Big data
L’agriculture est l’un des premiers secteurs concernés par les Big data

Publié par Cédric Michelin
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Le big data est, depuis quelques années, un levier d’innovation et de compétitivité pour le secteur agricole, mais un certain nombre de sujets doivent faire l’objet d’une attention particulière –propriété des données, gestion des risques, traçabilité, retour sur investissement…– pour que l’agriculture tire pleinement profit des opportunités offertes par ces innovations. 

L’agriculture est l’un des premiers secteurs concernés par les Big data

On évoque assez communément le big data, ces données numériques qui inondent désormais notre quotidien et qui occuperont une place centrale dans les outils de demain. On sait peu en revanche que le secteur agricole est, avec le domaine de la santé, celui qui sera le plus impacté par ces évolutions.

Un constat que les rencontres organisées par l’association Agro EDI Europe le 13 juin ont rappelé, faisant le point sur les attentes des agriculteurs et sur les solutions à trouver pour permettre à l’agriculture de tirer pleinement partie des innovations en la matière. Le big data apporte en effet des solutions à tous les niveaux de la filière, que ce soit pour la production, via l’agriculture de précision ou la réduction de la pénibilité, pour l’agroalimentaire à travers l’échange de données informatisées et standardisées et l’amélioration de la transparence, ou encore au niveau de la consommation pour prévenir les maladies, l’obésité, ou simplement mieux communiquer sur le contenu des aliments.

Contrairement aux idées reçues, l’agriculture est loin d’être à la traîne dans l’utilisation des nouvelles technologies. En témoigne Etienne Fourmont, éleveur de vaches laitières dans la Sarthe, qui utilise deux robots de traite et collecte les données informatiques sur le nombre de passages par vache ou la production par animal, mais gère également son troupeau avec son smartphone pour mieux anticiper les dates de vêlage ou les retours de chaleurs. Producteur de grandes cultures dans le Gâtinais, Guillaume Lefort utilise quant à lui les drones et les GPS pour le guidage des tracteurs et la modulation intraparcellaire, grâce à des cartes réalisées par drone et intégrées dans un pulvérisateur. Pour une plus grande fluidité d’utilisation, reste à résoudre un problème soulevé par les deux agriculteurs : l’interopérabilité. « Je souhaite une meilleure interconnexion entre mes différents logiciels et outils, car là j’ai des fils partout dans ma cabine, plusieurs écrans, voire parfois l’impossibilité d’appliquer les cartes de préconisation que j’ai réalisées, en raison de problèmes de langage », déplore ainsi Guillaume Lefort.

Maîtrise des données 

Autre sujet d’inquiétude, « il faut aussi qu’on arrive à contrôler les données, on n’a pas la main dessus », explique Etienne Fourmont. « L’agriculteur est le premier producteur de données, il accepte l’implantation de puces, de colliers, de stations météo, de capteurs sur les différents matériels, et ne peut pas toujours les maîtriser », rappelle Henri Bies-Péré, vice-président de la FNSEA. La profession réfléchit à une plateforme commune, une sorte de coopérative qui rassemblerait et mettrait à disposition l’ensemble des données auprès des utilisateurs. « Nous sommes en route pour, dans les cinq ans qui viennent, être au rendez-vous du big data et des nouvelles technologies qui sont au cœur de l’économie de notre secteur », indique le vice-président de la FNSEA. Car, en effet, ces technologies permettent de répondre de façon plus précise aux besoins du monde agricole, comme le rappelle Marie-Cécile Danave, responsable innovations et marchés au sein du think-tank Saf agr’iDées. L’utilisation du big data est un moyen de gérer les risques, mais aussi de « créer du lien », de « se rapprocher des autres acteurs de la chaine de production et des consommateurs », explique-t-elle, elle qui identifie également les freins et leviers pour avancer en la matière : la question de la valorisation de la donnée brute est bien entendu primordiale, mais l’accès à cette donnée (par le réseau, la formation…) est également un sujet. L’importance du retour sur investissement sera par ailleurs décisive pour massifier l’usage de ces technologies utilisant du big data. Des filières comme l’arboriculture ou la viticulture, avec une forte valeur ajoutée et une marge de manœuvre importante au niveau de la réduction de l’usage des phytosanitaires, pourraient être les plus impactées. En dépit des quelques freins évoqués, le secteur agricole devra prendre la main sur le big data qui constitue, en outre, un moyen efficace de répondre aux exigences des consommateurs en favorisant une agriculture plus durable, en connexion directe avec le dernier maillon de la chaîne alimentaire.     

