EXCLU WEB GRAND FORMAT : le conseil stratégique phyto avance à tâtons

Instauré par la loi Egalim, le conseil stratégique à l’utilisation de phytos est officiellement en vigueur depuis le 1er janvier. Un changement qui s’opère à tâtons.

 

Rien ne presse côté agriculteurs : la date butoir est fixée au 31 décembre 2023. Ça ne se bouscule pas non plus dans les rangs de ceux qui peuvent leur délivrer le conseil stratégique. Les chambres d’agriculture annoncent réaliser des tests avant le démarrage de leur offre, pas avant la fin du premier semestre. Seules les grandes lignes en sont dévoilées, autour d’une formule de base et une plus étoffée. Tout le territoire est visé. Cerfrance avance également ses pions. Mais seule une partie des centres de gestion se positionne. Là encore, plusieurs niveaux de conseil stratégique se profilent. Les entreprises du pôle PCIA sont aussi en lice. Elles font valoir leur « totale indépendance », précisément ce que vise la loi Egalim en matière de conseil à l’utilisation de pesticides.

EXCLU WEB GRAND FORMAT : le conseil stratégique phyto avance à tâtons

La réforme du monde des phytos avance à tâtons. Après l’interdiction des 3R (remises, rabais, ristournes), c’est au tour de la séparation entre les activités de vente et de conseil. La nouvelle mesure, instaurée dans le cadre de la loi Egalim, est en vigueur depuis le 1er janvier. Son objectif : garantir l’indépendance du conseil délivré aux agriculteurs. En empêchant toute coexistence avec la vente chez un même opérateur, la loi veut prévenir tout risque de conflit d’intérêts.

En séparant les deux activités, le gouvernement a également rendu une partie du conseil obligatoire. Il s’agit du conseil dit stratégique, que le gouvernement distingue du conseil spécifique. Le premier est nouveau et pluriannuel, quand le second existait déjà et répond à un besoin ponctuel de recommandation sur l’emploi de phytos.

Une nouveauté encore loin d’être effective. Le calendrier de mise en œuvre laisse, il faut dire, beaucoup de temps. L’obligation de conseil stratégique n’entrera pas en vigueur avant trois ans. Cette mesure est liée au Certiphyto. L’agriculteur doit justifier, lors du renouvellement de son certificat individuel de produits phytos, avoir reçu deux conseils stratégiques par période de cinq ans. Mais cette condition n’est prévue qu’à partir du 31 décembre 2023.

50 % des entreprises du PCIA sur les rangs

Reste à savoir vers qui se tourner. La plupart des distributeurs de phytos, coopératives et négoces, font une croix sur le conseil plutôt que la vente. Contraints par la loi Egalim de choisir entre ces deux activités, ils laissent un boulevard à d’autres opérateurs. Les entreprises du PCIA (Pôle du conseil indépendant en agriculture) sont attendues au rendez-vous.

Leur profil correspond aux principes de la réforme. Régies par un « code de déontologie », elles revendiquent une « totale indépendance » : aucun lien capitalistique avec le secteur des intrants, ni rémunération liée à ce type d’activité. Une « petite dizaine » est dans les starting-blocks pour assurer le conseil stratégique à l’utilisation de phytos, annonce le président du PCIA Hervé Tertrais. À terme, « la moitié vont le faire » parmi les 200 entreprises de l’association, selon lui. « De quelque chose d’obligatoire, on veut que ce conseil stratégique apporte de la valeur ajoutée à l’agriculteur », déclare-t-il.

Une étape doit encore être franchie avant que découvrir les premières offres, celle de l’agrément des entreprises par les organismes certificateurs. Pour l’heure, le PCIA n’indique pas de tarif, précisant juste que le conseil stratégique doit s’étaler sur un à trois jours selon la taille de l’exploitation, la diversité des productions.

Lourdeur des textes réglementaires

Certaines entreprises du PCIA attendent encore avant de se positionner. Exemple avec Agro Conseil, dont la directrice générale Julie Coulerot est freinée par des « termes vagues » dans le référentiel de certification pour l’activité de conseils stratégique et spécifique. Le guide de lecture, en annexe de l’arrêté du 16 octobre, tient en presque trente pages. C’est dire la complexité des textes réglementaires, publiés deux mois et demi avant le coup d’envoi.

« Je me laisse le temps d’y réfléchir », déclare-t-elle, envisageant plutôt une offre de conseil stratégique « d’ici un an ». Ter-Qualitechs, que gère Hervé Tertrais, est en revanche sur les rangs. L’entreprise bretonne exerce déjà le conseil spécifique auprès de 600 agriculteurs et va, une fois l’agrément en poche, leur proposer du conseil stratégique.

Elle dispose pour cela de onze ingénieurs. Un effectif bien supérieur à celui des autres membres du PCIA, majoritairement entre un et quatre. La montée en puissance du conseil stratégique ira-t-elle de pair avec celle du réseau ? « Depuis un an, il ne se passe pas une semaine sans que des personnes m’appellent pour créer leur activité, nous rejoindre », affirme Hervé Tertrais.

L’offre des chambres « entre 500 et 1 000 € »

Les chambres d’agriculture sont également en lice. Leur offre de conseil stratégique est évaluée « entre 500 et 1 000 € » par exploitation, selon Sébastien Windsor, président de l’instance nationale APCA. Trois cent collaborateurs sont formés pour la tester, auprès de huit agriculteurs chacun, dans tous les départements.

