Life Carbon Farming
Des élevages viande se sont engagés à réduire leur empreinte carbone

Marc Labille
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Le 23 mai, Alsoni Conseil Elevage et l’Institut de l’Elevage présentaient le programme Life Carbon Farming en Saône-et-Loire. 

Des élevages viande se sont engagés à réduire leur empreinte carbone
Contrairement aux idées reçues, les bovins émettent davantage de méthane par éructation (rots) que par leurs flatulences (pets). Pour valider les prédictions d’émissions utilisées dans le cadre des bilans CAP2’ER, l’Institut de l’Elevage effectue des mesures de terrain à l’aide d’un appareil à laser.

À la Guiche, le Gaec du Breuil est l’une des dix exploitations suivies par Alsoni dans le cadre de Life Carbon Farming. Le Gaec réunit Anthony et ses parents Anne-Marie et Christian Decerle. La structure compte aujourd’hui 140 vêlages scindés en deux périodes distinctes de mise bas. Tous les animaux passent l’hiver en bâtiment sur le site récent du Breuil. Ce dernier a été repris par la famille Decerle en 2003. À l’époque, le siège de l’exploitation à l’autre bout du village ne permettait pas de construire de bâtiment d’élevage adéquat. L’exploitation avait alors opté pour la conduite des bovins en plein air. En 2010, Anthony et ses parents se sont lancés dans le solaire. En douze ans, cinq bâtiments à toitures photovoltaïques ont vu le jour sur le site du Breuil. Quatre d’entre eux appartiennent à la famille Decerle qui produit de l’électricité à son propre compte pour un total d’environ 650 kWc. Ces toitures solaires ont permis aux associés de financer leur parc de bâtiments d’élevage. La vente d’électricité couvre en effet les annuités, fait valoir Anthony.

Photovoltaïque et engraissement

Exit le plein air, l’exploitation est montée jusqu’à 170 vêlages avant d’opter pour un allongement du cycle de production ; autrement dit, engraisser davantage d’animaux avec moins de vaches à vêler. Depuis deux ans, le Gaec finit toute sa production. Auparavant repoussés pour être vendus broutards à 420-450 kg de poids vifs, les mâles sont désormais engraissés en babys vendus à environ 470 kg de poids de carcasse pour 18 mois d’âge. Ce changement de stratégie a induit une autre gestion des stocks, fait remarquer Anthony. Heureusement, les associés n’ont pas eu à trop modifier leur système. Sur les 190 ha de SAU, ils avaient déjà une quarantaine d’hectares de céréales à paille et une quinzaine d’hectares de maïs ensilage. « Les charges de structures sont restées les mêmes », confie l’éleveur qui ajoute que l’engraissement a permis de « diluer ces charges ». Quant aux bâtiments, c’est le photovoltaïque qui a permis de financer les équipements nécessaires, tant pour loger les animaux à l’engrais que les stocks fourragers et d’aliments.

L’engraissement de toute la production a augmenté le chiffre d’affaires de la structure. Les babys sont vendus en moyenne 1.000 euros de plus par tête comparés aux broutards avant augmentation des cours. Mais « la finition des mâles est quand même plus technique », confie Anthony.

Des kilos de viande vive par UGB

Le Gaec du Breuil soigne la productivité de son troupeau. Avec un intervalle vêlage-vêlage moyen de seulement 363 jours sur la campagne 2023, l’objectif convoité d’un veau par vache et par an est atteint. Pour y parvenir, Anthony s’en donne les moyens. Il est intransigeant sur les dates d’entrée et de sortie des taureaux qui ont deux mois - et pas un jour de plus - pour saillir les vaches. Les vaches qui ne remplissent pas n’ont pas de seconde chance, commente Sarah Besombes, technicienne à Alsoni. Avec 147 veaux nés pour 140 vêlages, « la prolificité est bonne ». En 2023, la mortalité avant 7 mois atteignait 7,5 %, mais la moyenne des autres campagnes est plutôt autour de 5 – 6 %, indique la technicienne. Une baisse des poids à la naissance depuis trois ans traduit le choix de l’éleveur d’utiliser des taureaux à vêlage facile et transmettant de bonnes aptitudes au vêlage. De fait, le Gaec n’assiste aucun vêlage. La rigueur appliquée aux réformes se traduit par peu de vieilles vaches dans le troupeau.

La productivité globale de l’élevage s’élève à 103 %, un très bon chiffre, souligne Sarah Besombes qui fait remarquer que tout est fait ici pour limiter les UGB improductives. La durée d’engraissement des femelles est limitée à trois mois ; les femelles sont systématiquement échographiées à 35 jours… Aucune perte de temps n’est tolérée.

Toute cette rigueur technique se retrouve dans la production de viande vive par UGB calculée dans le cadre du bilan CAP2’ER. En 2022, elle s’élevait déjà à 380 kg de viande vive par UGB alors que les mâles n’étaient pas encore tous engraissés.

