Gestion des fonds Feader
Dernier avertissement pour la Région

Cédric Michelin
-

Lundi 6 novembre, une cinquantaine d’agriculteurs attendaient de pied ferme les explications de la Région sur son « incapacité » à gérer et à reverser les fonds Feader. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la terre a grondé à Saint-Julien-de-Civry. La colère monte au nez de tous. La profession agricole a fait ses propositions, qui sont désormais des obligations de résultat, et même fixé un ultimatum. Tous les élus régionaux sont prévenus. Il n’y aura pas d’autre avertissement.

Dernier avertissement pour la Région
Dans notre prochaine édition, retour sur les témoignages, interventions et réactions suite à cette mobilisation régionale des élus.

Lundi, le vice-président de la Région, Christian Morel, en charge de l’agriculture n’en menait pas bien large, tout comme ses collègues, Jérôme Durain, sénateur et président du groupe de la majorité régionale ou encore Fabrice Vuillot, conseiller régional de Saône-et-Loire. L’élue du Rassemblement national, Valérie Deloge et le collaborateur de Gilles Platret, des Républicains étaient également présents. N’étaient donc pas représentés, la majorité présidentielle, les Écologistes et les Communistes, pourtant tous conviés. Il faut néanmoins saluer les élus présents qui savaient avant de venir qu’ils allaient passer un mauvais moment à devoir défendre l’indéfendable.

En effet, la gestion des fonds Européens du Feader est une des grandes missions de la Région, l’agriculture figurant derrière l’industrie comme priorité économique. Mais depuis maintenant deux ans, les élus de la Région n’ont pas entendu n’y compris que leur administration menait les « paysans dans le mur ». C’est pour que tous les élus régionaux en soient conscients que dans chaque département de Bourgogne-Franche-Comté, des réunions comme celle de Saint-Julien-de-Civry ont eu lieu. En Saône-et-Loire, c’est donc le Conseil de l’Agriculture qui portait cette réunion avec la présence de nombreuses organisations professionnelles agricoles (FDSEA, JA, Chambre, MSA, CERFrance…). Son président et président de la FDSEA de Saône-et-Loire, Christian Bajard plantait le décor : « nous sommes devant un grave problème d’accompagnement des agriculteurs et notamment des jeunes ».

La Région refuse la main tendue

Une fois cette introduction faite, la présidente des Jeunes Agriculteurs de Saône-et-Loire, Marine Seckler ne mâchait pas ses mots : « Depuis le début, nous sommes inquiets. Cela fait deux ans qu’on enchaîne les réunions avec angoisse, désespoir… et toujours les mêmes promesses, vagues de votre administration qui ne vient même plus aux réunions, incompétente » et qui se permet même un « dénigrement inadmissible », tonnait-elle. Cette situation est d’autant plus mal vécue qu’auparavant, la Saône-et-Loire faisait partie des départements au temps de gestion des dossiers les plus courts grâce à un « travail collectif ». Marine Seckler tenait fiévreusement son grand carnet de notes où elle compile les dossiers en souffrance et les demandes faites à la Région qui « ne répond pas, pire refuse la main tendue ». En effet, début d’été, ne voyant aucune avancée du conseil Régional, la profession a proposé qu’une partie des dossiers Feader soient instruits par les chambres d’agriculture.

La politique de l’autruche

La Région a alors refusé. Après de nombreux témoignages poignants et remplis d’émotions (lire notre prochaine édition), n’en tenant plus, Christian Bajard faisait toucher du doigt aux élus régionaux, la détresse morale et mentale qui s’abat sur les porteurs de projets, preneurs et cédants confondus : « derrière chaque projet, il y a un jeune, un parent, un tonton… vos collaborateurs semblent ne pas l’avoir compris. Votre rôle d’élus est de les sortir de ce merdier. Nous, agriculteurs sommes motivés, bien formés, on a la niaque, on accepte la dureté du métier et on se bat contre le changement climatique, mais l’absence de réponse de gens gérants l’argent de l’Europe, n’est pas acceptable ». Car, la Région est aux abonnés absents en allant jusqu’à couper la ligne téléphonique d’aide. Une politique de l’autruche indigne. Même le site web Europac, permettant de déposer les dossiers et les suivre, ne fonctionne pas en Bourgogne-Franche-Comté, alors qu’il est opérationnel dans « 11 sur 13 régions de France ».

