Visite du préfet référent loup
L’indemnité de la perte génétique au cœur de la visite du préfet référent loup

Ariane Tilve
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Ils étaient nombreux à l’attendre, jeudi 31 août au GAEC – Elevage Comeau de Saint-Eusèbe. Députés, sénateur, OS Charolais, mais aussi les représentants d’une quinzaine de départements concernés par la prédation du loup étaient au rendez-vous pour interpeller Jean-Paul Célet, le préfet référent loup, sur le contenu du futur plan national d’actions (PNA) sur le loup, dont la parution a été reportée. 

L’indemnité de la perte génétique au cœur de la visite du préfet référent loup
De g. à d., la députée Corneloup, le député Margueritte, le préfet Célet, le sénateur Genet, le conseiller départemental Brochot et le président de Races de France, Hugues Pichard.

En termes d’indemnisation lors d’une attaque lupine, le lait ou encore la viande sont pris en compte mais pas la sélection, au grand dam des éleveurs qui craignent la perte de l’excellence française. Le chiffre d’affaires de la génétique du troupeau français est évalué à 13 milliards d’euros. Comment évaluer dès lors le coût d’une perte de création et/ou de diffusion génétique lors d’une attaque de prédateur ? C’est l’épineuse question à laquelle doivent répondre les éleveurs, les élus et les représentants de la filière ovine et bovine réunis à l’occasion de cette visite attendue. Une question qui n’est pas évoquée dans le projet de Plan d’actions sur le loup qui doit entrer en vigueur en 2024, pour une durée de cinq ans, tout comme le précédent. Et c’est justement en raison de l’échec du précédent plan à protéger les élevages que les filières ovines et bovines se mobilisent. « La génétique doit être clairement mentionnée dans le prochain PNA. La prédation a un impact sur la création et la diffusion génétique. C’est un problème pour la filière tout entière », insiste Claude Font, secrétaire général de la Fédération nationale ovine (FNO) et co-président du comité régional ovin.

L'exemple du Gaec Comeau

Ce Gaec regroupe Stéphane Comeau, son frère Cédric et son fils Killian. C’est Stéphane qui présente l’exploitation, un élevage qui vends tous les ans, au niveau génétique, une moyenne de 25 agnelles par an. « Killian s’est installé en 2019 en reprenant une exploitation qui avait un poulailler, explique Stéphane Comeau. Nous avions prévu d’augmenter la production ovine, mais après une attaque du loup, nous avons préféré construire un second poulailler ». Ici, on fait de la génétique avec 135 brebis et sept béliers reproducteurs. Les brebis sont réparties sur sept parcelles pour que la paternité soit garantie en période de reproduction. En temps normal, il dispose tout de même de quatre à cinq parcelles avec de futurs béliers reproducteurs, également commercialisés. « Nous inséminons environ trente brebis qui doivent être laissées trois semaines entre elles. Mais le soir de l’attaque, nous les avons toutes regroupées dans l’urgence. En termes de résultat, nous sommes habituellement autour des 70 % de fertilité. Là, nous sommes tombés à 45 %. J’ai réinséminé l’année suivante, mais pas l’année dernière, ni cette année parce que nous avons un loup localisé à 5 ou 6 kilomètres à vol d’oiseau », détaille Stéphane Comeau, la gorge serrée. Résultat, des agneaux en moins pour le schéma génétique alors qu’un agneau venait d’être acheté par l’OS 1.200 €. C’est une perte financière, mais aussi une perte dans la diffusion de la génétique. De cette génétique dépends la qualité du lait et des produits transformés.

Depuis le début de l’année, plus de 150 constats d’attaques ont été effectués en Saône-et-Loire, dont 87 "loup non exclu" et sept "lynx non exclu", selon les termes administratifs. Une prédation dont les bovins sont également victimes. Un éleveur a relaté l’attaque de l’un de ses veaux de 18 mois le 15 avril dernier, à proximité d’un chemin communal et une maison d’habitation à 20 mètres avec des enfants. « Un jour ce seront eux qui seront attaqués. Ce serait triste d’en arriver là. Il faut prendre les mesures qui s’imposent », réclame le chef d’exploitation.
 

 
Au-delà de l’indemnisation, la protection


Car ce ne sont pas les réponses et mesures actuelles qui sont en mesure de le rassurer. Difficile de protéger des troupeaux avec des filets, qui plus est en raison du paysage bocager et de la multitude de parcelles. « Pour ce qui est de la génétique, on demande aux éleveurs d’établir une paternité, ce qui implique de mettre en place des lots bien distincts avec chaque bélier. Mais il ne nous est plus possible de travailler dans de bonnes conditions parce qu’il nous est impossible de tout parquer avec une dizaine de lot. Pour ma part, il faudrait que je débourse 47.000 euros pour faire le tour de l’exploitation. Mais ensuite qui entretien tout cela ? il me faudrait un salarié à temps plein », ironise Pascal Chaponneau, président de l’OS mouton charollais. Ajoutez à cela l’efficacité relative de ces filets qui ne sont plus électrifiés puisqu’en raison de la sécheresse les terrains qui manquent d’eau ne font plus contact. Idem pour les chiens : « lorsque l’on a douze lots, il faudrait élever douze chiens, qui ne sont d’ailleurs pas une réponse fiable en raison, notamment, de problème avec le voisinage et du temps que cela nécessite ».

