60e Congrès des œnologues de France
De plus en plus, faire avec les logos « sans »

Cédric MICHELIN
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Est-ce le château de Pierreclos le 28 avril ou les vins de Mâcon la veille à la cave à Musique, toujours est-il que les œnologues présents à leur congrès national, du 27 au 30 avril, étaient d’humeur taquine sur des questions pourtant d’avenir : les vins sans sulfite, l’étiquetage numérique ou encore le recyclage. Une chose est sûre, les œnologues ont des choses à dire (et à faire) pour que « la bouteille vous parle ».

De plus en plus, faire avec les logos « sans »

Derrière cette thématique, déterminée dès 2018, la Commission technique Centre Est voulait aborder « plusieurs facettes », et les reports successifs, faute au Covid, ont finalement permis un riche et intéressant programme – après 23 visioconférences de préparation – pour ce Congrès des Œnologues de France. Valérie Lempereur de l’IFV et Éric Pilatte, œnologue-conseil à Dracy-le-Fort, avaient divisé la journée "formation" du 28 avril au Château de Pierreclos pour traiter ce « sujet d’actualité pour les metteurs en marché et les consommateurs. Au-delà du transport et de la conservation du vin, la bouteille est porteuse d’autres fonctionnalités dans le contexte actuel et futur de digitalisation et de développement durable ».

La partie conférence débutait par un tour d’horizon des macarons apposés sur la bouteille comme « premier message » envoyé aux consommateurs et répondant à différentes attentes : sociétales, pratiques viticoles ou œnologiques, AOP-IGP, certifications et labels, environnementaux souvent.

La multiplication des logos « verts »

L’IFV a cherché à recenser l’ensemble de ces démarches dans le monde, non sans difficulté (charte en japonais…). Non exhaustif, la liste n’en reste pas moins impressionnante : 54 certifications dont 33 uniquement dédiées à la viticulture sur 22 pays, mais pour 66 pays producteurs. L’Europe est en tête avec 30 démarches, moitié pour l’Amérique et seulement trois en Asie. Valérie Lempereur les a alors classifiées selon plusieurs approches. « Ces démarches sont portées par différents acteurs : un État, un organisme national, une ONG, des structures, un Homme, un certificateur… ».
En France, 27 démarches environnementales concernent les filières viticoles dont deux multifilières (AB, HVE). Sans surprise, la majorité des logos (non-OGM, limitation intrants…) sont « verts » à l’image de l’eurofeuille AB. À noter d’autres labels bio : Biodyvin, Naturland en Suisse, Ecovin en Allemagne… « Derrière toutes », il y a deux normes ISO 14001 pour l’environnement et ISO 26000 pour la RSE « avec une déclinaison » vin. Douze démarches incluent les trois piliers du développement durable.
Mais toutes n’ont pas le même niveau d’exigence : réglementaire simple, obligations de moyens ou de résultats. Parmi les principales démarches en France, Terra vitis (45.000 ha), HVE (multifilières, 862.000 ha dont 14.721 exploitations viticoles), AB (9.784 exploitations viticoles, 80.000 ha certifiés et 57.700 ha en conversion), Demeter (649 adhérents) ou encore, avec « beaucoup de coopératives », Vignerons Engagés (31.800 ha). Mais la démarche RSE, portée par l’organisme Afnor, est peu connue, uniquement « des grosses maisons de négoce » ou la Sicarex, glissait Valérie Lempereur de l’IFV du Beaujolais.

Un tiers sans mentions légales

À ces démarches « durables », est venue se rajouter « la présence de rien » : les « sans » et notamment « sans sulfite » « ajouté » ou « sans résidu de pesticides », répondant à des peurs ou à des allégations santé. Mais les recherches sociales ou scientifiques manquent pour comprendre les ressorts des consommateurs « achetant l’absence de certaines pratiques » lors de la production des raisins puis des vins.
C’est l’objectif des études de Ronan Symoneaux (ESA) et Carole Honore-Chedozeau (Sicarex) sur les vins sans sulfite, qui faisait vrombir la centaine d’œnologues visiblement prêts à en débattre "sans" fin. « Ce marché bouge mais comment les producteurs communiquent-ils dessus ? », rajoutait Ronan Symoneaux. Ses étudiants ont fait la collecte de plus de 200 étiquettes, dont 182 complètes avec la contre-étiquette lorsqu’elle existait, le tout principalement sur trois bassins : Beaujolais, Val-de-Loire et Sud-Est. La mention "sans sulfite ajouté" est alors à 69 % sur des vins rouges, 19 % des blancs et 5 % des rosés. À 48 % en AOP et 45 % en vins de France. Parfois, l’absence d’ajout de sulfites est seulement « sous-entendue ». Car « il n’y a pas un logo repris systématique » mais pléthore de différents. « Un tiers des bouteilles ne mettait alors pas les mentions légales » et contient des sulfites.

