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Les raisins du Reich

Françoise Thomas
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Entre agriculture, politique et économie, les vignobles français ont connu entre 1940 et 1944 des heures peu glorieuses sur lesquelles certaines organisations préfèrent jeter un voile plus que pudique. 

Les raisins du Reich

Dès les premières lignes, le journaliste Antoine Dreyfus donne le ton : « Omerta sur les cépages », écrit-il en prologue d’un récit très étayé, très fouillé et aussi très instructif. Dans le Bordelais, en Champagne, en Bourgogne et dans le Cognac notamment, nombreux sont les domaines qui se sont engagés, par défaut, par contrainte ou par conviction dans la collaboration économique avec l’occupant nazi.

Certains de ces domaines assument cette connexion et se pesant héritage, n’hésitant pas à ouvrir volontiers leurs archives quand d’autres, au passé tout aussi sulfureux, préfèrent conserver le mutisme. Démythifiant l’action résistante de certains vignobles et certaines maisons, il rappelle que sous l’Occupation, les affaires n’ont jamais cessé, y compris en viticulture. Avant même cette période « le vin et les alcools français constituèrent des objectifs stratégiques et cruciaux pour l’Allemagne nazie, aussi bien pour les libations des dignitaires et des oligarques SS, pour le moral des troupes de la Wehrmacht […] que pour servir de carburant aux fusées V2 », souligne-t-il. Nombreux sont ces hauts responsables allemands à s’être servi, Hermann Goering en premier que l’auteur qualifie d’« ogre insatiable ». C’est une quête (de sens et de vérité) à laquelle Antoine Dreyfus nous convie, nous faisant visiter une "cave d’Ali Baba", près de Chisinau (Moldavie) où sommeillent encore des grands crus prestigieux : Romanée-Conti, Margaux, Yquem, etc., mises en bouteille avant-guerre. L’auteur nous fait croiser de troubles et d’ambigus personnages qui seront plus ou moins inquiétés après la Libération et qui d’une manière générale seront réhabilités et amnistiés.

Tout aussi passionnant est le récit qu’il consacre aux vignes du Maréchal Pétain dont il reste quelques vestiges historiques. L’auteur se désole que l’épuration dans le milieu viti-vinicole ait été « manquée ». À défaut de juger la collaboration politique et économique, les autorités d’alors ont préféré taxer les profits… justifiant cette décision par de nombreux arguments dont celui de l’exportation. Certes les fonds récupérés ont servi à reconstruire une partie du pays. Cependant, une condamnation juridique (indignité nationale, confiscation des biens, etc.) aurait dû, selon l’auteur, être plus systématique. Surtout, il aurait souhaité (de manière un peu paradoxale) que les Français prennent exemple sur les Allemands qui « remportent le match de la mémoire » et n’hésitent pas à faire leur mea culpa. « Tard peut-être, mais pas trop tard ».

Les raisins du Reich – Antoine Dreyfus – Flammarion – 230 pages – 21 €