Consommation alimentaire
« Se baser sur des données économiques plus que sur les sondages »

Cédric MICHELIN
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Pas toujours simple pour les pouvoirs publics d’y voir clair dans les tendances alimentaires des Français. Alors, pour comprendre et expliquer les décalages entre les comportements déclarés et la réalité, le ministère de l’Agriculture, l’Agence de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (Ademe) et FranceAgriMer ont commandé une étude. Retour sur ses principaux enseignements avec une de ses auteurs, Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise au Crédoc.

 

« Se baser sur des données économiques plus que sur les sondages »
« La consommation de viande est indépendante de l’importance des débats végans »

Pourquoi une étude sur les écarts entre l’alimentation déclarée et l’alimentation réelle était-elle nécessaire ?

Pascale Hébel : Il y a de plus en plus de sondages et d’enquêtes très rapides qui sont faits et repris sur les sujets ayant trait à l’alimentation. C’est impressionnant de voir qu’il y a beaucoup d’idées véhiculées mais qui ne sont pas forcément fondées.

Un sujet typique est la proportion de végétariens en France. Cette part est très compliquée à chiffrer et très souvent surestimée. Mais comme tout va très vite, des arbitrages sont opérés alors qu’ils ne sont pas toujours les plus judicieux. Il y avait un besoin des pouvoirs publics de prendre un peu de recul pour prendre les bonnes décisions, notamment pour le fléchage des budgets.

Comment explique-t-on les écarts entre le réel et le déclaratif ?

P.H. : À partir de l’état de l’art de la recherche et de la méthodologie des enquêtes, nous avons observé différents types de biais. En premier lieu, il y a le biais de réflectivité. Les chercheurs, qui dans la recherche publique sont particulièrement libres du choix de leur sujet d’étude ont tendance à travailler sur ce qui se rapproche de leurs valeurs. Ainsi, à partir du moment où de très nombreux chercheurs choisissent de travailler sur les circuits courts, il y a un effet loupe grossissant du phénomène.

Lors des enquêtes, nous observons aussi un biais de déclaration liée à la norme. En résumé, ce sont les sondages qui font l’opinion. Par exemple, à force d’entendre que 80 % des Français veulent manger sain, vous vous dites que cela serait bien que vous vous mettiez à manger sain.

Il y a aussi des décalages liés aux répondants. Il peut y avoir un effet de lassitude sur les dernières questions ou sur les derniers jours. Et lorsque l’on répond, il y a aussi une certaine sélectivité, on grossit certaines choses et on en oublie d’autres.

Peut-on chiffrer ces décalages lors de ces enquêtes ?

P.H. : Nous avons fait une expérience où nous avons demandé à des personnes qui devaient remplir un carnet alimentaire pendant trois jours de porter également une caméra. Finalement, il y avait près de 5 % d’écarts entre ce qui était réellement consommé et ce qui avait été déclaré. Les personnes interrogées omettent notamment de déclarer ce qu’elles consomment en dehors des repas comme les confiseries, les boissons. Les accompagnements des plats et les condiments sont aussi régulièrement sous-déclarés.

Les réseaux sociaux offrent une importante caisse de résonance aux débats sur l’alimentation. Ont-ils une réellement influence sur l’alimentation des Français ?

P.H. : S’il y a bien une donnée où il n’y a pas de biais, ce sont celles des ventes en magasin. Nous sommes partis de là et nous avons fait le lien avec l’opinion des réseaux sociaux et voir si des sujets très repris sur les réseaux sociaux allaient modifier les comportements d’achats. Sur la bio, c’est un véritable bruit de fond. En économétrie, nous avons montré que s’il y a moins de publications sur la bio sur les réseaux sociaux alors il y a moins de ventes et que la masse d’information les fait croître.

Sur la viande, il n’y a pas d’effet car il y a autant de pro-viande que d’anti-viande. En statistique, nous voyons que la consommation de viande est indépendante de l’importance des débats végans. Et donc ce n’est pas parce qu’il y a de plus en plus de débats sur le véganisme sur les réseaux sociaux que la consommation de viande va diminuer.

À la suite des résultats de cette étude, que recommandez-vous aux pouvoirs publics ?

P.H. : Premièrement, il faut se baser sur des données économiques comme les chiffres de ventes, les données des douanes, plus que sur les sondages. Ensuite, ce n’est pas parce qu’il y a un débat sur les réseaux sociaux que cela change les comportements alimentaires.

Souvent quand il y a une crise médiatique, les pouvoirs publics essayent de prendre des décisions rapidement mais il faut comprendre que ce n’est pas parce qu’il y a un buzz que les consommateurs y sont sensibles. Il faut prendre du recul et utiliser les budgets de l’État sur des programmes qui sont solides.

Ensuite, pour améliorer la connaissance, l’utilisation des nouvelles technologies est une solution. Les applications comme Yuka ou myLabel permettent d’obtenir des données en masse pour comprendre comment les consommateurs font leurs choix et ce qu’ils recherchent.