Innovation 

Analyse prédictive et big data sont les clés des progrès futurs de l’agriculture, cela ne fait aucun doute pour Vincent Doumeizel, vice-président Alimentation et Développement durable chez Lloyds Register, mais aussi pour Mark Van den Akker, cofondateur de SuperGraph, comme pour Thanh-Long Huynh, fondateur de QuantCube. Le 13 juin, tous trois ont présenté ces technologies aux rencontres d’Agro Edi Europe. « Le consommateur ne veut pas seulement que le prix soit bas, il veut aussi un produit de bonne qualité », affirme Vincent Doumeizel. Il s’agit alors de lutter contre la fraude comme ces Chinois qui « faisaient fermenter leurs sauces soja avec des cheveux humains », nous apprend, outré, le représentant de Lloyds Register. A cela s’ajoute l’inadmissibilité du fait qu’il y ait « 21 millions de personnes qui sont aujourd’hui considérées dans un état d’esclavage moderne », avec par exemple « la majeure partie des crevettes » qui sont produites « par des esclaves cambodgiens », toujours selon Vincent Doumeizel. « On a un autre problème, c’est la globalisation des systèmes », poursuit-il, illustrant ses propos par l’absurdité de la filière piscicole : « Ils pêchaient leur saumon en Ecosse, ils l’envoyaient en Chine pour le faire fileter, et ensuite ils le vendaient en France ».

Contrôler grâce aux microbes 

« Le futur, c’est le contrôle des microbes », Vincent Doumeizel en est persuadé. Ainsi, avec les progrès du microbiome, « on a cette capacité de plus en plus forte à séquencer un ADN », affirme le vice-président Alimentation et Développement durable de Lloyds Register. L’objectif : savoir d’où vient un produit « grâce à son environnement microbien ». Si la technique est révolutionnaire, un suivi continu des denrées alimentaires doit cependant être déployé en amont, ce qui n’est actuellement pas le cas. En effet, Vincent Doumeizel explique que les groupes agroalimentaires ont « un niveau 1 de fournisseurs sur lesquels ils ont une vision à peu près correcte ». Vient ensuite un niveau 2 qu’ils connaissent « à peu près, vaguement, à 50 % ». On comprend que le niveau de traçabilité s’avère très insuffisant quand « on parle de 18 à 25 niveaux en moyenne ». Pour cela, Lloyds Register, effectue « des audits à distance dans ces centres de production alimentaire », notamment à l’aide de drones, afin de collecter « un niveau de données absolument colossal » à terme réunies au sein d’« un espace LinkedIn ou Facebook pour l’agroalimentaire ». Ambitieux, mais à hauteur des attentes du consommateur qui refuse de se résigner à manger des cheveux.

Anticiper à l’aide des données 

« Tout le monde peut collecter des données s’il possède un téléphone portable », affirme Mark Van den Akker. Ainsi, grâce à « l’analyse d’essaim », « vous avez le temps de décider ce que vous voulez faire », explique-t-il. SuperGraph est en effet une société d’analyse prédictive qui a recours à des algorithmes pour définir les risques en amont, ce qui se révèle particulièrement utile au secteur agricole. Pour cela, un simple capteur suffit, doté d’un système d’alerte et garantissant une prédictibilité de 98 %. Il s’agit en outre de modèles en "self-learning", capables de devenir de plus en plus performants grâce aux données qu’ils enregistrent. Thanh-Long Huynh prévoit, lui, de permettre à l’agriculteur d’anticiper à la fois « la croissance économique », « les préférences des consommateurs » mais aussi « la propagation des maladies végétales ou animales », en récupérant « tous types de données ».

De par « l’analyse des profils en temps réel » et l’étude de « chacun des secteurs de l’économie », la start-up QuantCube justifie d’une « très bonne vision macro-économique de la société », d’après son fondateur. Des données oui, mais de qualité, précise Thanh-Long Huynh. C’est en effet l’amélioration constante du niveau de précision, ainsi que l’analyse de chacun des facteurs en temps réel, qui rend la start-up capable, lors du lancement d’un nouveau produit, de « dire si le produit va réussir ou pas ». Si, après s’être avérée très efficace pour les prévisions électorales, la start-up s’intéresse actuellement au « domaine de l’énergie », elle estime que son application à l’agriculture « peut se faire par la suite ».