Guerre en Ukraine
« Défense et agriculture relèvent de la stratégie »

Berty Robert
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La chambre d’agriculture de Bourgogne Franche-Comté a organisé une visioconférence avec l’eurodéputé de Saône-et-Loire, Arnaud Danjean, sur le thème des conséquences possibles de la guerre en Ukraine sur notre agriculture. Passionnant, documenté... et inquiétant. 

« Défense et agriculture relèvent de la stratégie »
Eurodéputé LR de la Saône-et-Loire, Arnaud Danjean est un très bon connaisseur des questions liées à la défense et aux rapports géopolitiques. Il répondait le 19 avril à une invitation de la chambre régionale d’agriculture de BFC. Il était également présent lors de la dernière AG de la FDSEA à Charolles fin mars.

Il rentrait tout juste d’Inde où il avait participé à la renégociation d’un accord de libre-échange : Arnaud Danjean est à l’aise dans le domaine de la politique étrangère. L’eurodéputé de Saône-et-Loire était donc l’interlocuteur tout trouvé pour tenter de nous éclairer sur le conflit guerrier entre la Russie et l’Ukraine, et la Chambre d’agriculture régionale de BFC avait bien fait de le solliciter en ce 19 avril, pour participer à une visioconférence, à l’issue de la tenue de son bureau mensuel. Ce très bon connaisseur des dynamiques géopolitiques qui secouent et bousculent notre monde avait la possibilité d’éclairer les participants sur les risques économiques globaux que ce conflit aux portes de l’Europe fait peser, en particulier sur le secteur agricole. « Pour moi, précisait-il d’emblée, les questions de défense et les questions agricoles vont ensemble : elles relèvent de la stratégie ».

« Ce n’est pas un conflit de plus… »

Même si, rappelait-il, l’Europe de l’après Seconde Guerre mondiale avait déjà été ébranlée par les conflits liés à la désintégration de l’ex-Yougoslavie, dans les années 1990, « en Ukraine, nous avons un conflit qui va considérablement rebattre les cartes, avec une dimension nucléaire prépondérante et des pertes militaires russes qui, depuis le 24 février, sont déjà d’une ampleur considérable. Ce n’est pas un conflit de plus, c’est autre chose… Le caractère inédit de cette guerre introduit un bouleversement international de grande ampleur. Il ne faut pas perdre de vue qu’hors de l’Europe, certains pays sont déjà rattrapés par ses conséquences sur les plans agroalimentaire et énergétique ». Fort de ce préambule, l’eurodéputé s’est risqué à tracer à grands traits les possibles scénarios qui pourraient émerger dans cette crise majeure, lors des prochaines semaines, en écartant d’entrée l’hypothèse d’une fin rapide du conflit (voir encadré). Il est ensuite vite revenu sur les impacts concernant l’agriculture. La nécessité de revoir la stratégie "Farm to Fork" incluse dans la prochaine Pac de 2023, qui prévoit une attention particulière portée sur les bonnes pratiques agro-environnementales, lui paraît évidente dans ce contexte : « Il est malheureux de constater qu’il aura fallu un tel conflit, précise Arnaud Danjean, pour que la Commission européenne prenne conscience de la nécessité de produire pour nourrir. Il faut surseoir à des mesures qui auraient pu nous pénaliser ».

« Nous allons devoir nous habituer »

L’eurodéputé craint aussi des conséquences extra-européennes dramatiques dans les six à huit mois qui viennent, avec des crises alimentaires qui s’annoncent dans des pays d’Afrique du Nord ou sub-sahariens, très dépendants des fournitures de blés russes ou ukrainiens. « Nous risquons aussi de constater des égoïsmes nationaux au sein même de l’Union européenne. On est entré dans une période tumultueuse mais, pour autant, je ne crois pas en une extension du conflit ni à un embrasement généralisé. En revanche, je pense que cette guerre va durer, je crains un isolement long de la Russie et nous allons devoir nous habituer à vivre avec tout cela… ».

Parmi les participants à la visioconférence, le Côte-d’Orien Jean-Pierre Fleury, très impliqué lui aussi dans les instances européennes, soulignait une autre dimension à prendre en compte : « On réalise aujourd’hui qu’il va falloir produire plus, afin de compenser les manques de productions issues d’Ukraine ou de Russie mais on oublie que toutes les conditions ne sont pas réunies pour une agriculture rentable : la remise en culture de jachère, ce n’est pas grand-chose et les conditions ne sont pas réunies pour que l’acte de produire se fasse dans les dimensions nécessaires. L’agriculture, ce n’est pas un bouton qu’on allume ou qu’on éteint en fonction des besoins du moment… »

Trois scénarios face à la crise

Arnaud Danjean évoque trois évolutions possibles de la situation actuelle :
- « On peut tout d’abord imaginer la capitulation d’un des acteurs engagés, mais c’est peu probable, si l’on prend en compte la résistance farouche des Ukrainiens et le refus, pour le pouvoir russe, d’accepter une défaite ».
- « On peut aussi imaginer un règlement négocié de la crise mais il ne semble pas qu’on en prenne la direction. Je prédis plutôt un durcissement du conflit dans les prochaines semaines, jusqu’à la date du 9 mai, hautement symbolique pour les Russes puisqu’elle marque la victoire de l’Union soviétique contre les troupes nazis en 1945. Tout dépend du moment où l’un des acteurs estimera avoir atteint un objectif dont il pourra se prévaloir. Il faut aussi garder à l’esprit qu’en Ukraine, dans la région du Donbass, dans l’est du pays, cette guerre a commencé il y a huit ans, en 2014. On peut donc très bien s’installer dans un scénario de ni guerre-ni paix qui n’est pas sans précédent : les deux Corée sont dans cette situation depuis… 1953 ! »
- « Enfin, on peut imaginer un conflit qui dure mais avec des intensités variables. Les Ukrainiens se sentent forts et ne lâcheront pas le morceau, quant aux Russes, ils ne voudront pas perdre la face ».