Cave Millebuis
Passage de flambeau réussi

Cédric Michelin
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En ce début d’année 2024, la cave Millebuis des Vignerons de Buxy a changé de président. Cédric Perraud a été élu et ne manque pas d’idées et de dynamisme. Après onze ans à la tête, François Legros fait avec lui le point sur cette coopérative qui garde tout son sens, surtout à l’heure des défis climatiques.

Passage de flambeau réussi

La glace et le feu. Nulle réédition ici du premier tome de Game of throne (le trône de fer), la célèbre saga fantastique de George R.R. Martin sortie en librairie et au cinéma. À les voir côte à côte à Buxy en ce 29 octobre, on pourrait croire à première vue –à tort donc– qu’on a affaire à deux vignerons aux tempéraments diamétralement opposés. Pourtant, il n’en est rien. L’ancien président de la cave des vignerons de Buxy, François Legros –calme de prime abord– a toujours le feu en lui sur bien des sujets. À ses côtés, le nouveau président de Millebuis, Cédric Perraud –d’apparence plus enflammée– a lui pris le temps pour bien mesurer le poids de ses nouvelles fonctions. Rien d’étonnant, lui qui est entré au conseil d’administration en 2012, en tant que stagiaire. Il s’est épanoui alors dans le groupe jeune, qu’il encourage toujours, avant de devenir trésorier de la cave.

Pas froid aux yeux

Cédric Perraud s’est installé viticulteur à Saint-Boil, où il a repris progressivement l’exploitation familiale. Son père, Pierre est désormais en retraite mais reste son « premier conseiller ». À 43 ans, Cédric a eu déjà plusieurs vies, en ayant travaillé notamment dans des entreprises et usines (cartonnerie de Joncy, Menuiserie à Cluny…). Mais le métier qu’il a préféré est celui au « bout chaud » à l’usine Saint-Gobain Verralia à Chalon-sur-Saône. « J’ai adoré l’esprit d’équipe qui y régnait » où tous les collègues veillaient sur celui en train de graisser les moules au plus près du four à 1.500 °C.

Cédric n’a donc pas froid aux yeux, mais ses premières années en tant que viticulteurs n’ont pas été un long fleuve tranquille depuis son retour sur l’exploitation en 2009, en tant que salarié au début. À la tête depuis 2016, « j’ai été marqué par la grêle sept années de suite et même trois fois en trois mois », se souvient-il. De « grosses pertes » donc liées aux aléas climatiques à répétition. Son exploitation de 22 ha livre à la coopérative des mâcon-villages, des bourgognes côte chalonnaise rouge et blanc, du bourgogne aligoté et des montagny dont des premiers crus. La glace l’a également « mordu », en 2017 et en 2021 avec des gels printaniers dévastateurs. Pas question d’arrêter les tests de solutions « antigel » (thermonébulisateur…).

La coopération retrouve tout son intérêt

Car, sur le périmètre de la cave, comme ses collègues, il estime avoir perdu « l’équivalent d’une année de récolte en l’espace de sept campagnes », depuis 2017. Autant dire, que la cave coopérative, sa mutualisation, ses savoir-faire, sa force commerciale en bouteilles, sa distribution diversifiée sur les cinq continents… rassurent. Tout comme l’entraide qui se fait dans la profession. Reste que cela pose nombre de questions pour les prochaines décennies.

Cédric réfléchit donc beaucoup à l’adaptation future. À commencer par le matériel végétal et la conduite des vignes, lui qui a fait venir des intervenants à la cave pour parler des avantages et inconvénients des vignes semi-hautes et semi-larges. « Il faut informer les gens pour qu’ils puissent décider », veut-il faire la lumière sur toutes les implications. Ces réunions ont d’ailleurs réuni un large public, au-delà des coopérateurs, preuve que le sujet doit être mis sur la table. « À titre personnel, et non au titre de président de la cave, je crois à ces vignes semi-larges qui agronomiquement donnent de bons résultats et qui permettrait de passer avec des tracteurs et non plus des enjambeurs ». Dans le même ordre d’idée, la cave va prochainement « centraliser » les besoins des coopérateurs avant de « relayer à » un groupement d’achats pour du matériel (piquets…).

