À l’approche des élections européennes, et dans un contexte de protestations, les partis politiques soignent les agriculteurs. C’est particulièrement le cas de la droite au sens large. Les enquêtes d’opinion prévoient une montée des partis conservateurs et d’extrême droite, un assez net recul des Verts et un effritement pour les partis traditionnels (sociaux-démocrates, centre et droite), ce qui pourrait aboutir à un Parlement européen toujours plus morcelé et difficile à contrôler. Le « cordon sanitaire » vis-à-vis de l’extrême-droite devrait néanmoins continuer à s’appliquer, excluant de facto les nombreux élus français du Rassemblement national qui devraient rejoindre l’hémicycle. Et globalement, l’influence française pourrait s’éroder.
La vague de contestations dans le monde agricole européen en ce début d’année 2024 a assurément marqué un tournant politique sur le Vieux Continent et a placé l’agriculture au cœur des enjeux du début campagne électorale en vue de l’échéance du 6 au 9 juin. Pour Franck Sander, vice-président de la FNSEA et référent du syndicat sur les questions européennes, « voir les agriculteurs dans les rues de la quasi-totalité des pays de l’UE n’est pas anodin » et montre « l’échec global de la politique agricole menée par Bruxelles depuis cinq ans ».
En réponse à ce mouvement général, l’ensemble des principaux partis européens ont intégré des dispositions ou des références à l’agriculture dans leurs discours ou manifestes. Le PPE (Parti populaire européen, droite) en tête, principale force politique de l’hémicycle, mais qui voit son contingent d’eurodéputés se réduire petit à petit depuis vingt ans. Par peur de voir le vote rural s’envoler vers sa droite, il se revendique depuis des mois, avant même le début des mouvements de protestations, comme « le parti des agriculteurs ». Candidate pour un deuxième mandat à la tête de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen a d’ailleurs réaffirmé lors de son intronisation les 6 et 7 mars au congrès de Bucarest (Roumanie) que « le PPE sera toujours du côté de nos agriculteurs, mes amis, tel doit être notre message ».
Chez les sociaux-démocrates (S & D), eux aussi en perte de vitesse sur le plan électoral, la situation est quelque peu différente. Ne figurant pas initialement parmi les enjeux clés de leur campagne, les questions agricoles se sont finalement imposées comme un sujet qui compte dans leur Manifeste adopté le 2 mars, à l’occasion du congrès de Rome. Ainsi, une page, sur la vingtaine que compte le document, est consacrée à l’agriculture et l’environnement.
Groupe central dans la prise de décision à Strasbourg au cours de cette législature, Renew Europe n’est pas en reste pour tenter de conserver sa troisième place. Il a publié, le 4 mars, un plan d’action pour soutenir l’agriculture européenne qui reprend nombre des demandes exprimées par le secteur agricole et les États membres. En France, Renaissance ne manque pas de rappeler les origines rurales de Valérie Hayer, la tête de liste désignée par le parti pour ces élections.
Chez la Gauche (où siège la France insoumise), les sujets agricoles restent plus marginaux dans le programme. Du côté des Verts, le message de verdissement de la Pac est devenu moins audible contrairement à 2019 quand l’arrivée en nombre d’élus écologistes (passant de 51 à 72 sièges) avait poussé dans le sens de l’adoption d’un Green deal. Cette fois, leur contingent pourrait, selon les prévisions, se réduire à une cinquantaine au maximum.
L’extrême-droite à l’affût
Dans une dynamique positive dans les sondages, les partis politiques des conservateurs eurosceptiques (ECR) – où siège Fratelli d’Italia de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, les Polonais du Pis, et, probablement, le Fidesz du Premier ministre hongrois Viktor Orban ainsi que les Français de Reconquête menés par Marion Maréchal – et d’extrême droite (ID) – constitué autour du Rassemblement national (RN), des Allemands de l’AfD et des Néerlandais du Parti pour la liberté de Geert Wilders – nourrissent de grandes ambitions pour ce scrutin qui pourrait les voir jouer un rôle plus important dans le processus de décision au Parlement européen. Ces deux groupes qui sont ceux qui devraient enregistrer la plus forte poussée, pourraient y devenir respectivement les troisième et quatrième forces dépassant les centristes de Renew.