Des risques assumés

Côtés producteurs toujours, les motivations sont là encore diverses. Il ressort des 32 interviews menées (Domaines, Coopératives, Maisons) diverses motivations, en premier répondre à un marché « sans en connaître la taille » ; répondre à la distribution « cavistes notamment » ; vouloir un « clean label » produit sans et aussi pour des raisons de convictions personnelles : philosophiques, environnementales ou allergies. « Certains producteurs assument une recherche d’une meilleure expression du terroir ou de caractéristiques organoleptiques », ce qui provoquait l’hilarité de la salle. Ronan Symoneaux reprenait sur « le challenge technique » pour eux, mais pour lui, contradictoire de ces « profils technos et non interventionnistes ».
En tout état de cause, les producteurs se lançant « assument une prise de risque » sur le potentiel de conservation plus court, sur les déviations aromatiques, sur les difficultés d’agrément par rapport à la typicité AOC…

L’ajout de rien

La Sicarex les a aussi évalués sur leur niveau de connaissance, de compréhension et d’interprétation de la réglementation. Résultat moyen. « Par prudence, certains mettent les mentions légales même en dessous des 10 mg/l ». À leur décharge, Ronan Symoneaux observe des « incertitudes sur le seuil et du flou » côté DGCCRF, en cours de négociations avec la filière vins. Au final toutefois, « ce manque de clarté ressort et représente un risque ». C’est pourquoi certains n’affichent pas « sans sulfite ajouté » sachant que le caviste va le préciser lors de la vente, ce qui n’est pas possible en grande distribution.
Prenant son rôle d’expert viticole, Éric Pilatte tranchait le débat sur les vins « sans sulfite ajouté » : « ils n’ont pas de cadre organoleptique clair. On voit déjà des litiges se réglant à l’amiable ou au judiciaire et c’est souvent à l’expert de trancher ». Et de conclure en rappelant un texte de loi de 1921 toujours en application : « Ne peuvent être considérés comme vin propre à la consommation, […] les vins atteints de maladies, avec ou sans acescence, les vins présentant un goût phéniqué, de moisi, de pourri ou tout autre mauvais goût manifeste ». La salle applaudissait, « sans » retenue, en guise d’approbation.

Sans sulfite ajouté : un marché pas que de « bobos parisiens »

Si l’on comprend bien que les œnologues ne sont pas pour les vins « sans intervention » ou « sans sulfite ajouté », plusieurs de leurs questions méritaient d’être approfondies. « C’est hypocrite et contraire au devoir d’information » ; « on ne va bientôt plus pouvoir parler de vin sans… adjectif : comme les vins vegans » ; « on oublie les fondamentaux : le terroir, l’histoire, les vraies valeurs passent après » ; « un progrès ? l’œnologue a besoin d’outils pour prévenir les déviations » ; « le sans sulfite aide-t-il à valoriser le marketing traditionnel ? Est-ce que la Romané Conti a besoin de mettre le logo AB pour se valoriser ? Non »…
Carole Honore-Chedozeau leur répondait en partie sur la « psyché » des consommateurs et leurs représentations sociales des vins "sans". Avis qui ne sont pas figés dans le temps.
En interrogeant 187 personnes (130 Femmes, 57 Hommes), elle a recueilli 935 mots qu’elle a alors regroupés avant de les classer, par importance et par connotation positive, neutre et négative. Le « cœur » des convertis au « sans sulfite ajouté » cite des mots comme : Bio, Naturel, Sain donc « bon pour la santé, positif et rassurant ». Le second cercle cite : nature, écologique, bon, « pas mal de tête », nouveau, effort (du producteur), non modifié (moins transformé), biodynamie mais commence à rajouter des mots neutres tels que : travail, effet de mode, interrogation voire, un mot connoté négativement : attention à la conservation. Enfin, le cercle le plus éloigné du « noyau central » va porter des « visions plus individuels » avec des mots comme : qualité, sans, goût, meilleur, plus authentique, petit producteur mais aussi commercial, argument marketing voire de la méfiance pouvant être « très négatif sur le sans ajout alors que le vin contient des sulfites ».
Ronan Symoneaux sait qu’il reste « pas mal de travail pour comprendre les a priori » de tout bord et « l’impact de ces communications » sur le reste des vins ne se revendiquant pas "sans". Deviendront-ils le positionnement « de référence » comme le bio ? En tout cas, « c’est un marché et pas que de parisiens bobos qui achètent », concluait-il, stoppant le ton ironique de la salle.