S’adapter, s’adapter, s’adapter

Cette campagne 2024 aura été marquée par des pluies incessantes, excès d’eau et une forte pression maladie. Lui comme la cave finissent rincer avec -30 % de récolte au final. Cédric se concentre donc sur un volet combinant économie, écologie et adaptation du matériel végétal. Outre les variétés Resdur, résistantes au mildiou et à l’oïdium, la cave s’est également rapprochée d’un pépiniériste italien pour des cépages résistants croisés avec des pinots noirs et chardonnays. « Cela semble prometteur » à la dégustation, confirme Cédric.

Bien d’autres projets avancent côté commercialisation : digitalisation des ventes, premiumisation des vins, adaptation aux nouveaux modes de consommation des vins, travail sur le développement durable… « On a 15 ans d’avance sur l’optimisation des bouteilles, sur la logistique… », rappelle Cédric. Prochain projet à l’étude : 2.500 m2 de panneaux photovoltaïques sur les toits de la cave. Un projet qui pourrait produire 500 kWc, avec la particularité de couvrir environ 30 % en autoconsommation.

François Legros : « une douleur et une fierté » 

François Legros : « une douleur et une fierté » 

Après « s’être entièrement dédié » à la présidence de la cave pendant plus d’une décennie, François Legros goûte « un peu à la tranquillité ». Mais n’allez pas croire que son implication pour la collectivité se soit arrêtée. Au contraire, François continue de s’engager dans de multiples projets humanitaires, lui qui peaufine des « projets d’irrigations au Maroc ou en Irak » avec des associations à but non lucratives. « Je continue à faire mes vignes au passage », plaisante-t-il, lui qui est en train de transmettre « progressivement » son exploitation. « Il me reste deux récoltes ». Un jeune salarié, hors cadre familial, mais dont les parents sont viticulteurs, reprendra — progressivement — les vignes pour avoir au final en 2026 une exploitation permettant d’en vivre. Une installation qui lui va bien et qui va dans le sens de la politique de la cave, aidant les jeunes à s’installer par des avances à trésorerie. Des aides bienvenues que Cédric Perraud aimerait voir être accrues, à l’heure du renouvellement des générations et des capitaux importants à reprendre.

Tout aussi symbolique, François Legros aura été marquée par un dossier durant sa présidence. « Une douleur et une fierté », à la fois, se souvenant d’avoir dû « se séparer de collègues d’autres caves, que j’aimais bien, pour des questions de vision stratégique différente ». Aucun regret derrière cette blessure qui s’est cicatrisée. Mais une nouvelle peau avec « la reconstruction, avec tout le conseil d’administration et toute l’équipe, de la Compagnie de Burgondie », union des caves de Millebuis, des caves Bailly-Lapierre (dans l’Yonne) et de l’Alliance des vignerons (cave de Viré et d’Azé, la cave du Château de Chénas, la cave du Château des loges et les Vignerons des Pierres Dorées). Ce réseau a débouché sur une plateforme logistique commune (WLS à Fragnes).

De son côté, François a poursuivi la politique de montée en gamme, par la vente bouteilles, avec une nouvelle ligne d’embouteillage, une nouvelle cuverie pour « optimiser les flux, la sécurité, l’ergonomie de travail… ». En effet, la cave est membre fondateur d’un des principaux labels RSE en viticulture, Vignerons Engagés, dont le président actuel n’est autre que Rémi Marlin, directeur général de Millebuis. De quoi aussi souder les équipes, élus comme salariés, qui sont une quarantaine répartie sur les sites de Buxy et Saint-Gengoux-le-National, auxquels se rajoutent une dizaine sur la plateforme à Fragnes et une vingtaine pour la partie commerciale, dont des bureaux au Québec, Bangkok et Düsseldorf. « Toujours avec le conseil d’administration, on a investi au bon moment, avant l’inflation, sur de gros projets, mais pas démesurés », permettant de rester compétitif et répondre aux objectifs de qualité de vins « accessibles » recherchés par les consommateurs. Et ce sans trop d’à-coups tarifaires alors que la production peut aujourd’hui varier entre 55 et 65.000 hl selon les aléas climatiques. « Je crois depuis toujours dans le modèle des caves coopératives, qui reste très pertinent. Elles permettent un bon équilibre entre économie de marché et économie de production, il ne fait pas oublier que les coopératives ont été créées par et pour les coopérateurs ! », plaide sans relâche François qui reste un infatigable optimiste. Il tire sa force des Hommes et Femmes qui l’entourent : « on sait pouvoir compter sur des personnes de valeurs et compétents à la cave », qui rassemble pas moins de 240 adhérents dont environ 150 « familles » vivant de la vigne.