Blé
Blé : comment la Russie est redevenue une puissance céréalière

La Russie amasse des troupes aux frontières de l’Ukraine pour tenter d’accroître son influence régionale, tout en multipliant les accords commerciaux, y compris agricoles, avec la Chine et l’Inde, pour compenser des sanctions qui lui sont coûteuses.

Blé : comment la Russie est redevenue une puissance céréalière

Un ouvrage vient de paraître sur Le retour de la puissance céréalière russe (1). Caroline Dufy, maître de conférences en sociologie à Sciences Po Bordeaux, y retrace l’historique de la conquête des marchés internationaux par l’ex-URSS. Le pays a connu, au début des années quatre-vingt-dix, un effondrement productif majeur, un exode rural massif. Avant de revenir, pendant la dernière décennie, aux premiers rangs des exportateurs mondiaux. L’auteure raconte comment un tel redressement a été possible, ceux qui l’ont favorisé, par quelles politiques. Son livre est le fruit de quatre ans d’enquête sur le terrain, auprès d’agriculteurs, traders, exportateurs, experts des marchés, syndicalistes, etc.

Au fil des chapitres, le lecteur est plongé dans les évolutions qui ont marqué le secteur entre 1990 à 2018, notamment l’adhésion à l’OMC, la crise ukrainienne et le virage vers « un modèle autocentré, fondé sur la polyculture et l’élevage ». Un parcours du grain montre l’importance de la logistique face à « l’immensité russe ».

Les nombreux témoignages donnent du rythme à la lecture. Seul regret, pas un entretien n’a été mené avec l’administration. Caroline Dufy note pourtant « le rôle central de l’État dans la conduite du développement agricole ». Et de souligner les paradoxes de l’agriculture russe. D’un côté, la Russie présente un énorme potentiel d’exportation, grâce à la financiarisation et l’industrialisation mises en œuvre dans des agro-holdings concentrant jusqu’à 790.000 ha ! De l’autre, elle offre un visage plus proche de l’État, avec de fortes subventions, une protection de la sécurité alimentaire définie comme un impératif national. « La régulation publique est loin d’être cohérente et rationnelle, mais en réalité hybride, erratique et contingente », analyse l’auteur.

Où va Vladimir Poutine ?

Il y a moins d’un mois, un renforcement des accords bilatéraux entre la Russie et la Chine a été conclu, qui doit permettre de renforcer les flux et surtout les achats de céréales par les Chinois. Début décembre, il était en Inde, pour signer une pluie d’accords commerciaux et militaires. Vladimir Poutine craint de nouvelles sanctions commerciales liées à l’Ukraine et il a un intérêt évident à diversifier ses débouchés.

Selon la vice-premier ministre russe, Viktoria Abramchenko, en charge de l’agriculture, les exportations de denrées agricoles s’élèvent cette année à plus de 30 milliards de dollars (Md$), en hausse de 20 %. « Pour la première fois, nos exportations sont supérieures à nos importations, précise-t-elle. De nouvelles possibilités d’approvisionnement en produits russes dans différentes parties du monde apparaissent. Il convient de tirer parti de ces opportunités ». D’où l’activité de Vladimir Poutine sur la scène internationale. La Russie est aussi le premier exportateur mondial de blé, avec environ 35 millions de tonnes (Mt), soit 50 à 60 % de sa production, qu’il destine au Maghreb et au Moyen-Orient, en concurrence avec les pays européens. Le pays a un potentiel à terme de 100 Mt. Mais avec une mauvaise récolte en 2021, la Russie se voit contrainte de limiter ses exportations pour éviter une envolée des prix sur son marché intérieur.

Avec la Chine, les experts estiment les exportations de matières premières agricoles à environ 4 Md$, ce qui reste un montant limité comparé aux importations chinoises de céréales dans le monde, notamment aux États-Unis et au Brésil. Les achats chinois de produits agricoles russes ne sont pas, pour l’heure, supérieurs à ceux de l’Union européenne. Mais les grandes manœuvres se poursuivent…