La ferme nourrit 850 personnes par an !

Le bilan environnemental réalisé sur l’exploitation faisait ressortir un certain nombre de contributions positives. Ainsi, la ferme permettait-elle de nourrir 850 personnes par an. Avec ses 135 ha de prairies permanentes et ses 20 km de haies, elle stocke une importante quantité de carbone tout en entretenant la biodiversité. Les toitures solaires sont un vrai plus pour l’exploitation qui produit ainsi de l’énergie renouvelable décarbonée. A contrario, l’exploitation consomme de l’énergie et son troupeau de ruminants émet une importante quantité de gaz à effet de serre. L’azote est une source de pollution qui pèse aussi dans son bilan. Au final, le Gaec du Breuil parviendrait à compenser 24 % de ses émissions de gaz à effet de serre rien qu’avec le carbone stocké dans ses prairies et ses haies.

Dans le plan d’action de cinq ans que l’exploitation s’est fixée dans le cadre de Live Carbon Farming, l’allongement du cycle de production des mâles et le développement de la production d’énergie solaire devraient contribuer à améliorer grandement ce bilan. La chasse aux animaux improductifs que livre Anthony ; le fait d’optimiser le nombre de bêtes présentes pour une quantité de viande vive produite sont autant de leviers qui devraient porter leurs fruits. Le vêlage à 2 ans est une solution envisageable, font valoir les experts d’Alsoni. Les gains d’autonomie alimentaire, limitant les achats extérieurs, améliorent également le bilan carbone. Anthony envisage d’ailleurs incorporer davantage d’herbe dans la ration de ses taurillons dont il continue de peaufiner la conduite.

 

 

Une démarche rémunérée par la vente de crédit carbone

Méthane, dioxyde de carbone et protoxyde d’azote sont trois gaz à effet de serre (GES) émis par les élevages de ruminants. Selon les chiffres de la FAO datant de 2013, l’élevage serait contributeur de 14,5 % du total des émissions mondiales de GES… Mais il est aussi doté de nombreuses vertus, liées notamment aux prairies naturelles – véritables puits de carbone, qui en font le seul secteur économique capable de compenser ses émissions. De ce fait, l’élevage de ruminants a même un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et son impact peut être amélioré encore par divers leviers qui sont à la portée des éleveurs.

Partant de ce postulat, le projet Life Carbon Farming se donne pour objectif de réduire de 15 % l’empreinte carbone de 700 fermes européennes. Et pour atteindre cet objectif, il fait appel à un système de rémunération des éleveurs basé sur le résultat.

Plan d’action de 5 ans

Courant de 2021 à 2027, le projet Life Carbon Farming concerne 406 fermes en France. Partenaire de cette opération, Alsoni Conseil Élevage suit 10 de ces exploitations en Saône-et-Loire, dans la Nièvre, dans l’Allier et dans le Rhône. Pendant cinq ans, conformément à la méthode Carbon Agri, ces fermes tentent de diminuer leurs émissions de GES tout en augmentant la séquestration du carbone. Les leviers résident dans la gestion du troupeau (sanitaire, âge au premier vêlage, performance, génétique…) ; l’alimentation (qualité des fourrages, pâturage, autonomie protéique…) ; les déjections (pâturage, stockage et épandage, méthanisation…) ; les cultures (fertilisation, légumineuses, rotation…) ; les économies d’énergie. La séquestration du carbone passe quant à elle par des cultures intermédiaires, la durée des prairies, le travail simplifié du sol, l’implantation de prairies, les haies, l’agroforesterie… Toutes ces actions génèrent des « co-bénéfices » qui profitent à l’environnement (biodiversité, agronomie, qualité de l’eau et de l’air, consommation et production d’énergie).

32 €/tonne de carbone évitée

Les exploitations suivies dans le cadre du projet Life Carbon Farming se soumettent à l’outil CAP2’ER. Un bilan carbone est réalisé la première année. Il permet d’établir un plan d’action carbone pour les cinq ans d’engagement. Ce plan s’appuie sur les différents leviers vus plus haut. Un second bilan CAP2’ER est effectué au bout de cinq ans. Il permet de mesurer le niveau d’atténuation de l’empreinte carbone par rapport à l’audit initial. Cette performance de réduction de l’empreinte carbone donne lieu à un crédit carbone. Certifiés par le Ministère, ces crédits pourront alors être monnayés dans le cadre d’une vente à des acheteurs privés ou territoriaux désireux de compenser leurs émissions. La rémunération s’élève à 32 €/tonne de carbone évitée. Une exploitation qui parvient à réduire son empreinte carbone de 460 tonnes peut ainsi gagner 14.700 € de revenu supplémentaire, fait valoir l’Institut de l’Élevage.