Vins de Bourgogne
Annus paradoxicum !

Le Bureau interprofessionnel de vins de Bourgogne dresse un constat paradoxal, au sortir des vendanges : il va falloir faire avec une récolte historiquement faible dans un contexte de marché très porteur.

Annus paradoxicum !
Frédéric Drouhin, (à gauche) président du BIVB et François Labet, président délégué.

« Annus Horribilis » : popularisée il y a bien longtemps par la cour royale d’Angleterre, l’expression est entrée dans le langage commun pour décrire une période que l’on préférerait oublier bien vite. François Labet, président délégué du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) n’a pas hésité à l’utiliser, en ouverture d’une conférence de presse organisée à Meursault, le 5 octobre. Au sortir des vendanges, les craintes liées au gel du mois d’avril se sont malheureusement vérifiées. Même si on en est encore qu’aux estimations, la récolte 2021 devrait se situer entre 750.000 et 900.000 hl, soit 50 % de ses niveaux habituels. « Certes, précise François Labet, la pluviométrie et le mauvais temps ont eu un impact, mais dérisoire, comparé au gel du printemps ». Et comme si cela ne suffisait pas, le Mâconnais a subi plusieurs chutes de grêle, dont un épisode juste avant les vendanges… Plus qu'« horribilis », 2021 pourrait bien, en fait, être surtout paradoxale : si la quantité n’est pas là, la qualité, elle, marque un retour à un certain classicisme qu’on aime, en Bourgogne, dixit les élus du BIVB. « Il y a de jolies choses dans les blancs, poursuit le président délégué, et dans les rouges, on va trouver des vins fruités, comparables au millésime 2014 et différents des derniers millésimes solaires et chauds. Nous serons sur des vins qui vont réclamer un peu de vieillissement, ce qui nous plaît bien ».

La question des stocks


Le paradoxe, on le trouve aussi dans le fait que cette petite récolte va devoir composer avec des marchés très porteurs, qui semblent être repartis très forts, une fois le « dur » de la crise sanitaire passé. Une bonne nouvelle, donc mais qui soulève aussitôt la question des stocks. Selon le BIVB, chez les vignerons, dans les coopératives ou les négoces, ce stock est bien présent, mais suffira-t-il à combler une demande très forte ? On sait déjà que le gel et la réduction de récolte qu’il a entraîné auront sûrement des conséquences sur la production de crémants de Bourgogne et peut-être aussi sur le vrac, même s’il est encore trop tôt, dans ce dernier cas, pour tirer des conclusions définitives, en raison d’un nombre très réduit de transactions actuellement enregistrées. Il n’en reste pas moins que cette petite récolte associée à une forte demande réclamera de la vigilance. Ceci d’autant plus qu’elle intervient au terme d’une décennie elle-même marquée par une baisse moyenne de récolte en Bourgogne de l’ordre de 30 %. « Les chiffres en sortie de propriété sont en hausse de 11 % par rapport à 2020, note Frédéric Drouhin, le président du BIVB, et ils sont bons sur toutes les appellations de Bourgogne. Le marché français, qui représente 50 % de nos sorties, se porte bien, avec, notamment, une hausse de 17 % des volumes en grande distribution. À l’export, la Corée-du-Sud a multiplié ses importations par quatre, sous l’effet d’un accord de libre-échange. La suspension de la taxe Trump a aussi eu un fort effet bénéfique pour nos ventes aux États-Unis. De façon étonnante, le Brexit n’a pas eu d’effet néfaste sur nos exportations au Royaume-Uni, celles en direction de la Belgique ont augmenté de 30 % en volume et en valeur… »

Répercussions sur les prix ?


Selon le BIVB les opérateurs du secteur (viticulteurs et négociants) disposeraient de deux années de stock, « mais, poursuit Frédéric Drouhin, avec une production 2021 en baisse de moitié, la commercialisation ne pourra pas rester la même. Nous sommes tous suspendus à la récolte 2022 et, en attendant, nous devrons lisser les stocks. Il sera nécessaire de bien gérer en commun entre les viticulteurs, le négoce, les exportateurs… ». Au-delà des stocks, il faudra aussi conserver un œil sur les prix : cette récolte 2021 aura été chère à produire. L’interprofession ne donne aucun mot d’ordre sur ce point mais les producteurs devront sans doute répercuter tout ou partie de leurs surcoûts, au risque de voir une partie de la clientèle se détourner. « Sur les prix, constate François Labet, nous aurons plus de visibilité en novembre, au moment de la Vente des vins de Beaune, mais personne n’a envie de perdre des marchés. Il faudra rester raisonnable car les places perdues sur les étagères sont toujours difficiles à regagner… »

Berty Robert

Au delà du gel, ne pas oublier le dépérissement

Pour Frédéric Drouhin, président du BIVB, il importe que le conjoncturel ne prenne pas le pas sur le structurel : « Les effets du gel, qui sont bien réels, ne doivent pas pour autant nous détourner d'une problématique bien plus profonde, et qui questionne l'avenir même de notre vignoble : le dépérissement constaté de certaines vignes. Le BIVB a pris un virage technique important en entamant un travail de fond sur le matériel végétal. Nous allons cette année consacrer un budget de 2,2 millions d'euros aux recherches sur ces questions ». Le président du BIVB a souligné à cette occasion qu'actuellement, dix porte-greffes sont expérimentés en Bourgogne.

Manque de sucre

Alors que « certains ODG de Bourgogne ont bien demandé une hausse de la chaptalisation, expliquait François Labet, pour lui l'enrichissement est un outil, ce n'est pas automatique », préférait-il éluder la question. « Nous demandons tous les ans l'autorisation d'enrichir, ce qui ne signifie pas que nous y avons recours. C'est une pratique légale et enrichir permettra, cette année, de préserver la fraîcheur aromatique », tenait-il cependant à préciser en direction de la presse professionnelle. Un temps envisagé par certaines appellations de demander une dérogation au degré minimum des appellations à l'Inao, les coopératives et marchands ont connu de nombreuses demandes et pénuries en sucre à l'heure du début des vinifications. Ce qui permettait à Frédéric Drouhin, le président, de conclure  « pour ce millésime, l'enrichissement sera plutôt une bonne nouvelle ».