Alessandra Kirsch
L'économiste Alessandra Kirsch incite à la « rationalité économique »

Marc Labille
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Pour l’économiste Alessandra Kirsch, les éleveurs allaitants vont devoir jouer la sécurité pour s’en sortir. Aides PAC, maîtrise des coûts de production, anticipation des achats, contractualisation, assurances : ne rien laisser au hasard, recommande-t-elle.

L'économiste Alessandra Kirsch incite à la « rationalité économique »
La hausse des coûts de production fait redouter un effet ciseau si les prix de vente des animaux venaient à chuter. Une situation qui incite à la maîtrise des coûts alimentaires, recommandait Alessandra Kirsch.

Alessandra Kirsch, économiste, directrice d’études du « think tank » Agriculture Stratégies, était l’invitée de la dernière assemblée générale d’Avéal le 8 décembre dernier. Face aux adhérents de la coopérative charolaise, elle devait répondre à une question délicate : « quelles perspectives pour notre agriculture territoriale dans un contexte mondial incertain ? ».

Revenant sur une année 2022 qui restera dans les mémoires, Alessandra Kirsch rappelait que « la situation était déjà tendue avant la guerre en Ukraine ». Le Covid avait déjà provoqué une explosion de la demande et une hausse des coûts. « Plus de 300 pays dépendaient déjà de la Russie et de l’Ukraine pour le blé avant la guerre », indiquait l’intervenante. Lorsque la Russie a attaqué son voisin, tout s’est retrouvé réuni pour faire « exploser les marchés » : céréales bloquées en Ukraine ; craintes pour les semis de printemps ; pire récolte annoncée par la Chine… Le prix du pain a bondi jusqu’à doubler dans certains pays avec le risque d’émeutes de la faim…, dépeignait l’économiste.

L’UE « ne déroge pas à son green deal… »

Pendant ce temps, l’Union Européenne s’est obstinée à appliquer une PAC conçue bien avant cette crise planétaire. « Elle ne déroge pas à son green deal », cette stratégie verte qui conduit vers une inéluctable baisse de production. « Les autres pays ne sont pas du tout dans cette logique », informait Alessandra Kirsch qui parlait d’une « déconnexion complète » entre l’UE et les autres puissances en termes de soutiens. L’économiste rappelait l’importance des aides dans le revenu des agriculteurs français. Et avec les PSN (Plan Stratégique National) par pays, on assiste à une « renationalisation de la PAC » qui, faute de cohérence entre les choix des uns et des autres, va aboutir à des distorsions de concurrence entre les 27 États membres, prévenait l’intervenante.

Ne pas passer à côté des aides PAC

Mille pages constituent le PSN France qui s’est appuyé sur une consultation publique pour son élaboration… Il prévoit une baisse de l’enveloppe globale aux bovins et « ce sont les laitiers qui gagnent », expliquait Alessandra Kirsch. Mais si les allaitants perdent des aides couplées, ils récupéreront des aides découplées dans le cadre du ré-équilibrage et de la convergence. Et l’économiste de faire valoir que « les éco-régimes sont quand même très accessibles (pour les éleveurs du bassin allaitant) et qu’il ne faut donc pas passer à côté ».

La crainte d’un effet ciseau des prix

En 2022, le marché de la viande a été soumis à d’énormes turbulences, poursuivait-elle. Avec le phénomène de décapitalisation, les prix des animaux remontent enfin. Mais le prix de revient aussi, au point d’être supérieur aux cotations 2022, selon les calculs de l’Idele - avec une rémunération de deux Smic, précisait l’intervenante. Elle évoquait aussi la flambée de l’Ipampa (Indice des Prix d’Achat des Moyens de Production Agricole). Une hausse des coûts de production qui fait redouter un effet ciseau si les prix de vente venaient à chuter avec des charges toujours élevées. Cette situation incite à la maîtrise des coûts alimentaires, recommandait Alessandra Kirsch.

Profiter des prix hauts pour contractualiser

« La quête de la valeur ajoutée trouve ses limites dans le pouvoir d’achat », poursuivait l’experte. Car il ne faut pas perdre de vue le phénomène d’inflation : + 14 % en France jusqu’à + 54 % en Hongrie… Cela provoque « un phénomène de descente de gamme » dans la consommation, rapportait l’intervenante. Cette conjoncture encourage malgré tout à « s’adapter plus que jamais aux attentes des consommateurs ». Alessandra Kirsch incitait aussi à profiter de ces prix hauts pour appliquer les EGAlim et notamment contractualiser. « Vous êtes en force pour négocier », faisait-elle remarquer.

Bien connaître ses coûts de production

Elle redisait aussi la nécessité de bien connaître ses coûts de production. Face à des éleveurs de charolaises parfois lourdes, l’économiste insistait sur l’importance de la productivité, du rendement, des marges. L’optimum, c’est « atteindre un état d’engraissement convenable avec le coût alimentaire le moins élevé possible, sans forcément exploiter au maximum le potentiel d’un animal », martelait-elle. Un raisonnement économique dépassionné qui remet de la « rationalité », implique « d’anticiper au maximum ses achats, ses stocks, de réaliser des bilans fourragers, de travailler l’autonomie… Pour sécuriser au maximum le système », recommandait l’économiste qui évoquait aussi la nécessité de sécuriser les débouchés, de privilégier les outils de pilotage et d’intégrer l’assurance multirisques climatiques.

La coopérative, une chance !

Pour ses adhérents, la coopérative Avéal est une chance face aux défis du moment, estimait Alessandra Kirsch. Elle devra fournir aux éleveurs des repères en termes de coûts de production et pour les EGAlim, estimait l’économiste. « C’est une chance d’avoir deux usines d’aliments », poursuivait-elle soulignant « le lien entre ce que les adhérents peuvent fournir et ce qu’ils ont besoin d’acheter ». L’intervenante pointait aussi la mutualisation que permet une telle coopérative. Une force pour des achats groupés, le stockage, etc.