Climat
L’impact du changement climatique sur l’eau

Ariane Tilve
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À l’occasion d’une conférence, vendredi 27 janvier à Mâcon, trois membres du réseau Alterre Bourgogne-Franche-Comté sont revenus sur les impacts du changement climatique sur la ressource en eau dans notre région, et plus précisément en Saône-et-Loire. Un état des lieux maintes fois exposé, des solutions d’adaptation et de résilience sans cesse prônées, mais qui tardent à se mettre en place.

Les trois intervenants d'Alterre : Antoine Lagneau, chargé de mission Eau-Alimentatio, Camille Buyck, chargée de mission adaptation au changement climatique, et Perrine Lair Chargée de mission « Plantons des haies ».
Les trois intervenants d'Alterre : Antoine Lagneau, chargé de mission Eau-Alimentatio, Camille Buyck, chargée de mission adaptation au changement climatique, et Perrine Lair Chargée de mission « Plantons des haies ».

Cet état des lieux débute par la présentation du projet Hyccare*, porté par la chargée de mission adaptation au changement climatique, Camille Buyck, qui a étudié l’impact du changement climatique sur la ressource en eau en Bourgogne-Franche-Comté de 2012 à 2016. Près de dix ans après sa publication, ce rapport reste plus que jamais d’actualité. D’abord, parce qu’il prévoyait des paliers de rupture du climat, comme celui qui a eu lieu entre 1984 et 1988, durant lequel la température moyenne annuelle a augmenté de 1,2° en Bourgogne-Franche-Comté. Ensuite parce que nous sommes sans doute en train de passer un second palier (voir graphique de l’évolution possible des températures au XXIe issu du rapport Hyccare), mais il faudra attendre 20 ans pour le vérifier, soit le recul nécessaire à l’analyse climatique. D’où l’intérêt de revenir en arrière pour constater que nous avons perdu environ 13 jours de gel annuel en Saône-et-Loire (mais en augmentant le risque de gel sur les cultures) et enregistré, en moyenne, une vingtaine de jours à plus de 25° en 2016, par rapport au début des années 1980. Le nombre de jours de canicule a été multiplié par quatre et 35 vagues de chaleur ont été recensées en 20 ans, dont 19 depuis dix ans dans la région. Une année sur deux est marquée par une sécheresse météorologique, c’est-à-dire qu’il ne pleut pas durant 15 jours ou plus.

Evolution possible des températures au XXIe. Nous serions en train de vivre une seconde rupture climatique. Crédit Alterre.

Pour comprendre l’impact de ces changements sur la ressource en eau, la chargée de mission souligne l’importance d’étudier les bassins-versants du département, de l’Arroux au Morvan en passant par le Beaujolais. Ces bassins sont, pour la plupart, de classe 1 (en violet sur la carte ci-contre) avec une dominance granitique et une grande densité de fracturation, il y a donc de nombreuses failles (traits noirs sur la carte) qui agissent comme des drains hydrographiques. L’eau souterraine ne reste pas en sous-sol, il y a peu de réserves utiles dans les nappes et peu de soutien d’étiage. Les autres bassins-versants de Saône-et-Loire sont de catégorie 2 (bleue) à dominance de sable, de calcaire et/ou de grès qui ruissellent, notamment dans la Bresse, ce qui garantit une réserve utile dans les sols. Ce sont des aquifères argileux avec une forte fracturation et un réseau de failles présentes, mais peu profondes. Elles n’ont pas le même comportement que dans les zones violettes. Au-delà de leurs spécificités territoriales, le débit moyen des bassins-versants a diminué de 11 % depuis la rupture climatique des années 1980. Les mois de mai à août sont les plus impactés avec une diminution de 40 % du débit. Les étiages sont plus précoces et plus marqués, la réserve d’eau en sol diminue avec une baisse du nombre de jours de percolation et une augmentation de jours de stress hydrique. Il existe des zones où les nappes phréatiques ne retrouvent jamais leur niveau de base. Les précipitations et les réserves d’eau souterraines ne permettent plus de compenser l’évapotranspiration.

Les bassins versants étudiés pour le projet Hyccare. Crédit Alterre.

 

 

Des impacts sur toutes les filières

Le changement climatique impacte toutes les filières de l’agriculture. Par exemple, en élevage, les sécheresses allongent la période de croissance des prairies et entraînent une baisse de rendement évaluée à 30 % en 2019 par Alterre. Les vagues de chaleur stressent les animaux et mettent à mal leur santé et donc leur productivité en lait et en viande, sans oublier la question de l’abreuvement pour une laitière qui peut consommer 150 à 250 litres d’eau par jour. Particulièrement sensible aux aléas climatiques, la vigne s’adapte, elle, en modifiant sa phénologie. L’ensemble des stades de développement, du débourrement à la véraison, sont plus précoces pour arriver à des vendanges au mois d’août en 2022, contre une récolte fin septembre / début octobre dans les années 1980. Il peut en résulter une production plus sucrée, qui augmente la teneur potentielle en alcool. Enfin, dernier exemple, un débourrement plus précoce et l’exposerait davantage au risque de gel printanier, même si le nombre d’évènements de gel diminue. En 2021, les dégâts, liés au gel sur la vigne de la région étaient estimés à la moitié de la vendange. Un plan de soutien des exploitations et des entreprises touchées par le gel d’1 milliard d’euros avait été annoncé exceptionnellement en France.

Au-delà du constat, les pistes de solutions

« L’objectif du rapport Hyccare est de mettre à disposition des décideurs locaux des outils leur permettant de mieux prendre en compte le changement climatique dans la gestion de l’eau », explique Camille Buyck. Alterre a notamment conçu les ʺAteliers du climatʺ qui permettent, par exemple, d’identifier et de cartographier les ressources en eau et de la partager de manière durable avec la création de groupes de travail composés d’acteurs du secteur. S’appuyer sur des retours d’expérience, partager les bonnes pratiques des uns et des autres pour parvenir à certains objectifs, c’est justement le rôle du réseau CapTer** qui met en relation différents animateurs de captage et l’ensemble des acteurs de l’eau. Créé en 2019 également pour appuyer les démarches territoriales, l’animateur du Réseau, Antoine Lagneau, souligne l’importance des porteurs de projets politiques. « Il est essentiel de faire monter en compétence les élus, notamment, sur les sujets liés à la ressource en eau et les plans alimentaires territoriaux (PAT) ». Pour rappel, les Projets alimentaires territoriaux ont pour mission de privilégier la production locale et même de viser l’autonomie du secteur qu’il couvre. Dans le département, on compte quatre PAT, celui de Saône-et-Loire, mais aussi ceux de l’Autunois-Morvan, du Clunisois et du Chalonnais. Ces projets doivent permettre de lutter contre les aléas, qu’ils soient climatiques, géopolitiques ou sanitaire. Pour y parvenir, il faut mettre tous les acteurs autour d’une table, du consommateur au producteur en passant par le distributeur et les élus. Pourtant, comme le déplore Fabienne Baradeau, « On ne peut pas dire que les projets alimentaires territoriaux intègrent l’eau dans leur réflexion globale sur l’alimentation, mais on note une acculturation progressive des différents acteurs de la société ».

*Hyccare : hydrologie, changement climatique, adaptation et ressource en eau en Bourgogne.

**CapTer : captage et approche territoriale.