aider une personne en souffrance : proches, professionnels, sentinelles… Au bout du fil, ce sont des professionnels formés qui ont la capacité d’évaluer le risque. Quand la personne confirme au téléphone avoir envie de mettre fin à ses jours, disposer d’un scénario pour le faire ainsi que des moyens, « alors c’est un cas d’urgence vitale qui impose d’appeler le Samu », alerte Clara Martineau.

Vigilan’S pour prévenir la récidive suicidaire

Vigilan’S est un dispositif national pour prévenir la récidive suicidaire. Il s’adresse aux personnes ayant tenté de se suicider dès leur sortie des services d’urgence ou d’hospitalisation. L’inclusion dans le dispositif Vigilan’S déclenche une veille de six mois durant laquelle, la personne est rappelée au téléphone. Ces appels réalisés par des professionnels de santé mentale permettent de réévaluer la situation, explique Clara Martineau. Trois antennes de Vigilan’S couvrent le territoire Bourgogne Franche-Comté (Dole, Dijon, Sevrey). 75 % des récidives interviennent dans les six mois suivant la tentative de suicide. Le dispositif Vigilan’S permet de diminuer le risque de 38 %.

Remettre en cause la violence systémique

Dans son approche historique de la santé mentale, François-Régis Lenoir appuie que le mal-être et les risques-psychosociaux renvoient indubitablement à de la violence. Une violence qui s’est légitimée dans le développement sociétal de l’espèce humaine, en même temps que son impact s’est décuplé avec l’accroissement de la puissance du cerveau humain. Après la violence naturelle liée aux animaux prédateurs préhistoriques, l’homme en s’organisant en tribus est aussi devenu doué « d’ultraviolence », capable de massacrer toute une tribu voisine… La domination humaine s’est mise en place et s’il y a bien eu « une étape de construction de la morale » censée permettre la maîtrise de la violence, les résultats ont tout de même été mitigés, relatait François-Régis Lenoir qui évoquait « les usages violents légitimés », par exemple dans l’éducation des enfants. « Tout comportement violent est un comportement appris », poursuivait-il. Apprise, transmise, cette violence légitimée est finalement devenue systémique puisqu’elle émane d’un leader, d’un groupe, d’une organisation sociétale. Un constat étayé par l’expérience de François-Régis Lenoir qui a réalisé de nombreux audits psychosociaux en entreprises. Cette légitimation de la violence commence à être remise en cause aujourd’hui : violence intrafamiliale, violence faite aux femmes, harcèlement… « Nous vivons un moment particulier », estimait l’expert laissant espérer un sursaut d’humanisme.