Lancé fin mai 2021 sous l’impulsion du président Macron, le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique a été conclu le 1er février par Jean Castex. Après un premier volet assurantiel bouclé fin 2021, actuellement examiné par le Parlement, celui de la gestion de l’eau a été dévoilé. Le Premier ministre a annoncé deux évolutions réglementaires. D’une part, un rôle renforcé du préfet sur la conduite des Projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), qui encadrent la création de nouvelles réserves. Et d’autre part, la fixation de volumes prélevables hors étiage, et non plus seulement à l’étiage. Objectif : « Capter l’eau excédentaire » en hiver. Pour intégrer au plus vite ces dispositions, les chambres d’agriculture demandent la suspension du vote des Sdage prévu en mars, ce qui fait bondir FNE. Preuve que le consensus recherché est encore loin.

EXCLU WEB / Varenne agricole : la promesse d’un meilleur accès à l’eau

« Faire émerger le plus possible un consensus », qui soit « le plus large ». C’est le vœu formulé par Jean Castex lors de sa conclusion du Varenne agricole le 1er février. Presque une gageure dans ce dossier placé sous haute tension. Pour ce faire, le gouvernement n’a pas renversé la table, et s’appuie sur le cadre fixé en 2019 par les Assises de l’eau : ce sont les PTGE (projets de territoire pour la gestion de l’eau), qui imposent une concertation abordant tous les usages de l’eau pour toute nouvelle retenue, et dont Jean Castex a souligné la « pertinence ».

Toutefois le gouvernement veut donner corps à sa promesse d’accélérer les créations de retenues sur le territoire. Pour ce faire, il a annoncé deux évolutions réglementaires. La première porte justement sur les PTGE : « Une concertation ça ne peut pas durer dix ans ou quinze ans. […] Il faut enfin avoir le courage d’avancer et de décider, même quand c’est compliqué », a déclaré le Premier ministre.

Le rôle des préfets sera pour cela renforcé dans le pilotage des PTGE. Une instruction complémentaire à celle du 7 mai 2019 intégrera les pistes d’amélioration identifiées lors du Varenne. Elle permettra aux préfets de département de donner, dès le début de la concertation, un cadre technique avec des hypothèses sur les quantités d’eau disponibles. À eux de « prendre des décisions pour débloquer la situation » si le calendrier s’allonge trop, explique une source gouvernementale.

Volume prélevable hors étiage

Une autre évolution réglementaire concerne les préfets coordonnateurs de bassin. Ils pourront déterminer un volume prélevable hors étiage. Cela passe par un toilettage du décret de juin 2021 sur la gestion quantitative de la ressource en eau. Pour l’heure, le texte définit le volume prélevable à l’étiage, en période de basses eaux où les tensions sont maximales, et confie au préfet le soin d’encadrer sa détermination.

Le gouvernement veut poursuivre dans cette voie en ce qui concerne le volume prélevable hivernal : « Il serait dommage de ne pas capter l’eau excédentaire pour la stocker au moins jusqu’à l’été suivant », selon Jean Castex. Un travail méthodologique est prévu pour évaluer les volumes prélevables en hiver. L’État s’engage à lancer cette expertise nationale au sein de l’OFB et l’Inrae, avec l’objectif aboutir d’ici la fin de l’année. Une dizaine d’évaluations en sites pilotes doivent être accompagnées, dès 2022.

FNSEA et JA saluent, FNE déçue

Ces deux évolutions sont diversement reçues. La Confédération paysanne regrette que « les mesures visent principalement à accélérer le stockage de l’eau ». Elles sont « un très mauvais signal », déplore Florence Denier-Pasquier, administratrice de France Nature environnement (FNE), organisation qui a refusé de participer au Varenne. « Le gouvernement a perdu la boussole de la politique de l’eau. Nous assistons à une fragilisation au nom d’une minorité d’agriculteurs irriguants », tance cette juriste qui avait participé à la mission Bisch ainsi qu’aux Assises de l’eau. Et d’alerter sur des processus trop rapides risquant de conduire « à des volumes prélevables estimés au doigt mouillé ». Autre grief : FNE plaide pour que le décret sur les volumes hors étiage attende les résultats de l’étude commandée par l’OFB, prévus pour fin 2022, comme le spécifiait une note produite dans le cadre du Varenne parue en décembre.

À l’inverse, la FNSEA et les JA « accueillent avec satisfaction le renforcement du rôle des préfets comme recours final en cas d’impasse dans les concertations locales, limitant ainsi les interminables situations de blocage ». Le syndicalisme majoritaire salue par ailleurs « l’ambition et les moyens engagés » par le gouvernement.

Mobilisation des ouvrages existants

Au-delà de ces deux évolutions réglementaires, Jean Castex a aussi plaidé pour une « réactivation » des retenues d’eau actuelles et annoncé le lancement d’appels à projets sur une « nouvelle génération » de dispositifs de gestion de l’eau. Il s’agit de « mieux utiliser les infrastructures existantes », a dit le Premier ministre. « Dès cette année, nous allons lancer un inventaire exhaustif des ouvrages, en nous appuyant sur des images satellites, dans l’objectif de remobiliser des volumes d’eau stockée non utilisés. Cette réactivation des ouvrages, nous allons la commencer rapidement sur une dizaine de territoires pilotes. » Une rallonge de 13 M€ du plan France Relance sera à cette fin mobilisée « à très court terme » pour financer des projets identifiés par les préfets de bassins. Exemple, deux missions sont prévues en 2022 sur les bassins Loire-Bretagne et Rhône-Méditerranée pour optimiser les usages dans la gestion des retenues hydroélectriques et lancer des études de faisabilité.

