Techniques prairies
Une bonne herbe pour de bons résultats

Françoise Thomas
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C’est dans le cadre de la ferme du Jointout que Bio Bourgogne a organisé toute une journée technique autour de la thématique des prairies naturelles. Cette journée, reportée depuis deux ans à cause des conditions sanitaires, était menée en partenariat avec Interbio Franche-Comté, la Scopela, Terre de liens, Jura Nature Environnement et le CFPPA de Montmorot. La configuration et les pratiques de la ferme du Jointout se prêtaient particulièrement bien à cette thématique…

Une bonne herbe pour de bons résultats
L’un des objectifs de la démarche Patur’Ajuste est « de constituer, à l’échelle nationale, un lieu d’échange, de capitalisation et de diffusion des expériences sur la valorisation des végétations naturelles dans la production d'élevage... ».

Sur la ferme du Jointout, située à Torpes au nord de la Bresse bourguignonne, ils sont quatre associés pour gérer du maraîchage, un troupeau de chèvres et de moutons, un atelier de transformation fromagère, quelques porcs et chevaux. Sur les 45 ha de parcelles, 39 ha sont dédiés au pâturage et à la fauche, entre prairies naturelles et prairies temporaires, 2,5 ha aux cultures de méteil et maïs pour les animaux et 1,5 ha au maraîchage.

C’est Raphaël, l’un des quatre associés de la ferme, qui est désigné comme berger et donc en charge des 100 brebis laitières basco-béarnaises et 40 agnelles, et des 50 chèvres laitières poitevines et 30 chevrettes.

La conduite d’herbe

Au cours de cette journée technique dédiée à la gestion des prairies naturelles et à laquelle une quarantaine d’agriculteurs actifs ou en devenir ont participé, Raphaël a expliqué en détail sa gestion actuelle des parcelles.

« Mon objectif premier est de produire du lait, donc je priorise l’herbe pour qu’elle soit la meilleure possible ». Sa technique : faire tourner au maximum le troupeau sur les parcelles, « elles restent quatre-cinq jours sur un hectare avant de changer ». L’arrivée dans une nouvelle parcelle a un effet dès le lendemain en laiterie : « on voit tout de suite une augmentation ». La production annuelle de la ferme est de 18.500 litres de lait de brebis et 15.000 litres de lait de chèvres, transformés en fromages.

S’il mélange chèvres et brebis la majeure partie de l’année, Raphaël distingue malgré tous les groupes lorsque les brebis ont leurs agneaux : « pour ne pas avoir d’agneaux sur la route, je laisse les mères sur les parcelles autour de la ferme ».

Le principe de gestion des parcelles est d’y placer les animaux « lorsque l’herbe arrive à la malléole, détaille Raphaël, en dessous c’est trop tôt, au-dessus je fauche, sinon il y aurait trop de gaspillage ». Il minimise par ailleurs le chargement qui doit « être de 0,8 par ha ».

Concernant les refus, l’éleveur passe le broyeur, « je ne le fais pas systématiquement car cela demande beaucoup de temps, mais c’est le principe malgré tout et cela permet d’avoir une repousse homogène ».

Des animaux bichonnés

Ni brebis ni chèvres ne sont désaisonnées. Les périodes de mises bas sont conjointes aux deux espèces sur février mars, ce qui fait que la pleine lactation correspond à la période de pousse de l’herbe. Les brebis sont taries en septembre, les chèvres un mois plus tard. Puis « repos » pour tout le monde !

En termes de ration, les animaux retrouvent du foin à volonté une fois de retour en bergerie. Selon les périodes, elles sont également complétées avec du concentré à base de méteil, produit sur la ferme et contenant beaucoup de féverole, plus triticale, avoine et pois, avec un complément azoté et un peu de maïs.

Le système de pâturage tournant permet d’assurer deux voire, trois coupes sur certaines parcelles. La transition de l’herbe au foin s’opère généralement grâce au regain.

Mais Raphaël cherche à augmenter encore la part d’herbe dans la ration de ses animaux « pour réduire l’achat de granulé ».

Actuellement, tout roule : les volumes de lait et la qualité des fromages sont là, de même que la santé des animaux.

Des points d’amélioration

Il n’empêche que la journée de mardi a permis de soulever quelques limites aux pratiques mises en place au Jointout et d’évoquer quelques leviers à tester ou tout du moins auxquels réfléchir.

En effet, sur certaines parcelles de la mousse et des plantes nanifiées apparaissent « signe de surpâturage, empêchant les plantes de reconstituer leurs réserves », explique Maxime Boillot, le représentant de la Scopela. Cela serait particulièrement le cas lorsque les chevaux de la ferme passent après les petits ruminants pour manger les refus et restent trop longtemps sur ces parcelles.

Par ailleurs, un représentant de la Fédération locale de chasse a interpellé l’éleveur sur la problématique de fauche tardive. Pourquoi ne pas y avoir recours alors que cela pourrait préserver une certaine faune et permettrait à la flore une régénération naturelle ? Si l’éleveur a rappelé que son objectif est la production de lait et de foin appétant et que les petits ruminants apprécient moins une herbe plus grossière, il ne s’est pas montré fermé sur ce point. Il pourrait à l’avenir éduquer ses animaux à ne pas avoir accès qu’à de l’herbe tendre. Ce qui pourrait également avoir comme vertu de limiter les refus.

« Jusqu’à présent, explique encore Raphaël, nous procédions à un déprimage systématique au printemps pour favoriser le tallage, mais peut-être vaudrait-il mieux attendre pour favoriser les graines ».

De même, la herse est systématiquement passée sur les parcelles au printemps. « Or cela arrache les jeunes plantules et empêche ainsi le renouvellement naturel des prairies, explique Maxime Boillot. Il conviendrait sans doute de passer la herse à une autre période ».

Cependant, « cela peut aussi être une technique pour se débarrasser d’une plante », fait encore remarquer le chargé de projet de l’organisme de conseil et formation. Ce qui lui permet de démontrer que « par ses pratiques de pâturage, l’éleveur crée sur le court et le moyen termes le cortège floristique qu’il souhaite ».

Ainsi, cette « strate herbacée est soit subie, soit pilotée ! ». C’est tout le principe de Patur’Ajuste, la démarche mise en place depuis plusieurs années maintenant par Scopela, et qui se définit comme le « réseau technique pour la valorisation des végétations naturelles par l’élevage ».

L’idée étant pour les éleveurs d’être accompagné et conseillé dans leur gestion de pâture non pas « en fonction des résultats, mais en fonction des objectifs ». Encore une fois, l’objectif du Jointout est le lait et il n’est pas question-là de « le sacrifier ». Ne passer la herse que sur les taupinières, éduquer le troupeau à des herbes plus ligneuses, procéder à une fauche tardive sur certaines parcelles, etc. : tout cela est maintenant à étudier.

Une quarantaine d’éleveurs actifs ou en formation sont venus assister à cette journée technique autour de la valorisation et de la gestion des prairies naturelles.