Vins de Bourgogne
Neutre ? Comment ? Vraiment ? Après la montée en gamme, place donc à la descente en grammes !

Cédric MICHELIN
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Lors de Vinosphère 2022, le 10 février dernier à Beaune, le Bureau interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BVIB) était fier d’annoncer avec l’Adelphe vouloir mesurer, réduire et compenser les émissions de gaz à effet de serre de la filière vins bourguignons. L’objectif visé à termes est même la « neutralité carbone », dixit, via l’achat de crédits carbone labélisés, si possible viticoles ou locaux.

Neutre ? Comment ? Vraiment ? Après la montée en gamme, place donc à la descente en grammes !

Le 10 février dernier à Beaune, pas sûr que tous les élus du BIVB étaient prêts au discours de la directrice déléguée de l’Adelphe, Sophie Wolff, venue pour officialiser "Objectif Climat", ce « projet pilote inédit » entre le BIVB et l’Adelphe, visant « à la neutralité carbone du secteur viticole » des vins de Bourgogne. Cet objectif est dans la droite lignée du plan Bourgognes Amplitude 2015 qui voulait déjà faire de la Bourgogne viticole « LA référence mondiale des grands vins issus d’une viticulture durable » mais, à l’époque, avec une « montée en gamme » en parallèle.
L’objectif de préserver l’environnement est certes primordial et fort honorable, reste qu’il faut surtout le traduire en réalités. C’est là généralement que la théorie révèle nombre de paradoxes et de contradictions, voire de remises en cause profondes : le fameux changement de paradigme.

L’équivalent de la pollution de Lens

Donc le BIVB a pris les choses dans l’ordre. D’abord, mesurer le bilan carbone de la filière. Si l’on sait où se termine la filière, lors de la consommation du vin et du recyclage du contenant, il est déjà plus difficile de déterminer où la filière débute. Est-ce l’extraction de pétrole nécessaire à la mine d’acier qui a servi à fabriquer le matériel à la vigne par exemple ? Toujours est-il que le cabinet Carbone 4 a estimé le bilan carbone à 372.600 t équivalent carbone (CO2e), soit la totalité des émissions polluantes d’une ville comme Lens, donnait en référence Didier Livio, consultant stratégique et cofondateur du cabinet Positive. Ce chiffre vaut pour 200 millions de bouteilles produites sur 30.000 ha et nécessitant 45.000 emplois. Avec la « croissance incluse » du vignoble à l’avenir, ce bilan va encore s’alourdir autour de 400.000 t CO2e.

Seuil incompressible de 150.000 t CO2e

Il faudra donc une « intense réduction » sur toute la chaîne de production et commercialisation. Et encore, cela ne suffira pas, prévenait-il. « On ne peut pas réduire les émissions à zéro. Comme toute activité humaine, il y a un seuil incompressible » autour de 150.000 t CO2e, estime-t-il. Soit tout de même une « division par plus que deux » ou une réduction de -55 % du total actuel. C’est toutefois moins bien que l’industrie agroalimentaire qui « en stressant au maximum » toute sa chaîne peut abaisser de « 60-70 % » son bilan carbone.

Il insistait donc sur la subtilité sémantique : la filière des vins de Bourgogne « va contribuer » à sa "neutralité" carbone. Et comme tout ceci n’est affaire que de calculs en fonction d’un référentiel choisi (lire encadré), tout dépend du scénario du Giec retenu (ici le plus favorable : trajectoire +1,5 °C en 2050 de la Cop 21).

Dernier paramètre à prendre en compte, la temporalité : les 150.000 t CO2e « incompressibles » ne sont envisagées qu’en 2035 après une lente baisse (300.000 t émises en 2025 ; 200.000 t émises en 2030). Dernière inconnue dans cette équation complexe, le dénominateur du nombre de bouteilles produites : avec 100 millions de cols, 2021 voit s’alourdir son bilan carbone par bouteille par exemple.

