Politique agricole commune
La future Pac expliquée aux étudiants en droit rural

Françoise Thomas
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Dans le cadre de la rentrée solennelle du Master 2 droit rural et de la remise des diplômes à la promotion précédente, l’université de Bourgogne a organisé une conférence autour de la réforme de la politique agricole commune. L’un des invités était justement le parrain de la promotion recevant ses diplômes et particulièrement au fait de la prochaine Pac : l’eurodéputé Jérémy Decerle.

La future Pac expliquée aux étudiants en droit rural
Jérémy Decerle, eurodéputé et agriculteur saône-et-loirien, Jean-Baptiste Millard, délégué général d’Agridées et Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté, maîtresse de conférences à l’université de Poitiers.

Parrain de promotion, Jérémy Decerle est venu à la rencontre des étudiants en droit rural lauréats à l’occasion de la remise des diplômes, ce vendredi 30 septembre à Mâcon. C’est pour l’eurodéputé-agriculteur toujours intéressant de « discuter avec des futurs représentants et acteurs de la ruralité et de l’agriculture définie par la politique qui accompagne les agriculteurs européens. C’est bien de pouvoir leur dire pourquoi on a orienté dans un sens ou dans un autre la politique agricole et ce qu’il y a encore à faire pour l’améliorer ».
Une table ronde était ainsi organisée à l’amphithéâtre Henri Guillemin de Mâcon, en présence de Jérémy Decerle, donc, eurodéputé et agriculteur saône-et-loirien, particulièrement au fait du sujet, mais aussi de Jean-Baptiste Millard, délégué général d’Agridées et de Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté, maîtresse de conférences à l’université de Poitiers.

Travail long et enrichissant

Si cette dernière a entamé la conférence par une « présentation libre de la Pac » (voir encadré), Jérémy Decerle a poursuivi le propos tout autant en évoquant la politique agricole commune dans le fond et dans la forme, c’est-à-dire sa genèse, vue depuis Bruxelles et Strasbourg.
« Il faut bien voir que cette Pac est longue à accoucher car les propositions datent de 2018 et qu’elle ne sera mise en œuvre qu’en janvier 2023 », rappelle-t-il en préambule.
L’eurodéputé, élu en mai 2019, vient cependant de vivre « une période particulière sur ces trois dernières années, entre la crise Covid, la guerre en Ukraine et donc cette nouvelle Pac ». Rapporteur pour son groupe, il a apprécié cet « enrichissant travail qui permet de voir comment cela se passe de l’intérieur et de travailler la notion de compromis ».
Car il ne faut pas oublier que les propositions doivent aboutir selon « 27 positions différentes qui varient également en fonction des groupes politiques ». D’où la durée et la dureté des débats et les délais de mise en œuvre.
Ainsi au final, il retient l’aspect presque « magique d’arriver à concilier autant de pays, de points de vue et d’agricultures différentes », avec de toute façon « la volonté de construire quelque chose qui tienne la route ».

Politique volontariste

La « Pac n’est pas révolutionnaire mais elle n’est certainement pas illusionniste vu le temps passé à débattre et négocier pour obtenir quelque chose qui corresponde au maximum ». Ainsi si certains considèrent qu’elle ne va pas assez loin, « elle va permettre de nouvelles choses et d’harmoniser l’accompagnement des agriculteurs européens et l’évolution environnementale indispensable ».

Sur la forme, l’eurodéputé tient à défendre le côté « pour la première fois volontariste » des dispositifs de la Pac : « avant, il y avait les mêmes exigences environnementales aux quatre coins de l’Europe », désormais les États « seront plus responsabilisés » via leur Plan stratégique national, le PSN, et les contrôles qu’il implique. Ce qui devrait être synonyme de résultats, espère-t-il.
Jérémy Decerle voit cependant une limite : « il faut trouver le bon équilibre entre les dimensions environnementale et économique », ainsi « s’il n’y a pas d’accompagnement financier, de moyens économiques, dont des outils numériques, en face, il n’y aura pas d’évolution ».
Autre réserve qu’il admet : « le PSN a été évalué sur le papier… pas encore sur le terrain ».

Assurer l’avenir

Alors certes, en raison de la guerre en Ukraine, certaines mesures ont vu leur calendrier bouleversé (notamment la stratégie Farm to fork), certaines autres ont perdu leur caractère obligatoire (le pourcentage de surface en jachère), ce qui fait grincer des dents compte tenu de leur aspect qui était très « verdissant ». Et en parallèle, selon les estimations, 80 % des agriculteurs français peuvent déjà prétendre aux écorégimes. Mais cela prouve pour l’eurodéputé que « la France est déjà en avance » sur toutes ces questions environnementales, au regard encore une fois des 26 autres États-membres. De façon générale, « l’agriculture européenne repose sur des règles environnementales et de bien-être animal les plus élevées au monde ». Il n’empêche qu’on peut toujours et encore mieux faire, « mais si on va trop loin », le risque est pour Jérémy Decerle « de perdre encore plus d’agriculteurs ». Or l’un des enjeux majeurs, en France et comme partout en Europe, reste bien aussi le renouvellement des générations.

Transformisme et illusionnisme
Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté, maîtresse de conférence en droit privé à l’université de Poitiers.

Transformisme et illusionnisme

Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté s’est donc lancée en première partie de la conférence dans une « présentation libre de la Pac ». La maîtresse de conférences en droit privé de l’université de Poitiers a d’abord rappelé les objectifs communs de la Pac dans les domaines de l’environnement et du social. En résumé, favoriser une agriculture intelligente, s’engager dans la protection de l’environnement, préserver les secteurs ruraux. Elle souligne que les États auront une plus grande responsabilité via leur PSN respectif.
S’il y a plus de mesures avérées en matière de rotation des cultures, de surfaces d’intérêt écologique, etc., s’il y a des conditionnalités sociales, pour elle, cependant, « rien n’a vraiment changé mais tout est différent dans cette nouvelle Pac », parlant alors de « transformisme ».
Par ailleurs, elle s’interroge sur cette nouvelle politique agricole : « sera-t-elle à la hauteur de l’histoire et de l’urgence climatique ? ». Elle redoute qu’il sera difficile d’évaluer ces résultats tant attendus, n’existant pas actuellement de valeurs de référence pour poser une base et un point de départ. C’est ici qu’elle évoque la notion d’« illusionnisme ».