Pâturage de couverts d’intercultures par des ovins
Quand élevage et cultures se retrouvent...

Marc Labille
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Le 14 décembre dernier à Fontaines, les résultats de trois saisons d’essais de pâturage de couverts par des ovins ont été dévoilés. Faisant appel à des partenariats entre éleveurs ovins et céréaliers, cette démarche originale remet au goût du jour les vertus des systèmes de polyculture-élevage.

Quand élevage et cultures se retrouvent...
L’un des lots de brebis d’Alexandre Saunier dans une parcelle de couvert appartenant à Régis Têtu près de Fontaines.

Depuis septembre 2019, le lycée de Fontaines teste des pistes de coopération entre éleveurs et céréaliers dans le cadre d’un projet Casdar (ministère de l’Agriculture) visant la transition écologique. Ces travaux sont menés avec trois autres lycées agricoles de la région ainsi que la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Face aux difficultés actuelles que doit surmonter l’agriculture (résistance aux herbicides, maladies des cultures, appauvrissement en matière organique des sols, etc.), on redécouvre que « les systèmes de polycultures/élevage n’étaient pas si mal », introduit Jérôme Bertholon, directeur adjoint du lycée de Fontaines. À l’échelle d’un territoire, les animaux d’élevage peuvent en effet fournir « des solutions » pour les exploitants de surfaces cultivées. À l’inverse, les éleveurs peuvent y trouver des « ressources fourragères » supplémentaires pour leurs cheptels. C’est dans cette veine que le lycée de Fontaines expérimente deux modalités de partenariat entre éleveurs et céréaliers : le pâturage d’intercultures et l’échange de luzerne contre fumier, présentait Jérôme Bertholon.

300 brebis sur 45 hectares de couverts

L’expérience de pâturage d’interculture a été conduite pour la troisième fois l’automne dernier. Deux céréaliers de la commune de Fontaines (Jean Décombard et Régis Têtu) ont accueilli sur leurs terres plus de 300 brebis appartenant à la ferme du lycée de Charolles et à Alexandre Saunier de Ciry-le-Noble. Comme ils l’ont expliqué le 14 décembre dernier, les couverts d’interculture se sont imposés dans les assolements des deux agriculteurs du Chalonnais. Rendus obligatoires et devant être implantés sitôt la moisson estivale, ils impliquent un itinéraire technique spécifique (semences, semis) et nécessitent d’être détruits en automne que ce soit mécaniquement ou chimiquement. Une contrainte « subie » que les agriculteurs ont eu envie de positiver, confiait Régis Têtu. Pour sa part, Jean Décombard a reçu une centaine de brebis du Pôle ovin de Charolles pâturant une quinzaine d’hectares de couverts. Quant à Régis Têtu, il a mis à la disposition d’Alexandre Saunier une trentaine d’hectares pour un lot de 200 brebis en provenance de Ciry-le-Noble.

« Décharger mon exploitation pendant deux mois »

« Cela m’a permis de décharger mon exploitation pendant deux mois et de ne pas avoir à nourrir ces animaux pendant cette période », explique Alexandre Saunier qui élève un troupeau ovin de 700 romanes à 50 km de distance de Fontaines. Le lot a été transporté par un camion de la coopérative Terres d’Ovins, témoigne l’éleveur. Au préalable, il a fallu clôturer les immenses parcelles de couverts d’interculture du Chalonnais. Dans son cas, Alexandre Saunier disposait déjà de clôtures mobiles. Il lui faut 20 minutes pour poser 300 m de clôture électrifiée à trois fils (2 h 30 pour une parcelle de 8,5 ha). Parmi les aspects que craignait l’éleveur, la surveillance des animaux a été confiée aux élèves de BTS du lycée de Fontaines.

Alternative à la destruction mécanique

Pour les deux céréaliers, l’expérience est plutôt encourageante. De son côté, Jean Décombard s’était intéressé à la démarche pour tenter d’enrayer un manque de matière organique dans ses sols et aussi pour lutter contre un problème de ray-grass persistant. « Un couvert récolté exporte beaucoup de matière organique alors que le pâturage a moins d’impact de ce point de vue », confie l’agriculteur qui estime ne pas avoir vu de différence de rendement entre une culture suivant un couvert pâturé et une culture suivant un couvert non pâturé. Un constat qui souligne aussi que les petits ruminants abîment peu les parcelles. Toutefois, dans les conditions très humides de l’automne dernier, le piétinement des animaux a tout de même gaspillé du couvert, rapporte-t-on.

