Dîner-débat
Les clés de la réussite selon Agridées

Ariane Tilve
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C’est dans le prolongement de l’Assemblée générale du think tank Agridées, qui s’est déroulé cette année à Mâcon jeudi 8 juin, qu’un dîner débat sur le thème  "Agriculteurs : quelles clés pour réussir ? " a eu lieu à la Maison des vins. L’occasion de revenir sur les questions relatives au capital humain en agriculture, composante essentielle de son dynamisme.

Pour la première fois, le diner-débat d'Agridées s'est tenu à Mâcon, jeudi 8 juin.
Pour la première fois, le diner-débat d'Agridées s'est tenu à Mâcon, jeudi 8 juin.

Acteurs de la réflexion académique, chefs d’entreprise agricole ou élus, plusieurs dizaines de personnes étaient attablées pour partager leurs expériences, de l’eurodéputé, Jérémy Decerle, au président de la chambre d’Agriculture Bernard Lacour en passant par le sociologue François Purseigle. En introduction, le président d’Agridées, Damien Bonduelle, a rappelé que, pour réussir en agriculture, il faut atteindre au moins quatre objectifs principaux : tenir compte de la diversité des territoires et des marchés ; apporter le juste prix au juste aux producteurs ; s’imbriquer solidairement dans l’impact permanent en lien avec les acteurs du vivant et un soutien politique, et enfin veiller au maintien de la bonne image du secteur.

Pour ce qui est de l’image, François Purseigle, professeur de sociologie à l’Ensat qui travaille sur le concept d’agriculture, ambitionne de faire évoluer la perception des Français(e) s et des décideurs « enfermés dans leur vision mythifiante de l’agriculture » et qui s’imaginent encore trop souvent qu’un chef d’exploitation est seul maître de son entreprise. Le sociologue insiste sur le fait que « si l’on veut qu’il y ait encore des chefs d’exploitation demain, si l’on veut un renouvellement de génération, des installations, il faut penser à toutes les autres catégories d’actifs du monde agricole, à toutes les formes d’entreprises qui permettront justement à ceux qui font les choix sur une exploitation, de faire perdurer un projet patrimonial, mais aussi un projet d’entreprise ». Il rappelle par ailleurs à ceux qui pourraient encore l’ignorer, que ce que l’on appelle ʺexploitation agricoleʺ aujourd’hui est au croisement des secteurs industriel, patrimonial, commercial et d’autres. S’adressant aux élus, il précise qu’il est « inutile d’essayer à tout prix de fonder une politique agricole fondée exclusivement sur un modèle unique prétendu d’exploitation » qui n’existe pas, dans la plupart des cas. Selon François Purseigle, une action politique, économique et sociale efficace ne peut être fondée que sur « une diversité de stratégies, selon la taille, la nature, la filière de l’exploitation qui induisent une grande complexité de gestion, juridique notamment ». Selon le professeur, l’enjeu du renouvellement des actifs agricoles passe nécessairement par la rectification de cet idéal de l’agriculture paysanne qui prédomine dans l’inconscient collectif. Aujourd’hui, il existe une multitude d’acteurs auxquels il faut s’adresser et cette réalité est porteuse d’autres ambitions, bien plus réalistes et donc moins sujettes à déception pour les porteurs de projets.

Les clés du financement

L’une des clés de la réussite réside dans l’installation progressive selon Céline Robergeot-Cienki. Viticultrice et éleveuse de moutons à Sologny, elle suggère de commencer à deux, sachant que le point de départ reste le capital. « Entre le moment où j’ai pris la décision de m’installer et l’installation réelle, j’ai attendu un an pour mon premier financement », se lamente-t-elle. Elle conseille donc de commencer, sans un gros investissement, par produire et s’installer un minimum « avant de pouvoir aller frapper à la porte d’une banque qui ne vous prêtera que si vous êtes en mesure de prouver que cela fonctionne avant de demander un plus gros investissement ». Investissement qu’elle a fini par obtenir puisque Céline Robergeot-Cienki propose à présent, en plus de son domaine et de son élevage, des produits touristiques. Pourtant, cela n’a pas toujours été facile, notamment avec les vignes. « En 2013, quand je me suis installée, on m’a dit que c’était la pire année connue des agriculteurs, mais depuis nous avons malheureusement connu des aléas climatiques bien pires. Elle revient sur le facteur chance et le facteur humain qui est là pour les réussites qu’on ne comprend pas et les échecs qu’on ne s’explique pas ». De son côté, un représentant du Crédit Mutuel insiste sur l’importance du projet, de sa définition, et insiste sur un point essentiel : « il est hors de question que la rémunération soit la valeur d’ajustement d’un projet ». En somme, il refuse d’investir dans un projet où l’agriculteur réduirait son salaire à peau de chagrin pour obtenir un prêt et confirme, néanmoins, que c’est un secteur d’investissement des plus sûrs. « C’est un marché dans lequel on investit beaucoup et qui est très peu risqué, parce qu’il repose sur des hommes et des femmes de terrain ».