Quant aux tirs de défense, le préfet insiste en sur le fait que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesnaux, et celui de la Transition écologique, Christophe Béchu, ne sont certes pas pour le laisser faire, mais Pierre-Henri Panier, responsable du Massif du Jura et coresponsable de la Commission prédation à la chambre régionale d’agriculture avec Alexandre Saunier, l’interrompent aussitôt : « vous avez dit la même chose l’année dernière et la procédure s’est encore alourdie. Il faut, en plus de l’ancienne procédure, solliciter l’accord du préfet coordinateur pour avoir un tir de défense ». Jean-Paul Célet affirme que l’accord est généralement délivré en une heure. Dans les faits, Pierre-Henri Panier conclu que ce n’est pas toujours le cas et qu’il lui a fallu attendre 48 heures pour un tir de défense devenu obsolète. « Nous demandons une intervention systématique des louvetiers pour un tir de défense », insiste-t-il. Une expérimentation de tir à 500 mètres devait être mise en place. 


 
Une filière en danger, qui continue à se battre envers et contre tout


Dans ces conditions, il est très difficile de faire perdurer la génétique française, que l’on considère comme l’une des toutes meilleures au monde. « Et tout cela à cause d’un prédateur », s’insurge le président de l’OS charolais France et président de Races de France. Il met en cause la législation autant que la volonté politique qui ne sont pas adaptés aux réalités de ces éleveurs passionnés. « La détresse est partout sur le territoire parce que le plan loup va encore nous expliquer qu’il y a moins de loup qu’il n’y en avait avant alors qu’il a conquis plus de 20 départements en une année. Les indices n’ont pas été remontés la plupart du temps parce que nous avons des militants en guise de professionnels, chez des journalistes, des administratifs et des chercheurs. Nous, les paysans, sommes en désarroi », se lamente Jean-Paul Bouveresse du Doubs.

Ils sont de plus en plus nombreux à se tourner plus ou moins progressivement vers d’autres filières, que ce soit en bovins, eux aussi attaqués, ou en volaille. Les jeunes sont de moins en moins nombreux à s’installer en ovin, voir en bovin et la prédation du loup n’est pas anodine. « Les jeunes n’ont pas envie de se lever un matin pour voir des bêtes éventrées. On nous parle de bien-être animal, d’étourdissement dans les abattoirs à grand renfort de vidéos choc, mais rien, ou presque, sur ces attaques », s’insurge un éleveur qui revient de Normandie. Selon lui, la politique lupine menée ne met pas uniquement en péril la filière et le troupeau, c’est tout un savoir-faire qui risque d’être perdu si des éleveurs passionnés tels que Stéphane Comeau décident d’arrêter.


À l’issue des Assises de la prédation, qui se sont tenues les 1er et 2 juin dans les Hautes-Alpes, le Conseil de l’agriculture française (CAF) a demandé « une révision en profondeur de l’actuel plan loup afin d’aboutir à un plan de sauvegarde de l’élevage ». Lors de cette visite du Préfet Célet, une quinzaine de départements étaient représentés. « Sur ce sujet, nous arrivons à faire venir des gens de toute la France parce que le territoire de bocage et l’élevage ne peuvent se plier aux règles administratives, que ce soit en Saône-et-Loire ou en Normandie. Sans oublier qu’à la prédation du loup s’ajoute celle du lynx », renchérit un éleveur de l’Allier.
 


 
Le mot du préfet

 

« Je m’engage à faire remonter la question de la génétique et vous invite à formuler des propositions concrètes en la matière. Le nouveau plan national va peut-être répondre à certaines de vos questions, notamment sur la biodiversité, pas seulement sauvage, mais aussi domestique. Le groupe national loup, qui regroupe ministères de l’Environnement et de l’Agriculture, doit se réunir le 18 septembre pour finaliser son nouveau plan loup », promet le préfet référent qui soulève une énième question, celle des plafonds de prélèvement. Des plafonds nationaux qui risquent d’être captés par une poignée de département. « Nous avons réussi à faire accepter que l’on puisse abattre 19 % de la population », à condition, rappellent les éleveurs, que l’estimation de la population lupine soit au plus juste. Les chasseurs et agriculteurs estiment qu’il y a plus de 2.000 loups en France. 1.000 estime l’OFB. Dans les deux cas, on est loin du fameux baromètre des 500 individus affiché lors de la réintroduction de l’espèce. « Il s’agit de 500 reproducteurs lupins » précise le préfet, provoquant quelques rires jaunes dans l’assemblée, sentant bien l'argument fallacieux qui sera ressorti à chaque fois. « Mon objectif est de mobiliser au maximum les capacités de protection (…) A priori ici, vous avez de manière récurrente un ou des loups qui passent, mais ils seraient solitaires. Quant au lynx, je ne suis malheureusement pas compétent puisqu’il y a un autre préfet référent prédateur lynx ».
 
Également présents, le sénateur Fabien Genet, la députée Josiane Corneloup et son confrère Louis Margueritte ont, eux, insisté sur la nécessité d’adopter la stratégie nationale à la réalité du terrain qui n’est plus du tout la même que celle que l’on a connu il y a cinq ou dix ans.