Ne plus laisser les propositions lettre morte

La profession réitérait donc ses propositions. Preuve que le dossier est sévèrement enlisé, la profession veut un tableau de bord pour connaître ne serait-ce que le nombre de dossiers, par département, déposés, instruits… que la Région n’a ou ne fournit pas. La profession estime à plus de 6.000, le nombre de dossiers en souffrance ! La seconde demande est donc d’obtenir un fonds de solidarité pour les agriculteurs qui n’ont pas pu déposer une demande entre le 1er janvier et le 30 juin 2023, mais qui pouvaient normalement en bénéficier. Si tout le monde est désormais conscient qu’il sera quasiment impossible de rattraper les retards accumulés, la profession ne s’en satisfait pas pour autant et veut que le conseil Régional agisse « en urgence » en mobilisant en interne une équipe supplémentaire et en donnant la possibilité aux chambres d’agriculture d’instruire les demandes de paiement. Des demandes qui ne couvrent que la programmation 2014/2022. La profession ayant déjà fait autant de propositions pour la programmation 2023/2027. Bref, un véritable cahier des charges pour apprendre à la Région comment mener les dossiers au bout.

Des propositions qui n’en sont plus en réalité. La présidente des JA ne veut surtout plus d’excuses. Avant de donner la parole aux élus régionaux, elle ne voulait « plus entendre que vous rencontrez des difficultés de recrutement, que c’est la non-transmission des dossiers par l’État… », listait-elle les fausses réponses apportées depuis deux ans. « Ras le bol. On a alerté pour rien. Vous avez planté des jeunes pour les 20 prochaines années », s’énervait Christian Bajard.

Ne pas mentir aux paysans

Visiblement mal à l’aise, Christian Morel se disait « sensible » aux témoignages. Malheureusement pour lui, l’élu qu’il est, tenait un discours défendant son administration, mais n’apportant réellement aucune solution. Un discours qui faisait sortir de ses gonds, Christian Decerle. Le président de la chambre régionale de l’agriculture ne tolérait pas que l’élu régional « torde la vérité » pour dédouaner le conseil Régional. Sur le point précis des conventions État/Région/Département, « tu n’as pas le droit de faire une pirouette », pour se couvrir derrière un courrier du Ministre. « Pour le département de Saône-et-Loire, vous avez eu une attitude indigne à l’égard des fonctionnaires de ce département, indigne ! », enfonçait-il le clou. « Le travail était prêt, le fonctionnaire (de la DDT71, N.D.L.R.) s’est tourné vers la Région pour savoir ce qu’il fallait faire. La Région a clairement répondu, on fera le boulot. Donc c’est la Région qui est pleinement responsable du dysfonctionnement […], avec votre administration désorganisée, inefficace et qui vous enterre avec nous, les paysans, surtout, qui nous retrouvons dans une situation incalculable. Alors Christian (Morel), ne ment pas devant les agriculteurs », le sommait Christian Decerle. Ce dernier pouvant ressortir tous les mails d’alertes et réunions à maintes reprises jusqu’au plus haut sommet, avec la présidente de Région, Marie-Guite Dufay n’ignorant rien du dossier.

Dernière sommation

Le président du groupe majoritaire, Jérôme Durain finissait par le reconnaître : « notre boulot est de nous faire engueuler, nous sommes responsables. Vous êtes dans la merde et nous aussi. On a eu des ratés au départ et on s’est pris les pieds dans le tapis après. On a bien compris l’urgence et on vous remercie pour les alertes voire, de ne pas avoir été plus durs » ce jour, s’excusait le sénateur de Saône-et-Loire. Il tentait de rassurer pour la suite : « La Région ne tourne pas le dos à la jeunesse agricole. […] On ne vous laissera pas dans la panade », promettait-il qu’aucun centime de l’Europe ne repartira à Bruxelles. Il redisait aussi que la Région prendra sur ses budgets, voire en « rajoutera » pour tenter de « compenser ». À peine suffisant, tant le mal est déjà fait. FDSEA et JA fixaient donc des échéances à très court terme. Et un dernier ultimatum…