« On ne fera pas (du conseil stratégique) à bas coût, à ultra-bas coût », insiste-t-il. L’APCA vise un « coût raisonnable » pour l’agriculteur, mais « aussi avec une efficacité maximale ». Ses tests montrent qu’il faut « à peu près une journée pour le faire efficacement », sur deux demi-journées « en tête-à-tête avec l’agriculteur ».

Une « prestation commune » est à l’étude entre les différentes chambres, précise le secrétaire général Christophe Hillairet. Des « options » sont prévues pour la compléter. « L’objectif, c’est pas un coup de tampon qu’on met en bas d’un papier », au contraire, « c’est une valeur ajoutée pour l’exploitation », selon lui.

Entre formule de base et plus poussée

Deux formules se profilent. Celle de base comprend « un minimum de conseil, sur deux ou trois actions visant à réduire les phytos », détaille le secrétaire adjoint de l’APCA Philippe Noyau, qui participe au chantier. L’autre est plus étoffée, afin d’accompagner un « virage » de l’exploitation s’orientant par exemple vers le semis direct.

Plusieurs réglages sont encore à trouver pour avoir des tarifs les plus proches d’une chambre à l’autre, quelles que soient les productions. Une piste explorée est la constitution de groupes d’agriculteurs, comme lors des formations Certiphyto, en vue de réduire les coûts.

« On cherche à optimiser le temps par technicien : quand tous les agriculteurs se décideront, on n’aura pas le nombre de collaborateurs pour assurer le conseil stratégique », reconnaît Philippe Noyau. Quelques mois de travail sont prévus avant le lancement de l’offre, en juin, espère-t-il.

Les centres de gestion en rangs dispersés

Côté centres de gestion, Cerfrance Vendée planche sur trois niveaux de conseil stratégique. L’un se limite aux textes réglementaires. Pour aller plus loin, un suivi agronomique s’y ajoute : l’agriculteur est accompagné sur cinq ans vers un objectif de baisse des phytos. Cela touche à la conduite des cultures, en actionnant divers leviers aussi bien chimiques qu’alternatifs et notamment le biocontrôle, ou le choix des variétés, explique Diane Dentinger, responsable conseils agro-environnement.

Dans le cas d’une évolution plus radicale, l’accompagnement vise le système d’exploitation, comme le changement de rotation, le passage au bio, à la certification HVE (Haute valeur environnementale). Cerfrance Vendée compte sortir cette offre de conseil stratégique au début du deuxième semestre. L’objectif fixé aux quatre conseillers agro-environnement est de la déployer auprès d’une trentaine d’agriculteurs chacun.

« Notre équipe doit continuer à s’étoffer : elle est déjà passée d’un à trois l’an dernier », signale Diane Dentinger. Le chemin est encore long pour atteindre les 3 500 agriculteurs que totalise le centre de gestion. D’autres travaillent avec lui pour harmoniser l’offre de conseil stratégique, à savoir les Cerfrance Maine-et-Loire, Mayenne-Sarthe, Val de Loire, Brocéliande, Alliance Centre, Poitou-Charentes.

Des prises de contacts entre distributeurs et conseillers

Cette réforme dans les phytos pousse une écrasante proportion de distributeurs à sacrifier le conseil en gardant la vente. Pour ne pas laisser leurs clients ou adhérents démunis, des coopératives et négoces cherchent à les orienter vers un tiers. Le PCIA indique avoir de multiples contacts pour les suppléer dans le conseil stratégique.

Les chambres d’agriculture et centres de gestion sont également sollicités, reconnaît-on à La Coopération agricole – Métiers du grain. « On souhaite avoir un retour d’expérience sur leur conseil stratégique, qui pourrait influencer la technique agricole, soutient le président Antoine Hacard. À nous ensuite d’en tenir compte dans l’accompagnement des producteurs. Le conseil stratégique va influer sur notre conseil agronomique, en fertilisation, éventuellement les rotations. »

Cerfrance partage cette vision. « La transformation des systèmes productifs est une des clés stratégiques des agriculteurs pour rester dans la course à l’horizon 2030 », avance Philippe Boullet, directeur du pôle Performance et Prospectives. Et de se placer dans « une perspective plus large que le conseil en phytos ». Pour l’agriculteur, il ne s’agit « pas simplement de serrer des boulons par rapport à ce qui est fait aujourd’hui mais de faire des choix assez importants et bien souvent d’enclencher une transformation du système productif ».

 

Un objectif de réduction des phytos

Le conseil stratégique en phytos doit « contribuer à la réduction de l’utilisation, des risques et des impacts des produits phytopharmaceutiques, et respecter les principes de la protection intégrée des cultures », souligne le ministère de l’Agriculture. Il s’agit d’apporter à l’agriculteur les éléments pour définir une stratégie de gestion des bioagresseurs. Cela repose sur un diagnostic indiquant les paramètres en jeu : spécificités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales de l’exploitation, organisation et situation économique, moyens humains et matériels disponibles, etc. Un plan d’action en découle. L’agriculteur doit justifier, lors du renouvellement de son Certiphyto, avoir reçu deux conseils stratégiques par période de cinq ans (avec un intervalle de deux à trois ans entre deux conseils). Cette condition n’est prévue qu’à partir du 31 décembre 2023.