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Une égalité de traitement encore loin d’être acquise

Animatrice, conseillère, formatrice et directrice : quatre femmes ont accepté d’évoquer leur carrière professionnelle dans un univers para-agricole encore très masculin.

Une égalité de traitement encore loin d’être acquise
De gauche à droite : Claire Chambon, directrice du marché de gros de Lyon-Corbas et Cécile Crozat, directrice de la chambre d’agriculture du Rhône. ©Marché de gros Lyon Corbas -Duvernay IAR

« Et le patron, il est où ? » Nombreuses sont les agricultrices à avoir entendu cette vieille rengaine sur le pas de leur porte. Comme si une femme ne pouvait pas tenir une exploitation. En réalité, ce sexisme ordinaire est loin de toucher les seules exploitantes agricoles. « C’est difficile de trouver les bons mots », admet Cécile Crozat. À 51 ans, la directrice de la chambre d’agriculture du Rhône ne le cache pas : sa carrière ne s’est pas toujours déroulée dans le respect. « Dans un autre département, j’ai déjà eu des propositions indécentes d’un ancien élu qui m’a suivi jusqu’à mon domicile », confie celle qui n’a alors pas osé en parler à son employeur. Et les autres exemples ne manquent pas. Comme ce jour où, lors d’une session chambre, un homme lui a rétorqué que forcément, « ici, il fait plus froid que dans une cuisine », alors qu’elle ne faisait que se moucher. Outre les remarques sexistes, la question de la rémunération reste encore un réel défi. « J’ai lu une enquête selon laquelle, à poste égale, il y avait un écart de 100 points entre la moyenne féminine et masculine, soit 600 € bruts par mois. » Sans parler des baisses de rémunération liées à des temps partiels pris pour s’occuper des enfants. Un choix majoritairement assumé par les mères, par rapport aux pères.

Le célèbre syndrome de l’imposteur

Des a priori sur la fameuse « secrétaire », Léa Berthelier en a également déjà connu. « Je replaçais alors la personne sur le ton de la plaisanterie, même si je pense qu’en tant que femmes, on se bride », explique la conseillère Vivea. Âgée de 36 ans, celle qui a travaillé de nombreuses années pour la FDSEA et les Jeunes agriculteurs de l’Ain, puis à la Fredon, admet avoir parfois ressenti une sorte de syndrome de l’imposteur. « C’est le fait de se dire : ''tu crois que tu peux y aller ?'' Alors qu’un homme ne se poserait pas la question de postuler ou non. En tant que femme, nous avons parfois l’impression que c’est plus difficile pour nous, qu’il faut forcer le passage, alors que nous donnons beaucoup, comme si c’était notre boutique. Il faut prouver que nous avons notre place, que nous sommes légitimes, que nous connaissons le sujet et une fois que c’est acquis ça roule. » Un mantra qui se retrouve d’autant plus lorsque les femmes exercent un métier technique, physique ou scientifique. À l’image de Pauline Garcia, connue sous le pseudonyme etho_diversite sur les réseaux sociaux. L’éleveuse cantalienne s’est spécialisée dans l’étude des comportements bovins, caprins et ovins et dispense des formations dans la France entière. « Quand j’ai commencé à proposer mon activité, je cumulais plusieurs éléments qui pouvaient constituer des freins : être une femme hors-cadre avec une expérience citadine et une approche scientifique. » Le maquillage et les talons en plus, l’effet est garanti à chaque début de formation. « Quand j’arrive, ils se demandent : ''c’est quoi son objectif de la journée, nous faire un défilé ? '' Puis, lorsque je commence à parler de mon métier, je sens que ça résonne en eux. »

La nécessité de « se faire respecter »

Outrepasser le regard et les a priori de la gent masculine ne s’apparente pas qu’au monde agricole. La directrice du marché de gros de Lyon-Corbas, Claire Chambon, en est l’exemple même. « Au démarrage de ma carrière en grande surface en tant que chef de secteur, c’était compliqué d’être face à des hommes qui avaient beaucoup d’attentes, relate-t-elle. Mais l’expérience et la confiance que j’ai gagnées m’ont permis d’avoir du répondant et l’approche pour m’imposer davantage. » Dorénavant, son poste de directrice, ainsi que les liens et le respect tissés avec les équipes lui confèrent un regard différent. Recruter des femmes aux postes d’acheteuses reste néanmoins une tâche quelque peu difficile. « Actuellement, il n’y en a que deux… Certes, les horaires sont compliqués, mais il faut aussi ne pas se laisser faire pour tenir les négociations et se faire respecter. » Une compétence qui ne s’écrit pourtant pas dans un CV.

Léa Rochon

Pauline Garcia, éleveuse dans le Cantal. ©P_Garcia