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L’agriculture européenne en voie de décarbonation ?

En qualité de président des ministres européens de l’Agriculture, Julien Denormandie a réuni ses collègues en Alsace, les 7 et 8 février pour un conseil informel. Après une session sur le terrain, les ministres ont débattu de la manière dont l’agriculture européenne pourrait contribuer à mieux réduire et capter les gaz à effet de serre (GES), au premier rang desquels le carbone.

L’agriculture européenne en voie de décarbonation ?

« Faire des agriculteurs (européens) des soldats du climat », pourrait très bien résumer le fil rouge de ces deux journées, organisées par le ministère de l’Agriculture français en Alsace, avec, en point d’orgue, la matinée du 8 février consacrée aux échanges sur l’agriculture bas carbone. « Il y a une forte mobilisation des États membres sur le changement climatique », a rappelé Julien Denormandie prenant l’exemple des New breeding techniques (NBT) qui peuvent, selon lui, « accélérer la transition écologique ».

Le sentiment des 27 semble tout aussi favorable à la question du carbone. L’agriculture a émis, en 2019, 19 % des émissions de GES de la France, soit le deuxième poste d’émissions national. Si le secteur agricole peut réduire son empreinte carbone, elle peut aussi en capter dans le sol et à travers ses pratiques culturales. Détaillant sa vision, Julien Denormandie entend à la fois « créer de la valeur environnementale et de la valeur économique en captant le carbone ». De même, il ne s’agit pas de traiter du carbone en agriculture par des nouvelles réglementations qui viendraient imposer de manière numéraire des réductions de CO2 ou d’autres émissions. Sa démarche, manifestement approuvée par ses collègues, est globale : « la mauvaise option serait de donner une obligation de réduction à chaque ferme », a-t-il dit.

Additionnalité

Il ne suffit cependant pas d’enclencher la dynamique. Encore faut-il la faire perdurer dans le temps. C’est pourquoi pour « l’amplifier », Julien Denormandie a essayé de convaincre ses collègues ministres de s’appuyer sur trois principaux leviers.
Tout d’abord une palette des pratiques culturales agricoles mais aussi forestières. « Elles ne devront pas venir bousculer la fonction nourricière de l’agriculture » et la captation carbone ne devra pas non plus hypothéquer « une souveraineté alimentaire à laquelle je suis attaché », a-t-il martelé.
Deuxième levier : la création de mécanismes pour valoriser la captation carbone. Ces crédits carbone, à l’image des réalisations de France Carbon Agri Association qui est en passe de valoriser 700.000 tonnes équivalent carbone, devront avoir « un cadre précis, transparent et crédible ». L’objectif est de pouvoir, à terme, de certifier cette « additionnalité » (réduction, captation et rémunération) dans un cadre européen.
Encore faut-il, et c’est le troisième principal levier, que les crédits carbone européens restent compétitifs vis-à-vis de leurs concurrents. En effet, depuis 2018, on observe une augmentation du prix du carbone quasi constante en Europe : de 7 euros la tonne il y a trois/quatre ans, à environ 30 euros/t en 2021 (35/40 euros en France) ; contre 5 à 7 euros/t en Amérique du Sud… qui continue de déforester.

La Commission européenne va rédiger une proposition législative pour la fin de l’année 2022, afin de « mesurer, quantifier et certifier », a affirmé le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski. Une harmonisation qui passera aussi par les Plans stratégiques nationaux, a-t-il dit.

L’intervention de Christiane Lambert

Christiane Lambert est intervenue en qualité de présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (Copa). Elle a, en substance, indiqué que la communauté agricole européenne accueillait bien les intentions du Conseil informel. « Nous la considérons comme une contribution positive possible à notre lutte contre le changement climatique, ainsi qu’une opportunité de revenus supplémentaires qui pourraient devenir un moteur pertinent pour sauvegarder ou créer des emplois tout en encourageant la présence active des jeunes dans les zones rurales », a-t-elle dit. « Les agriculteurs ont besoin d’une approche équilibrée entre les objectifs environnementaux, sociaux et économiques et une cohérence politique à long terme sur ce sujet. Ils veulent aussi des solutions basées sur la science », a-t-elle soutenu.

Haies, prairies, rotations longues...

Le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski a déjà indiqué qu’il apporterait quelques éléments, lors de la réunion informelle des ministres de l’Agriculture, sur les mesures qui pourraient être envisagées dans la future proposition de la Commission. La France, dans un document préparé pour l’occasion, suggère une liste de pratiques agricoles et forestières dont l’efficacité fortement liée à divers facteurs locaux reste à préciser. Elle cite : la gestion du bétail et des effluents associés ; la gestion des cultures (optimisation de la fertilisation azotée, introduction de légumineuses dans les rotations, sélection variétale, etc.) qui permet de réduire les émissions de protoxyde d’azote ; l’implantation de haies, l’agroforesterie, la préservation des prairies permanentes et des zones humides, mais aussi l’utilisation de cultures intermédiaires, de rotations longues, de prairies temporaires permettant le maintien et le développement du potentiel de stockage du carbone ; le boisement des terres et l’amélioration de la gestion forestière ; le développement de la méthanisation, des énergies renouvelables et des biocarburants, ainsi que l’utilisation de biomatériaux ; ou encore la limitation de l’imperméabilisation des sols.