Par ailleurs, Jean Castex veut « faire émerger une nouvelle génération de dispositifs de gestion de l’eau ». Cela concerne le pilotage intelligent des stockages, l’expérimentation pour récupérer les pluies diluviennes l’hiver, la réutilisation des eaux usées. Une part des 100 M€ d’un guichet dans le plan France 2030 leur seront consacrés. Les premiers appels à projets ou expérimentation interviendront « dans les semaines qui viennent », selon lui. Ces annonces complètent les efforts déjà menés, souligne le gouvernement. Depuis juillet 2020, 32 M€ du plan France Relance ont été alloués à 36 projets collectifs autour de la gestion de l’eau.

Vers un « changement des pratiques agricoles »

Hormis la ressource en eau, un autre chantier du Varenne a focalisé l’attention le 1er février : la résilience de l’agriculture. Deux guichets de 100 M€ chacun seront lancés sur l’adaptation au changement climatique. Il s’agit, pour l’un, de financer l’acquisition d’agroéquipements, pour l’autre, d’un appel à projets visant la transition des filières. Un guichet de 100 M€ est prévu pour des équipements et matériels innovants destinés à l’« agriculture économe en eau ». Des discussions sont en cours pour en établir une liste « assez sélective » : « On cherche à privilégier des box numériques, stations météo, OAD (outils d’aide à la décision) pour l’irrigation, du matériel de télégestion, le pilotage automatique de l’irrigation, des capteurs », indique une source gouvernementale. Un autre guichet de 100 M€, sur l’adaptation des filières, vise à accompagner l’innovation, autour de variétés plus résistantes, de nouvelles méthodes de production et d’irrigation, des ouvrages innovants pour stocker et optimiser la gestion de l’eau.

« La sobriété n’a pas été oubliée » dans les travaux du Varenne, a souligné Jean Launay, président du Comité national de l’eau, lors d’une table ronde au Sénat le 2 février en commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. « Les économies d’eau s’imposeront à tous les acteurs », entraînant un « changement des pratiques agricoles », selon lui. En 2022, toutes les filières doivent finaliser une stratégie d’adaptation au changement climatique et mettre en place un plan d’action d’ici à 2025. Des travaux qui seront suivis par FranceAgriMer. Ces engagements ont été matérialisés par une charte, signée le 1er février, par une trentaine de représentants des filières.

 

Des réactions divergentes

Ce volet dédié aux aides à l’investissement et à la recherche divise également les syndicats. Pour la FNSEA et les JA, il s’agit d’« une avancée essentielle pour donner les moyens aux agriculteurs de bénéficier des outils permettant de faire face au changement climatique », d’après leur communiqué. À l’inverse, la Confédération paysanne juge que « les ambitions présentées pour l’adaptation de l’agriculture […] vont à contre-courant de tout ce qui serait nécessaire. En effet, robotique, numérique et génétique ne permettront jamais de mettre en œuvre les pratiques agronomiques qui préservent la ressource en eau d’un point de vue qualitatif et quantitatif ». Le consensus recherché par Jean Castex parait donc encore bien lointain.

 

Un délégué interministériel pour assurer le suivi des travaux

Afin d’assurer la continuité du Varenne, un délégué interministériel sera prochainement nommé, a indiqué Jean Castex le 1er février, parlant d’une mission sur « au moins » les trois prochaines années. Il sera chargé du suivi des actions et travaux, et rendra compte de leur avancement aux ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture, précise le gouvernement. Irrigants de France, organisation qui compte parmi ses membres l’AGPM (producteurs, FNSEA), a salué l’annonce, y voyant le signe d’une « prise de conscience » de l’« urgence d’agir ». Par ailleurs, l’État proposera « une convention permettant de prolonger la dynamique du RMT Clima et de la cellule Recherche Innovation Transfert (RIT) composée de l’Acta, d’Inrae et de l’APCA, pour diffuser les connaissances et faire émerger de nouveaux projets ». Est aussi prévue une cellule nationale d’appui aux projets territoriaux de gestion de l’eau (PTGE).

Les leçons du Programme 100

Le préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée, Pascal Mailhos, a, lui, tiré le 1er février les enseignements du Programme 100 retenues confié par Emmanuel Macron en 2019. Il s’agissait d’identifier dans la région des projets « rapidement réalisables ». Résultat, 124 retenues sont autorisées, 37 réalisées, d’après ses chiffres. Trois enseignements sont tirés. « Les projets souffrent très souvent d’un défaut d’ingénierie, de conception, d’accompagnement, a-t-il dit. Leur réalisation est souvent conditionnée à des analyses économiques solides et à la synergie de tous les financements publics. Ils s’appuient sur une concertation en amont qui doit être forte. »