Diversification
Bonne ou mauvaise fatigue ? La transformation majore la pénibilité physique en circuit court

Ariane Tilve
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Ceux qui s’y essaient le savent bien, le circuit court est loin, très loin d’être une simple affaire. Pour réussir son projet et ne pas sous-estimer la charge de travail qu’engendre une telle entreprise, Fontaines Sud Bourgogne et le Cerd (Centre d'étude et de ressources sur la diversification) organisaient, le 20 novembre au lycée de Fontaines, un séminaire extrêmement bien documenté pour prodiguer de précieux conseils.

Lycéens et exploitants s'interrogent sur la meilleure façon de travailler en circuit court.
Lycéens et exploitants s'interrogent sur la meilleure façon de travailler en circuit court.

Force est de constater que les circuits courts se développent en Bourgogne-Franche-Comté. Près d’un quart des exploitations se sont lancées, contre 8 % en 2010. Une hausse qui s’explique notamment par les enjeux de la relocalisation (PAT, loi EGAlim, etc.) avec une réduction du transport et des emballages. Au niveau humain, le relationnel et le commercial sont intéressants pour l’exploitant. Mais attention à ne pas sous-estimer la charge de travail que cela engendre, au risque d’avoir des conséquences sur la pérennité de son exploitation. Certains exemples se soldent malheureusement par des arrêts précoces, dus à l’usure des exploitants, mais aussi au déséquilibre provoqué entre vie professionnelle et vie privée.

Être producteur en circuit court, c’est remplir trois fonctions :

· Produire : ce qui implique souvent d’employer un salarié, spécialisé ou polyvalent, et donc de manager, mais aussi de gérer les aléas climatiques, en maraîchage-arboriculture notamment.

· Transformer sa gamme de produits de qualité en affichant simplicité et diversification. Il ne faut pas oublier la pression des contrôles sanitaires et réglementaires en agroalimentaire, mais aussi le poids de l’administratif et de la comptabilité.

· Vendre, c’est-à-dire identifier les circuits en tenant compte du prix, du temps passé, de l’éloignement, sans oublier la logistique et la relation client. Il faut trouver des circuits pour ses produits, gérer ses invendus, fixer son prix, avoir des produits à vendre.

Bonne ou mauvaise fatigue ?

Christine Guinamard, de l’Idele (Institut de l’Élevage), a travaillé sur une étude portant sur 59 exploitants agricoles en circuits courts afin de produire des connaissances pour anticiper l’organisation du travail dans ces exploitations et de co-construire des méthodes pour mieux prendre en compte et accompagner les projets des agriculteurs en circuits courts. Enfin, il s’agit de permettre aux accompagnateurs, chercheurs et enseignants, de monter en compétences. Dans le cadre de cette étude, qui sert de base au séminaire donné à Fontaines et baptisée le projet Trac (Travailler en circuit court), on note l’exemple d’une fermière qui se lève chaque matin à 4 heures, le jeudi, pour que son mari aille vendre sa production au marché. De son côté, elle prépare ses produits, se charge de la logistique et, une fois son mari parti, elle s’occupe des enfants, les dépose à l’école avant de reprendre la place de son mari au marché, qui lui peut ensuite aller à son propre travail. Un rythme intenable sur la durée, au niveau familial et individuel. Attention donc à la simultanéité des obligations. Alors que Christine Guinamard partage le contenu du rapport, dans l’audience, une exploitante réagit : « moi, cela ne me gêne pas de dormir trois heures par nuit lorsque la relation au travail est meilleure. Ce que je fais a plus de sens, c’est mieux rémunéré, donc la fatigue n’est pas la même ».

Les caractéristiques du travail en circuit court

Ce type de projet s’accompagne irrémédiablement d’une complexité accrue de l’organisation et de la coordination du collectif de travail. Ici l’étude a été menée sur :

· La filière laitière, avec une transformation quotidienne du lait et une commercialisation hebdomadaire de produits frais.

· Le maraîchage, doté d’une gamme large en raison de la diversité des espèces et des variétés récoltées. L’intervalle entre récolte et consommation est faible, en frais des produits, d’où l’importance de la planification de la production et des ventes, dans la mesure du possible, en raison notamment de l’imprévisibilité des aléas climatiques.

· La filière viande bovine et ovine est, elle, dépendante des prestataires qui sont parfois éloignés, pour l’abattage, la découpe, etc. Des solutions individuelles de découpe et/ou de transformation existent, mais elles sont coûteuses.

La vente directe est porteuse de sens, mais pas sans effort. 34 des 59 exploitants interrogés pour le projet Trac indiquent que la commercialisation, le contact avec le client est plaisant. Mais pas pour sept d’entre eux, dont un qui se plaint qu’il faut « énormément de temps pour la commercialisation ». Et pas dans n’importe quelles conditions : « les marchés de plein air, c’est fatigant, se lamente un exploitant. « Physiquement, le travail devient de plus en plus pénible […] On se sent parfois isolé », avoue un autre.

La transformation majore la pénibilité physique en circuit court

Dix-huit éleveurs de bovins lait ou caprins de l’étude font de la transformation. Quatorze d’entre eux souffrent de mal de dos ou de troubles musculo-squelettiques (TMS). Ils sont quinze sur vingt en bovin/ovin viande à souffrir de maux similaires, ainsi que neuf des quinze maraîchers interrogés. Dans l’audience, Michel Potdevin, un éleveur de porc bio en direct, estime que « certaines de ces pénibilités sont liées à l’élevage et non au circuit court. En revanche, la pression administrative, elle, est partagée par toutes les filières ». Le Centre d’études et de ressources sur la diversification (CERD), propose de mettre en place un service de soutien administratif pour soulager les exploitants en circuit court.

En attendant, le Trac recommande de mettre l’accent sur la santé physique, pour les générations actuelles et futures. « Si on veut des exploitants heureux, il ne faut pas qu’ils souffrent », précise le rapport. En effet, approcher la satisfaction au travail, c’est trouver l’équilibre entre la rétribution (nombre de jours de congé, qualité de vie, autonomie, reconnaissance sociale, situation économique) et la contribution (temps de travail, amplitude horaire, intensité physique, pénibilité mentale, remplaçabilité*). Or, en y regardant de plus près, on se rend compte que la situation est potentiellement insatisfaisante pour 8 des 59 fermes étudiées en raison des exigences physiques, de la charge mentale, de l’isolement, du non-repos et de la charge de travail. Pour y remédier, il faut s’équiper, sans alourdir trop les investissements ; partager la charge mentale ; se rendre remplaçable ; planifier des week-ends, des congés, mais aussi renoncer aux produits de la gamme et/ou aux points de vente les moins rentables.

Pour conclure, « s’installer en circuits courts, ce n’est pas ne pas avoir de patron, c’est être son propre patron. Cela suppose des responsabilités vis-à-vis de soi-même », insiste Josiane Voisin dans son dossier technique de la MSA. D’où l’importance de prendre en compte la subjectivité au travail, la sensibilité propre à chacun et de laisser place à la créativité. Il faut également avoir à l’esprit des éléments essentiels pour rester en équilibre malgré la complexité et la mouvance perpétuelle liée aux circuits courts. En clair, il faut savoir s’adapter continuellement, ce qui est déjà le cas de nombreux agriculteurs, quels que soient leurs circuits de vente.

*Théorie de l’équité, Adams, 1963.