Philippe Dessertine, économiste
Datas et avenir radieux dans l’agriculture

Alexandre Coronel
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La production de denrées alimentaires reste un enjeu stratégique dans le monde qui se dessine, prédit Philippe Dessertine, économiste expert invité à l’AG d’Interval. Mais la révolution numérique va bouleverser le secteur agricole, plus vite et plus fort que la mécanisation ou l’électrification des campagnes.

Datas et avenir radieux dans l’agriculture
Philippe Dessertine est directeur de la chaire Finagri, qui œuvre au financement de l’investissement dans l’agriculture et se veut aussi un  observatoire scientifique des émissions de finance verte et soutenable.

Philippe Dessertine, spécialiste de la finance, enseignant, et créateur de la chaire Finagri dédiée à l’investissement agricole et aux énergies vertes, a apporté une perspective optimiste au sujet de l’avenir de la production agricole, à l’occasion de l’assemblée générale de la coopérative Interval le 14 décembre dernier à Arc-lès-Gray (Haute-Saône). Comme l’a souligné l’intervenant, la ‘pandémie’Covid-19 et la guerre en Ukraine ont remis au centre du jeu géopolitique la production alimentaire. « Nous avons touché du doigt la fragilité du modèle basé sur les importations, et entrevu la nécessité de renforcer la souveraineté alimentaire du pays, mais pas seulement. Si l’an dernier, nous n’avions pas pu fournir l’Égypte en blé, c’est 100 fois plus de migrants qui seraient arrivés sur les plages européennes ! La souveraineté alimentaire se raisonne à l’échelle du bassin méditerranéen ». Comme l’énergie ou l’industrie, l’agriculture fait désormais figure d’activité économique stratégique.

Perspectives démographiques et relativisme climatique

Comme l’a souligné l’intervenant, fraîchement débarqué de la Cop 28 de Doha, il faut élargir nos perspectives et voir au-delà du contexte franco-français occidentalo-centré que nous servent quotidiennement les mass-médias. « L’espérance de vie est corrélée au niveau de vie : plus on est riche, et plus on vit vieux, c’est aussi simple que ça… et on ne peut pas en vouloir à ceux qui traversent les mers et franchissent les murs pour un avenir meilleur, si ce n’est pas pour eux, pour leurs enfants ! » Sans omettre de rappeler que les murs n’ont jamais été très efficaces « pas plus celui de l’empire romain pour se protéger des invasions barbares que la grande muraille de Chine censée arrêter les Mongols… ».

Sortir des clichés

Philippe Dessertine a aussi mis en exergue la pauvreté de la communication professionnelle agricole, à travers l’exemple du clip télévisuel de Coop de France et celui de la ferme agricole du XIXème siècle offerte en modèle réduit aux petits citadins. « Il y a un divorce insidieux entre les Français et leur agriculture, il faut réinvestir le champ d’une communication moderne pour renouer le lien, redonner de l’attractivité aux métiers de la production. Il faut faire appel à des professionnels ! »

La population mondiale continue de croître, davantage du fait de son vieillissement que de celui de la démographie, ce qui impose de recalibrer les besoins alimentaires de l’humanité à cette aune. Mais la vraie révolution, c’est celle de la data (la donnée). « La valeur des produits agricoles ne se réduit pas à leur nature physique, leur valeur d’usage, diététique, le nombre de calorie… mais elle s’enrichit aujourd’hui de toutes les données qui l’accompagnent, depuis la semence jusqu’au produit finale. La capacité à collecter, analyser et exploiter ces données sera le facteur clé de la réussite dans l’agriculture du futur ». Il a aussi fait le lien entre climat et big datas, pour accompagner la transition vers un modèle de production plus vertueux. « Les datas vont jouer un rôle crucial dans cette transition, ce sera des données extra-financières, qui démontreront la vertu environnementale des pratiques agricoles qui ont permis de produire ».