Filière Moutarde de Bourgogne
Trentième anniversaire et de grands espoirs

Berty Robert
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La filière moutarde a célébré son trentenaire dans un contexte où se mêlent incertitudes et vraies perspectives d’avenir. 

Trentième anniversaire et de grands espoirs
Lors du trentième anniversaire de la filière Moutarde de Bourgogne, à l’Institut Agro de Dijon. De gauche à droite : Christian Morel, vice-président du Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté en charge de l’agriculture, Luc Vandermaesen, président de l’AMB et Fabrice Genin, président de l’APGMB.

C’est un paradoxe comme on en trouve souvent en agriculture : la production de graines de moutarde connaît aujourd’hui des difficultés en Bourgogne et pourtant, les perspectives d’avenir liées à cette production n’ont jamais été aussi prometteuses. Ce constat était au centre des préoccupations, lors de l’anniversaire de la filière moutarde locale, organisé le 1er avril dans les locaux de l’Institut Agro (ex-Agrosup), à Dijon. On célébrait ce jour-là les 30 ans d’une filière qui, plus que jamais, revendique sa pertinence économique et son ancrage quasi-patrimonial. Cultiver de la moutarde en Bourgogne a du sens, même si, aujourd’hui, comme le rappelait Michel Liardet, dirigeant de l’Européenne de Condiments et président de la Fédalim, fédération de syndicats professionnels de l’industrie alimentaire, « on en cultive aussi dans la Marne, en Seine-et-Marne et peut-être bientôt dans le Limousin ». De fait, face aux besoins exprimés par les transformateurs de la graine de moutarde, tout le monde est conscient que la production uniquement circonscrite à la Bourgogne ne peut suffire quantitativement et qu’il faut développer d’autres gisements français.

Séduire au-delà de la Côte-d’Or

Pour autant, la moutarde bourguignonne peut et doit développer les surfaces agricoles qui lui sont dédiées et qui, dans leur grande majorité, sont situées en Côte-d’Or. Certains des intervenants de cette journée d’anniversaire ont justement rappelé que cette culture, aujourd’hui valorisée comme jamais du fait même d’une certaine pénurie, pourrait aussi séduire des agriculteurs dans l’Yonne, la Haute-Saône, la plaine du Jura ou la Saône-et-Loire. Le potentiel est là, mais il faut l’activer. Plus facile à dire qu’à faire dans un contexte où les solutions de lutte contre les ravageurs se font de plus en plus rares, et où les aléas climatiques, notamment la sécheresse, pèsent aussi sur les rendements. Si la filière a pu afficher des chiffres de production intéressants, Luc Vandermaesen, actuel président de l’Association moutarde de Bourgogne (AMB) et dirigeant de Reine de Dijon, soulignait qu’après avoir atteint un maximum de 11.000 tonnes il y a quelques années, celle-ci plafonnait aujourd’hui autour de 6.000 tonnes. Il était rejoint dans ce constat par Fabrice Genin, président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB).

Une carte à jouer

Des pistes pour faire remonter cette courbe existent pourtant. Il y a d’abord à prendre en compte un contexte global où le Canada, gros producteur traditionnel, se trouve confronté à des problématiques climatiques qui le rendent inapte à répondre à toutes les attentes. Il y a le cas de l’Ukraine dont on comprend aisément pourquoi elle n’est plus en mesure, aujourd’hui, de tenir son rang mondial sur la production de graines de moutarde. Tout cela se déroule dans un contexte où la consommation mondiale de moutarde est en augmentation. La graine française, et plus particulièrement bourguignonne, a sa carte à jouer. Mais il faut activer plusieurs leviers : à court terme, celui du prix d’achat par les transformateurs est essentiel. Depuis un an, il joue à plein puisque les prix d’achat à la tonne ont été fortement revus à la hausse. « L’enjeu, rappelait Fabrice Genin, c’est aussi que la moutarde prenne la place du colza dans les rotations, à condition que les rendements soient au rendez-vous. Le fait de pouvoir nous appuyer sur une véritable proximité entre les producteurs et les transformateurs est incontestablement une force pour notre filière ».

La force du lien producteurs-transformateurs

C’est un fait : au sein de Moutarde de Bourgogne, les échanges permanents entre industriels et producteurs forment un atout de poids, qui permet notamment d’avancer sur la recherche de nouvelles variétés, seul facteur capable d’assurer un avenir. Les améliorations génétiques et variétales pourront déboucher sur des plantes plus tolérantes aux attaques de ravageurs et plus résistantes au stress hydrique, mais il faudra aussi qu’elles présentent de bonnes caractéristiques pour les process de fabrication de moutarde. Une véritable quadrature du cercle qui aboutira forcément à des résultats, mais au bout de combien de temps ? Thierry Guinet, chercheur au sein de l’Institut Agro de Dijon a décrit un programme de recherche local, donc connecté aux problématiques des agriculteurs bourguignons. Il s’applique, en grande partie, à repérer des variétés qui ne nécessitent pas un recours aux produits phytosanitaires. « Le défi, soulignait le chercheur, c’est de parvenir à combiner dans une variété, tout un ensemble de résistances, en préservant les niveaux de rendement ». Des plateformes d’essais sont actives, rappelait pour sa part Jérôme Gervais, de la chambre d’agriculture de Côte-d’Or : « elles permettent de faire le tri dans les lignées et d’établir des références ». À plus court terme et pour faire face aux défis présents, la filière mène des démarches pour tenter de récupérer un nouvel insecticide, valable pour le colza, qui pourrait être utilisé sur la moutarde. Gérer le présent et l’avenir en même temps, porter son regard sur la prochaine campagne et sur celle qui aura lieu dans dix ou quinze ans : tel est le numéro d’équilibrisme permanent auquel se livre une filière qui, à trente ans, estime qu’elle est loin d’avoir révélé tout son potentiel.

Les axes de recherche privilégiés pour la moutarde

Dans les recherches actuellement menées afin de doter la filière moutarde de Bourgogne de variétés assurant sa pérennité, les critères suivants sont privilégiés :
– le rendement en grains
– le poids de 1.000 grains
– la résistance au froid
– le rythme de développement
– la vigueur
– la tolérance aux ravageurs
– la tolérance aux maladies
– la résistance à la verse
– la teneur en sinigrine (donc en huile)
– la suppression de l’acide érucique
– la bonne teneur en protéines