Assises de la prédation
Sauvegarder l’élevage et le pastoralisme

Lors de leur dernière journée de session à Chorges (Hautes-Alpes), le 2 juin, les Assises de la prédation ont organisé deux tables-rondes : l’une relative aux évolutions que les pouvoirs publics veulent engager pour sauvegarder l’élevage face aux prédateurs et l’autre sur un volet plus européen. 

Sauvegarder l’élevage et le pastoralisme

Lors de la première table-ronde, le député Antoine Armand (Haute-Savoie) a donné le ton. Pour lui, de telles assises ne devraient pas se tenir, du moins pas sous l’égide des éleveurs qui pointent les dysfonctionnements de la réintroduction du loup depuis plus de 30 ans. Elles auraient dû être organisées par les pouvoirs publics. Le sénateur Jean Bacci (Var) lui a emboîté le pas, jugeant comme son collègue parlementaire la « grande responsabilité de l’État ». Sur ce point, Bernard Mogenet, président des FNSEA de Savoie a été plus clair, accusant « les pouvoirs publics d’avoir caché le retour du loup », une thèse aussi défendue par l’historien et archiviste paléographe, Michel Pastoureau (lire encadré).

Reste qu’aujourd’hui, la pression devient telle que « l’espèce n’est plus menacée au titre de la convention de Berne et de la directive européenne Habitats-Faune-Flore », ont plaidé nombre d’intervenants des deux tables-rondes. Quelque peu gêné, le préfet référent du Plan national d’action (autre dénomination pour le Plan loup) a rappelé que le loup « est une espèce protégée », même si on a atteint le seuil de viabilité de l’espèce. « Rien n’est arbitré aujourd’hui sur le futur Plan loup », a-t-il pris soin d’ajouter, bien qu’il subodore que certaines avancées pourraient être réalisées sur le renforcement des tirs ainsi que sur l’impact du loup sur la biodiversité, les écosystèmes, la faune sauvage et… l’élevage. À ce jour, aucune étude de ce type n’a encore été réalisée.

De leur côté, les représentants agricoles jouent la franchise : « Passons d’un plan de gestion à un plan de régulation (…) et parlons plutôt d’un plan de sauvegarde de l’élevage et du pastoralisme, dont le loup n’est qu’une composante », a milité Michèle Boudoin, présidente de la Fédération nationale ovine. « Faisons sauter le quota des 19 % », a pour sa part plaidé Bernard Mogenet, appelant à « abattre les loups dès le printemps », ce qui épargnera des bêtes sur les alpages.

« Le meilleur outil : le fusil »

Car plus que la perte financière, c’est l’impact psychologique qui est le plus compliqué à vivre pour les éleveurs. Nombreux sont ceux, Français, Allemands et Italiens, à avoir apporté leur témoignage dans de courtes vidéos (lire encadré 2). « Je ne comprends pas que les pro-loups restent insensibles à la détresse de ces hommes et de ces femmes et à ces douleurs viscérales », a déclaré la présidente du Copa, Christiane Lambert. « Non, ailleurs en Europe, et contrairement à ce que dit France nature environnement (FNE), ça ne se passe pas bien », cartographie à l’appui. Un seul exemple : l’Allemagne qui n’avait pas de loups en 2003 en compte aujourd’hui plus de 1.000, a indiqué le député européen, Norbert Lins. Le problème est que le dossier loup relève essentiellement des Commissions environnement au Parlement européen et à la Commission européenne où les écologistes règnent en maître. « Il faudrait déjà que l’on puisse passer du statut de protection stricte à protection simple (…) et que les indemnisations viennent du budget de l’Environnement et non de la Pac pour être en cohérence avec les porteurs du dossier », a martelé Cédric Tranquard, président de la Commission faune sauvage de la FNSEA. « La priorité, c’est la protection des élevages et des éleveurs. Le meilleur outil, ce n’est pas le tableau Excel pour compter le nombre de loups : c’est le fusil », a conclu le député européen, Jérémy Decerle.

Le Loup par Michel Pastoureau

Historien des couleurs, Michel Pastoureau est spécialiste de la symbolique des emblèmes, de l’héraldique et de l’histoire culturelle des animaux. Il a d’ailleurs consacré sa thèse au Bestiaire héraldique médiéval et publié en 2018 aux éditions du Seuil un ouvrage : « Le loup, une histoire culturelle ». Lui-même en « observateur neutre », rappelle, page 12, que cet animal a été « réintroduit volontairement » et que les loups « se sont trop vite multipliés et, ce faisant, sont devenus un fléau pour le bétail ». En revanche, il soutient la thèse que « le loup n’est pas mangeur d’hommes, le loup est innocent de tous les crimes dont l’ont accusé les historiens ». En douze chapitres, Michel Pastoureau brosse un portrait inédit d’un animal entre emblèmes, fables, contes, croyances, superstitions, sociologie, histoire et réalité.

Des témoignages bouleversants

En introduction de la table-ronde européenne, les organisateurs ont diffusé des témoignages poignants d’éleveurs confrontés à la prédation. Les Allemands se désolent que les Länders et le gouvernement fédéral ne prennent aucune mesure contre les attaques de loups. « C’est flippant et on deviendrait presque paranoïaque », indique Nicolas Peccoz, éleveur : « Tu ne le vois pas. Il attaque. Tu ne le vois pas. Il attaque encore […] Ces attaques sont dures à vivre ». Ce que confirme Nathalie Bugeaud de la MSA Ardèche qui parle de syndrome post-traumatique comme peuvent en souffrir certains militaires revenant des combats. La situation est « critique », indique un éleveur italien qui nourrit le sentiment d’être dans un camp de prisonnier avec les nombreuses clôtures de protection qu’il a mises en place. Se disant « psychologiquement détruit », il résume son métier : « nous, agriculteurs, sommes devenus des chiens de garde ». Il envisage d’abandonner le métier.