Agriculture et écologie
Un rééquilibrage fragile : « La peur doit changer de camp »

« A-t-on abandonné nos agriculteurs et nos entreprises alimentaires ? ». Tel était le thème proposé mi-mars par le collectif Les Z’Homnivores qui organisait un colloque à l’Assemblée nationale. L’occasion de vilipender les dérives d’associations écologistes et de présenter des pistes pour rééquilibrer les relations entre agriculture et écologie. 

Un rééquilibrage fragile : « La peur doit changer de camp »

Les mots sont forts : « On criminalise la consommation de viande et on lutte contre l’élevage », s’énerve Pascal Perri, éditorialiste économique et essayiste. « Il existe en France une forme de prédation sous l’aspect d’activistes environnementalistes, des petites armées à recours contentieux qui sont là pour intimider, empêcher de produire et d’installer », lâche le député Antoine Armand (Renaissance, Haute-Savoie). « Nous faisons face à un flot de désinformation de la part de groupuscules qui ont choisi de faire de la baisse de la production et de la décapitalisation leur cheval de bataille », assène sa collègue, Nicole Le Peih (Renaissance, Morbihan), elle-même agricultrice. Elle témoigne de la genèse de sa proposition de loi sur les troubles anormaux du voisinage. « Quand on m’a proposé de la déposer, j’ai mesuré tous les obstacles et j’ai temporisé. Le déclic est venu quand j’ai vu le maire de ma commune faire face à de nombreuses plaintes parce que les moissonneuses-batteuses tournaient tard le soir et que ça dérangeait quelques riverains. Ces derniers ne comprenaient pas qu’après plusieurs jours de pluie, on profitait d’une accalmie de quatre jours pour simplement gagner notre vie ».

« La peur doit changer de camp »

Là où le bât blesse pour Carole Hernandez-Zakine, docteur en droit de l’environnement appliqué à l’agriculture, « c’est qu’on a laissé faire ces associations pendant cinquante ans ». Et ce depuis qu’en 1976, le droit de l’environnement a été consacré d’intérêt national. Il est venu non seulement se télescoper avec le droit rural, mais par son caractère supérieur, il est venu perturber l’écriture du droit en général en s’infusant dans tous les domaines économiques, en s’imposant avant la liberté d’entreprendre et le droit de propriété. Comment faire pour rétablir un meilleur équilibre ? « La peur doit changer de camp », répond l’avocat Timothée Dufour, spécialiste des questions agricoles. Il faut inscrire dans la prochaine loi d’orientation sur la souveraineté agricole le principe que l’agriculture est d’intérêt national, ce qui la mettrait au même plan que l’environnement. Une intention que valide pleinement Carole Hernandez-Zakine, même si elle préfère parler de souveraineté alimentaire. « Parce que l’agriculture relève de l’économique et que le Conseil d’État ne sait pas définir juridiquement ce qu’est la souveraineté économique ». Pour elle, il ne faut « surtout pas écrire le terme "durable" dans le projet de loi, car c’est la tarte à la crème qui provoque de nombreux malentendus et qui se traduit systématiquement par du bio et des poules plein air », précise-t-elle. Timothée Dufour acquiesce estimant que c’est un terme « d’infiltration qu’on va retrouver dans les jugements ». L’avocat entend aussi que le législateur travaille sur la légitimité des associations et des groupuscules et que l’administration détecte en son sein les quelques inspecteurs vétérinaires qui sont ouvertement anti-élevage.

Agrobashing dissuasif

« Il faut simplement les repérer au sein de l’association Le Lierre (lire encadré) », fait remarquer Jean-Paul Torris, vice-président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) qui parle d’« entrisme écolo au sein de la Commission européenne ». Certes, il ne faut pas tomber dans la « caricature. Il existe des écologistes modérés avec lesquels on peut parler », pondère la députée Anne-Laure Babault (Renaissance, Charente-Maritime). Cependant, c’est sous leur pression que le groupe Le Duff a abandonné, en mai 2023, son projet de création d’une usine de viennoiseries et de pain de sa marque principale, Bridor, avec 500 emplois à la clé*. « Le climat d’agrobashing est dissuasif », se désole Jean-Paul Torris. Pour Alexandre Montay, délégué général du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire **(METI), il faudrait peut-être que les « externalités positives (impôts, logements, culture, mobilité, emplois, …) des entreprises agroalimentaires notamment soient prises en compte » dans l’environnement global. Il faut selon lui « faire preuve d’intelligence collective et avoir les synapses de la pensée transverse, comme le font si bien nos collègues allemands ». S’inspirant de la posture des associations écologistes, Yves Fantou, vice-président du think-tank Les Z’Homnivores conclut par ces mots : « Je pense qu’il faut une convergence des luttes pour soutenir et protéger la production alimentaire française ».

(*) Bridor s’est finalement installé aux États-Unis en percevant en plus des aides financières américaines, aides qui lui étaient refusées en France.

(**) Les ETI emploient entre 250 et 4 999 salariés, et ont un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros.

Le Lierre, une association discrète 

Fondé en 2019, le Lierre est le « réseau écologiste des professionnel·le·s (sic) de l'action publique ». Il « rassemble plus de 1.700 fonctionnaires, agents publics, contractuels, experts, consultants, acteurs et actrices des politiques publiques, convaincus que la transformation profonde de l'action publique est indispensable pour répondre aux urgences écologique, sociale et démocratique ». Cette association souhaite notamment une modification de la gouvernance du secteur agricole avec une place plus importante laissée notamment aux syndicats minoritaires. L’association avait notamment appelé les huit « déserteurs d’AgroParisTech », lors de la remise des diplômes en avril 2022 à s’engager dans leurs rangs. Dix membres du Lierre avaient signé une tribune dans le JDD en ce sens. Très discrète dans les médias, cette association n’en reste pas moins active dans l’administration.