Jordan Bardella, la tête de liste du RN à l’élection du 9 juin, l’a bien compris. Le 28 mars, il a déclaré qu’il verrait bien son parti politique à la tête de la commission de l’Agriculture du Parlement européen (Comagri), pourtant chasse gardée de la droite depuis deux mandatures. Le président du parti français d’extrême-droite estime qu’en cas de large succès électoral, les eurodéputés du groupe ID seraient en droit de réclamer des postes à responsabilités à Strasbourg et ainsi rompre le « cordon sanitaire » mis en place autour d’eux. Le groupe ECR, lui, n’est pas concerné par ce front républicain et a régulièrement fait alliance, ces derniers mois avec la droite traditionnelle, notamment pour faire barrage aux mesures de la stratégie De la ferme à la table.
La droite au centre
En 2019, et tout au long de la mandature qui a suivi, c’est le groupe Renew qui a tenu une position charnière pour faire basculer la majorité, soit du côté de la droite (avec le PPE et l’ECR), soit du côté de la gauche (avec le S & D et les Verts) en fonction des dossiers. En 2024, au vu des différents sondages, c’est le PPE qui va récupérer cette position de pivot. Fort de ce rôle, celui-ci souhaiterait travailler, à l’issue des élections, sur un accord de coalition. Même si une majorité classique entre la droite, Renew (centre) et le S & D reste l’hypothèse la plus probable, le PPE aurait aussi la possibilité de trouver une alliance plus à droite. En fonction des résultats électoraux, une majorité alliant le PPE, l’ECR, l’extrême droite et les non-inscrits (les députés ne siégeant dans aucun groupe) est envisageable. Ces deux alternatives politiques sont à coude à coude, et le PPE en joue pour imposer ses vues et exiger des garanties, sur l’agriculture notamment. Le parti de droite envisagerait de faire durer ces discussions jusqu’en septembre, repoussant donc de plusieurs semaines – par rapport au calendrier habituel – le lancement de la phase suivante, à savoir la nomination du collège des commissaires européens.
Si ce n’est le poids plus important pris par la droite conservatrice, par rapport à la 9e législature (2019-2024) globalement, les équilibres devraient néanmoins rester les mêmes. Toutefois, l’incertitude sera beaucoup plus grande du fait de la perte de puissance des grands partis traditionnels. D’autant plus que les groupes au Parlement européen ne sont pas aussi homogènes qu’au niveau national et que leurs voix, bien souvent s’éparpillent, comme l’ont montré, par exemple, les votes sur le règlement Pesticides ou la loi sur la restauration de la nature.
La France en perte d’influence
Au-delà de cette restructuration globale, une dynamique de recomposition des équilibres au sein des groupes politiques, eux-mêmes, est également à l’œuvre. Un mouvement qui pourrait assez nettement réduire l’influence française au Parlement européen. D’une part, parce que nombre d’élus français (un gros tiers, voire la moitié) devraient siéger dans des groupes qui sont en dehors des discussions : ID surtout avec le Rassemblement national, mais aussi, chez la Gauche radicale dont l’influence est très limitée. Les Républicains, au regard des sondages, seront, eux, en nombre réduit dans leur groupe PPE, dont les rênes resteront à n’en pas douter entre les mains des élus allemands, espagnols et polonais. Les Français se positionnent, de toute façon, déjà en marge de cette majorité, refusant même de soutenir la candidature d’Ursula von der Leyen au poste de présidente de la Commission européenne.
Au centre, dans le groupe Renew, le nombre d’élus français devrait légèrement reculer après la forte percée enregistrée en 2019, dans la foulée de l’accession d’Emmanuel Macron au pouvoir. Les élus macronistes constituaient le principal contingent du groupe et en étaient le moteur, obtenant la présidence de plusieurs commissions parlementaires (l’Environnement pour Pascal Canfin, la Pêche pour Pierre Karleskind, la sous-commission Défense pour Nathalie Loiseau) et la présidence du groupe (pour Stéphane Séjourné puis Valérie Hayer). Cette fois, la direction du groupe pourrait se constituer autour d’une alliance entre Allemands, Tchèques et Néerlandais aux positions plus libérales que celles des Français.
Le contingent français au sein du groupe S & D devrait s’étoffer, du fait de la bonne dynamique enregistrée, pour l’instant, par la campagne de leur tête de liste Raphaël Glucksmann, mais le groupe restera aux mains des Italiens, Espagnols et Allemands. Au niveau agricole, les élus français devraient néanmoins continuer à postuler à la commission de l’Agriculture au sein de laquelle ils étaient encore nombreux lors de cette mandature. D’importants dossiers agricoles sont à venir : l’avenir de la Pac en premier lieu mais aussi les textes en suspens issus du Green deal (bien-être animal, pesticides, sols, NBT, semences…).