Le pâturage par les moutons économise du temps consacré à la destruction du couvert, note Jean Décombard qui utilise habituellement un « éco-rouleau » pour cette tâche. Les moutons réalisent le même travail que le rouleau et dans les deux cas, cela ne dispense pas de devoir achever l’opération avec du glyphosate, constate l’agriculteur qui signale que le ray-grass parvient à repartir après le pâturage. Les deux céréaliers font part aussi du fait que la présence des moutons retarde les travaux d’automne, en particulier le labour d’hiver indissociable des sols argileux de Fontaines.

Des brebis en état et moins parasitées

Les brebis nourries sur les couverts d’interculture ont bien profité. « Elles étaient dans un bon état corporel », rapporte Alexandre Saunier qui apprécie aussi le bénéfice sanitaire de la démarche pour son troupeau. En effet, dans des exploitations spécialisées ovines comme la sienne, avec des prairies permanentes ne recevant que des moutons, le parasitisme est un vrai problème. La transhumance des animaux sur des champs n’ayant jamais reçu d’ovins est idéale pour gérer ce parasitisme.

Présenté à Fontaines avec le soutien du programme Inn’Ovin, ce projet sera reconduit au-delà de 2023. Les acteurs de la démarche espèrent voir d’autres candidats (éleveurs et céréaliers) les rejoindre.

 

Performances au rendez-vous !

Directeur du Pôle régional ovin de Charolles, Michaël Floquet a une longue expérience du pâturage de couverts de grandes cultures, technique qu’il a bien connue au temps où il dirigeait l’exploitation dans un lycée agricole de l’Aube. Avec des céréaliers voisins, le lycée champenois s’est lancé dans des essais à partir de 2008. Des couverts végétaux mélangeant jusqu’à 10 espèces ont été implantés. Les performances des animaux et les systèmes de cultures concernées ont été suivis. Le premier enseignement, c’est que « toutes les espèces se pâturent ! », résumait Michaël Floquet. En clair, quand la sécheresse sévit, les brebis sont prêtes à consommer tout ce qu’il y a de vert. Côté cultures, le point crucial réside dans les conditions de semis, rapporte Michaël Floquet. « Pour profiter de l’humidité résiduelle, il faudrait pouvoir suivre la batteuse avec le semoir », résume-t-il. Côté performances animales, « il n’y a pas photo ! », s’enthousiasme l’expert. Grâce aux couverts riches en crucifères et en plantes jeunes dont la valeur alimentaire est élevée, les moutons réalisent de meilleures performances sur couvert que sur prairie. Les agneaux prennent en moyenne 1,5 kg de plus que ceux nourris sur prairie et la note d’état corporel est améliorée de + 1,6 points. Sur le plan agronomique, ces intercultures diversifiées ont permis aux céréaliers de réintroduire des légumineuses dans leurs assolements. Le directeur évoque une amélioration de la structure des sols et le pâturage a comme grand avantage de remplacer une destruction mécanique de couvert. « Une brebis, c’est une barre de coupe à l’avant et un épandeur à l’arrière ! », synthétise Michaël Floquet. Ce dernier témoignait également du pâturage de colza oléagineux en automne. Une conduite qui offre une alternative intéressante pour lutter contre les insectes ravageurs que sont les altises.

 

Couverts d’interculture : dix ans d’enseignements

Depuis 2011, la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, le lycée de Fontaines et la coopérative Bourgogne du Sud testent des couverts d’intercultures d’été implantés après céréales. Ces cultures dérobées sont destinées à refaire des stocks de fourrages de qualité de fin d’année. Trois grandes familles de couverts ont été testées : mélange d’avoine, trèfle et vesce ; moha/trèfle et sorghos fourragers, présentait Denis Chapuis de la chambre d’agriculture. Au fil des ans, ces cultures se révèlent assez aléatoires. Destinées avant tout à constituer des compléments de stocks, elles demeurent risquées avec parfois pas de récolte du tout, pointait l’expert. Lorsque les meilleures conditions sont réunies, le potentiel est de 3,5 à 4 tonnes de matière sèche par hectare et 6 à 6,5 t pour les sorghos. Quant à une utilisation en pâturage, les sorghos ont l’avantage d’être très appétents mais doivent être pâturés à plus de 60 cm de hauteur pour éviter le risque de toxicité, indiquait Denis Chapuis. Les mélanges avoine-trèfle-vesce sont à la fois appétents et à bonne valeur alimentaire. Quant aux moha/trèfles, gélifs et précoces, ils ont des valeurs alimentaires médiocres. Enfin, un essai de colza fourrager a été conduit pour la première fois l’automne dernier, signalait le technicien. Productif, appétent, riche en protéines et en énergie, ce couvert est assez prometteur pour le pâturage.