Sécurité alimentaire mondiale
La sécurité alimentaire otage de la production d’engrais

La flambée des prix des fertilisants vulnérabilise la production agricole. L’industrie des engrais est en partie pilotée par la Biélorussie et la Russie, des pays sur les bancs de la scène internationale.

La sécurité alimentaire otage de la production d’engrais

Pendant deux années de suite, la consommation mondiale de fertilisants des sols a diminué de près de 8 % selon l’International Fertilzer Association (IFA) qui participait au Paris Grain Day fin janvier à Paris. Or les quantités d’engrais, qui n’ont pas été épandues l’an passé, auraient pu permettre de produire 216 trillions de calories, soit l’équivalent de 2,5 % de la production mondiale de blé, de riz, de maïs et de soja. Une part significative de la production agricole en Ukraine, en pleine guerre, n’a pas pu être produite car bien moins d’engrais qu’à l’accoutumée a été épandu. A contrario, en Russie et en Australie, la production agricole n’a pas été entravée puisque les deux pays sont producteurs et exportateurs nets d’engrais. Dans le même temps, dans le reste du monde, les pays ont sacrifié une partie de leur souveraineté alimentaire en renonçant à la course aux rendements ou tout simplement à une partie de leur production.

Trois pays clefs

La flambée des prix des engrais a en effet contraint leurs agriculteurs à acheter moins de fertilisants. L’an prochain, la consommation mondiale d’engrais devrait se redresser de près de 3,0 % à la faveur d’une baisse des prix des engrais et de l’énergie. Pourtant, moins d’engrais devraient être utilisés qu’en 2020 ! Et la relance de la demande n’est pas à ce jour acquise, même si la baisse de prix des fertilisants et de l’énergie devait se poursuivre. Les céréaliers parviendraient à couvrir leurs charges si les prix des grains restaient à leur niveau de l’été dernier.

Mais depuis quelque mois, l’effet ciseaux menace la rentabilité de leur exploitation : les prix des céréales baissent plus vite que les prix de leurs intrants. Sur les trois marchés des fertilisants N (azote), P (phosphore) et K (potassium) la reprise de la consommation dépendra de facteurs propres à chacun d’eux bien que leur fonctionnement soit intriqué avec un nombre d’acteurs très réduit. Trois pays (Biélorussie, Russie et Chine) orchestreront très certainement à eux seuls une grande partie de l’approvisionnement des marchés des engrais tant que les pays occidentaux importateurs ne parviendront pas à être moins dépendants. Sur le marché de la potasse par exemple, 40 % de la production mondiale est russe et bélarusse. Et la Lituanie sanctionne économiquement la Biélorussie en bloquant l’expédition de sa production vers les pays tiers. Le Canada pourrait prendre à moyen terme le relais et s’imposer sur ce marché de la potasse, mais il faut cinq ans pour construire une nouvelle filière.

Le Graal : l’engrais décarboné

Sur le marché du phosphate, la Chine a les moyens d’orienter le marché en contrôlant les quantités de fertilisants qu’elle est prête à expédier. Quant aux produits ammoniaqués, les coûts de production des intrants sont dépendants à plus de 80 % des prix du gaz ou du charbon. Seul un changement de paradigme technologique pourrait chambouler l’organisation des marchés des fertilisants. Au Texas, Gulf Coast Ammoniac, le complexe industriel, dont la construction s’achèvera au cours de l’année, produira environ 1,3 million de tonnes d’ammoniac par an. Son entrée en production pourrait rééquilibrer l’offre mondiale de fertilisants azotés.

Le graal serait la production d’engrais zéro carbone en utilisant de l’hydrogène obtenu à partir d’énergie renouvelable. Si la technologie est bien maîtrisée, elle n’est pas encore compétitive. En attendant, différentes pratiques culturales permettent de réduire la consommation d’engrais (cultures de légumineuses, conversion au bio, etc.), n’a pas manqué de souligner l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). Le Green deal vise à rendre l’agriculture européenne neutre en carbone fossile, mais il compromettrait la sécurité alimentaire de la planète.