Les clés de la formation

Comme le répète Geoffroy Cormorèche, président de l’association Demain la Terre, certains pensent encore que les exploitations agricoles sont tenues par une seule personne, « mais ce n’est plus le cas. Il faut sortir de l’image de l’exploitation familiale ! ». D’où l’importance, selon lui, d’obtenir des statistiques concrètes sur les actifs agricoles afin de pouvoir les présenter aux élus et d’agir en conséquence, en proposant notamment un nouveau plan de formation. La performance nécessaire à la réussite de toute entreprise agricole appelle à la diversité des profils, des projets, afin de contribuer aux transitions agricoles et alimentaires en cours. Le défi générationnel ne se résout pas seulement en termes démographique ou de catégories d’âge ; il se comble également par des apports extérieurs, des statuts différents, une évolution du nombre des femmes… au bénéfice de projets économiques dont la diversité structurelle correspond à la complexité de notre société. Dans tous les cas, le capital humain, fondé sur l’évolution des compétences, la satisfaction, la quête de sens et l’amélioration de l’attractivité des métiers constituent la condition essentielle. Pour y parvenir, la Région BFC Région appuie, entre autres, l’enseignement technique de 200 à 300 personnes chaque année. Il existe également une formation agricole continue pour former les futurs acteurs des institutions agricoles. Pour ce qui est des cursus proposés en filière agricole, Sandrine, vétérinaire, interpelle les intervenants : « Il existe un véritable problème d’orientation, un vide, après la fin du lycée agricole qui s’achève, la plupart du temps par un BTS. Si l’on veut poursuivre, il faut faire une école d’ingénieur agronome et, soyons francs, un ingénieur ne se lancera jamais dans la récolte de betteraves ». L’idée relayée par Christian Morel, vice-président du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, est de créer une licence pour combler ce vide. « Nous proposons une offre complète de formation pour pouvoir s’adapter à tous, tout au long de la vie », conclut Christian Morel.

Qu'est-ce qu'Agridées ?

Think tank de l’entreprise agricole, Agridées a pour ambition de « réfléchir, partage et avancer ». Apolitique et indépendant, cet organisme ambitionne de faciliter les rencontres entre personnes de divers horizons et s’appuie sur l’intelligence collective de son réseau pour faire émerger des idées innovantes. C’est aussi une plateforme organisatrice d’évènements destinés à produire et diffuser une centaine d’études et d’articles par an, publiés dans une revue trimestrielle qui est elle-même distribuée à plus de 8.000 destinataires.

Agridroit

Agridées vient de créer un site documentaire entièrement dédié au droit des activités agricoles et agroalimentaires de l’espace rural et de l’environnement. Un site qui permet d’accéder facilement aux différentes actualités, tel l’hebdo social et fiscal, mais aussi des fiches d’experts concernant les baux ruraux, la concurrence et la consommation. Le plus de ce site est une approche sectorielle exhaustive qui vous permet de savoir ce qui se fait, doit être fait ou peut se faire sur votre territoire. Parfait pour les experts-comptables, les juristes d’organisations professionnelles agricoles ou encore les experts fonciers agricoles et forestiers.

Quelle place pour les agricultrices ?

Le think tank lance un nouveau groupe de travail pour explorer les raisons de la faible féminisation de l’entreprenariat agricole. Baptisé Vox Demeter, ce groupe fondé par Anne Dumonet-Leca se donne comme objectifs de faire émerger des propositions opérationnelles, qui prennent en compte les attentes des agricultrices, en tant que femmes et professionnelles sur fond d’une forte diminution globale du nombre de cheffes d’entreprises.