¾ des émissions hors viticole

« Le poids lourd » du bilan carbone de la filière est la « bouteille », plus globalement les matériaux entrants, représentant 34 % des 372.600 t CO2e. Deuxième poste le plus « lourd », les déplacements englobant « ceux des consommateurs, touristes étrangers, importateurs… » représentant 26 % du total. Autre transport, le fret pour 13 %. Soit près des ¾ du bilan déjà.
Finalement, la partie vigne et vin – pourtant souvent taxée de polluante – ne pèse "que" 10 % pour « l’énergie au vignoble et à la vigne », auquel on rajoute 7 % d’énergie à la vigne et 5 % d’énergie pour le vin. Enfin, les 5 % restants sont le fait des services liés. Un viticulteur n’a donc en main que 28 % des émissions totales et devra donc faire pression sur ses fournisseurs pour les 72 % restants.

Descente en grammes

Après la montée en gamme, place donc à la descente en grammes. Car, le BIVB prévenait que la jeune génération des « Millenials » - pas encore aux commandes - reporte la faute aux « boomers » et aux entreprises de n’avoir pas suffisamment fait d’efforts pour réduire leurs émissions de carbone. « Ils n’achèteront pas de produits non neutres en carbone, malgré la qualité de vos vins ».
Le grand écart sera donc demain de réussir à convaincre les clients de Grands crus de Beaune et Nuits par exemple, "habitués" à de lourdes bouteilles, aux riches étiquettes et beaux coffrets, qu’ils avaient tout faux, que seul compte le vin dans une bouteille légère sans coffret. L’exact opposé de la tendance actuelle donc…

Sophie Wolff, de l’Adelphe, ayant même osé parler de Bag-in-box ou d’embouteillage de vrac directement dans le pays de commercialisation, faisant - sans doute - s’étrangler ensemble nombre d’embouteilleurs, l’INAO et les ODG de Bourgogne qui ne peuvent le faire en raison de leurs cahiers des charges actuels.

Didier Livio n’était guère plus tendre : « que les verriers fassent leur job pour approvisionner leurs fours en énergies électriques renouvelables ». Car le principal levier de réduction pour l’ensemble de la filière est entre leurs mains (34 % du total), les verriers pourraient abaisser leur bilan de 30 à 70 % en réduisant le poids des bouteilles (jusqu’à 400 g), en augmentant la part de calcin… Même demande pour le frêt, avec l’optimisation des livraisons, le report modal vers du frêt ferroviaire ou maritime, l’utilisation de « carburants décarbonés (oxymore puisque carbure vaut pour carbone, N.D.L.R.) »… à l’image des essais « d’Hillebrand et de ses cargos maritimes à voiles à vent ou de camions roulant à l’hydrogène… Tous ces mouvements vont accompagner vos propres solutions », expliquait Didier Livio.

Compenser… par ailleurs

« On émet moins et on compense plus ». Voilà la recette pour « contribuer » à la neutralité carbone. Il faut donc compenser les 150.000 tonnes de CO2e « incompressibles » qui resteront après 2035. Où trouver ces fameux « puits de carbone » dès lors ? Aux alentours des vignobles, espère le BIVB. « Les forêts de Bourgogne font un bon travail de captation du gaz carbonique. Et demain, en changeant les pratiques forestières, elles pourront en capter plus, 8-9 tonnes/ha contre 2-3 t/ha actuellement », imaginait déjà Didier Livio. « Idem pour les prairies qui pourront doubler leurs captations de CO2 », pense-t-il. Mais avant de demander aux autres leurs éventuels crédits carbone, « commencez d’abord par vos vignobles », conseillait-il, encourageant les couverts végétaux, les plantations de haies, l’agroforesterie ou même de planter des forêts. « Ces projets auraient vocation à recevoir le label "Bas Carbone" du ministère de la Transition écologique dans le cadre de la méthode actuellement en construction par l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) pour la viticulture française ».
Didier Livio ne cache pas que cela « nécessitera des investissements significatifs de l’ordre de 30 millions d’€ par an » à un prix du crédit carbone sur les marchés internationaux autour de 30 €/t (oscillant actuellement entre 50 et 80 €/t, N.D.L.R.). « Cela représentera 15 centimes de plus par bouteille », calculait-il approximativement. Juste pour compenser… ou commencer.

L’objectif est louable de « faire de la Bourgogne le premier vignoble mondial neutre en carbone » mais la dernière mise en garde laissait le défi pleinement ouvert : « cela ne pourra être qu’une œuvre collective », concluait Didier Livio.