Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a organisé, le 1er mars, une table ronde sur l’application de la loi ÉGAlim 2. À quelques heures de la fin des négociations, il restait encore des contrats à signer.

« La loi ÉGAlim 2 ne fonctionne pas comme elle devrait fonctionner », a attaqué la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, « satisfaite du volontarisme et de l’écoute » mais stigmatisant une « France championne du monde de la faible inflation alimentaire : 1,4 % en France contre 5 % en Irlande ou 6 % en Espagne ». Avec des prix « écrasés », « il n’est pas étonnant que l’on perde 100.000 agriculteurs en dix ans », a-t-elle ajouté, demandant aux différents acteurs de la chaîne agroalimentaire de « ne pas nier les réalités ». Elle reconnaît toutefois que le fait de ne plus négocier la matière première agricole (MPA) constitue une avancée. Mais elle s’inquiète que les industriels subissent maintenant ce que les agriculteurs ont éprouvé pendant des années : « la destruction de valeur ».
« C’est dans la loi »
Par l’intermédiaire de leur président Jean-Philippe André, les industries alimentaires (Ania) fustigent également cette déflation. « Depuis huit ans, on vend moins cher que l’année précédente », a-t-il souligné s’inquiétant des effets de bords de cette loi et de la non prise en compte de la matière première industrielle. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a d’ailleurs mis en garde contre la fragilité de la chaîne alimentaire : « Si un maillon casse, c’est toute la chaîne qui casse. Les grandes surfaces doivent le comprendre », a-t-il soutenu. Conscient que ce maillon était jusqu’à présent « nos producteurs et que, sur ce point, la loi ÉGAlim 2 a, semble-t-il, atteint son objectif », Dominique Schelcher, PDG de Système U, reproche toutefois aux industriels de ne pas jouer le jeu de la transparence. « 80 % d’entre eux ont fait appel à un tiers de confiance qui certifie le prix », a-t-il expliqué, regrettant qu’ils lèvent moins les deux autres options qui leur étaient offertes : indiquer le prix de chaque matière première agricole ou informer du prix cumulé des matières premières agricoles. « Mais c’est légal, lui a rétorqué Christiane Lambert. C’est dans la loi ». Dans les deux derniers cas, la transparence totale permet aussi aux grandes enseignes de négocier plus durement leurs marques distributeurs et de faire baisser les prix. « Quelle GMS fournit de la transparence sur la réalité de ses gains ? », a interrogé la présidente de la FNSEA.
« L’heure de vérité a sonné »
À quelques heures de la fin des négociations, beaucoup d’accords avaient été signés, d’autres restaient en souffrance. « Il y a aussi des ruptures », a précisé Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales agricoles, sans en préciser la teneur. « Dans ce cas, les MPA seront passées et même plus (MPI, N.D.L.R.), car aux termes de la loi ÉGAlim 2, le contrat doit rester équilibré », a-t-il expliqué. Sur les 45 demandes de médiations qu’il a reçues depuis quelques semaines, la moitié est arrivée à son terme. « Il n’y aura pas d’ultime médiation de complaisance », a-t-il averti, encore moins « pour ceux qui n’ont pas joué le jeu », a-t-il précisé. « Pour les contrats qui ne seront pas signés, la main du gouvernement ne tremblera pas », a certifié le ministre. Comme il l’a résumé : « Pas de souveraineté alimentaire sans agriculteurs et pas d’agriculteurs sans rémunération ». Cependant, chacun sait en son for intérieur, que la guerre rebat les cartes économiques : « On n’aura pas d’autre choix que de rediscuter », a suggéré Dominique Schelcher. En attendant, « l’heure de vérité a sonné », a conclu Christiane Lambert.
ÉGAlim 1 : « Aurait pu mieux faire »
Les députés de la commission des Affaires économiques ont examiné, le 23 février, le rapport d’évaluation de la loi ÉGAlim 1 votée en 2018. Selon eux, elle a servi « de caisse à outils » pour la loi ÉGAlim 2.
La loi du 30 octobre 2018 « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous », appelée ÉGAlim 1, a-t-elle tenu toutes ses promesses ? A-t-elle atteint tous ses objectifs ? Ce sont notamment à ces questions que la commission des Affaires économiques de l’Assemblée a tenté de répondre. Les conclusions des quatre co-rapporteurs qui ont évalué l’impact de ce dispositif sont unanimes : « Les résultats n’ont pas été suffisants », a résumé le député Jean-Baptiste Moreau (LREM, Creuse). Il s’inquiète d’ailleurs que trois ans après, « les pratiques déloyales de la part de certains intermédiaires se poursuivent ». Sur le côté négatif, les députés ont pointé les dysfonctionnements qui subsistent sur la séparation entre vente et conseil sur les produits phytosanitaires. « Il faut vérifier les effets de bord », a souligné le député Grégory Besson-Moreau (LREM, Aube). « Il faut même tout remettre à plat », a plaidé son collègue Dominique Potier (PS, Meurthe-et-Moselle). Nombreux sont les députés à regretter le peu d’impact que cette loi a eu sur le gaspillage alimentaire et surtout à remarquer que « l’objectif d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée au sein de la chaîne agroalimentaire, de l’amont à l’aval, n’est pas pleinement atteint », a affirmé Jean-Pierre Vigier (LR, Haute-Loire). Reprenant des propos tenus par Christiane Lambert, Thierry Benoit (UDI, Ille-et-Vilaine) remarque que « depuis 30 ans, on tient des prix toujours plus bas et qu’il n’y a jamais eu autant de précarité en France ». Plus dur, André Villiers (UDI, Yonne) estime que cette loi est « un constat d’échec sans appel, car le revenu agricole n’est pas revalorisé ».
Structurer l’offre
Les co-rapporteurs donnent cependant un satisfecit aux outils que la loi contient, notamment l’inversion de la construction du prix, celui-ci se faisant désormais « en marche avant » ; la mise en place des indicateurs de coûts de production en agriculture et de marché ; la limitation des seuils de revente à perte (SRP) ou encore des avancées sur la restauration collective avec la valorisation des productions locales et bio. ÉGAlim 1 a surtout mis « fin à la spirale déflationniste inscrite dans la loi de modernisation de l’État de 2008 dont les effets ont été dévastateurs », a souligné Jean-Baptiste Moreau. « Elle a fonctionné parce qu’elle a donné des pénalités à des personnes au comportement peu correct », a affirmé Richard Ramos (MoDem, Loiret). Pour Stéphane Travert (LREM, Manche) qui a porté ce texte en tant que ministre de l’Agriculture, « la promesse initiale de garantir un revenu qui ne soit pas en dessous des coûts de production » est tenue. Si les députés ont eu du mal à faire abstraction d’ÉGAlim 2 en évoquant ÉGAlim 1, ils souhaiteraient que ce dispositif soit maintenu et étendu au plan européen et que les agriculteurs et les interprofessions se prennent en main pour « avoir une vraie structuration de l’offre avec une vraie régulation des volumes », a plaidé Jean-Baptiste Moreau. « Mais les seuls qui peuvent vraiment faire le bilan d’ÉGAlim 1, ce sont les agriculteurs eux-mêmes quand ils regardent leur compte d’exploitation », a dit, en guise de conclusion, Julien Dive (LR, Aisne).