EARL Champ Papillon
Des pertes, du travail en plus et des insomnies…

Marc Labille
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Vendredi matin, une visite d’exploitation était organisée sur l’une des neuf exploitations victimes du loup dans le Clunisois. Brigitte, Gérard et Aymeric Dumont ont témoigné de leur vécu depuis la première attaque du 25 avril. 

Des pertes, du travail en plus et des insomnies…
Depuis un mois et demie, Aymeric Dumont a été victime de trois attaques de loup et il a perdu 14 ovins.

L’EARL Champ Papillon à la Vineuse-sur-Frégande est tenue par Aymeric Dumont, successeur de ses parents Brigitte et Gérard aujourd’hui à la retraite. Le jeune éleveur est à la tête d’une exploitation herbagère typique du secteur avec 130 vaches charolaises et une troupe de 130 brebis de race charollaises en production d’agneaux label. La première attaque a été constatée le 25 avril et elle a fait perdre à l’élevage trois brebis et sept agneaux. « Dès que nous sommes arrivés dans le pré, nous avons su que ce n’était pas des chiens. Le premier agneau avait été complètement mangé. Il ne restait que la laine et la colonne vertébrale ! Malgré une brebis éventrée et des animaux morts, le cheptel était calme comme tout. Rien à voir avec une attaque de chien ! », confie Gérard. 

14 ovins de perdus

Tout début mai, une deuxième attaque a échoué. Deux brebis - d’un lot de 25 parqué le long de la D980 - se sont échappées de leur pré coursées par le prédateur. La présence des louvetiers aurait finalement fait fuir l’animal. La troisième attaque a eu lieu fin mai et s’est soldée par la perte de deux brebis. L’une d’elles a dû être euthanasiée devant la présidente de Région, Marie-Guite Dufay. Au total, l’EARL a perdu douze ovins plus un agneau et une brebis supplémentaires qui n’ont pas pu être indemnisés car ils se sont mis à dépérir après l’attaque, confie Aymeric.

À la première prédation, l’OFB est immédiatement venu constater les dégâts, rapportent les éleveurs. Cette visite a été suivie de celle du vétérinaire qui est venu examiner chaque animal et procéder aux euthanasies des bêtes condamnées. Suivant la procédure, l’OFB est revenu contrôler, raconte Gérard. C’est à cette époque que les éleveurs se sont entendus dire par les autorités que la responsabilité d’un loup était écartée ! Une affirmation très mal vécue par les intéressés : « c’était vraiment se moquer des éleveurs. On ne pouvait pas être indemnisés », se souvient Gérard. Heureusement, les pièges photographiques ont fini par mettre un terme à cette période d’errement administratif. 

Cinq lots à protéger du loup tous les soirs

« Dès le loup officiellement identifié, les autorités nous ont fourni des filets. Nous avons aménagé trois parcs de protection pour trois lots : un de 80 brebis suitées de leurs agneaux ; deux lots de vingt brebis dessaisonnées. Un lot de brebis pleines et un lot d’agnelles sont rentrés tous les soirs en bergerie ». Chaque soir, la protection de ces cinq lots d’ovins nécessite une heure de travail supplémentaire, fait valoir Aymeric. C’est aussi de la nourriture en plus alors qu’en ce printemps 2021, l’exploitation ne dispose plus d’aucun stock de fourrage. À cela s’ajoute l’appréhension quotidienne de retrouver un nouveau carnage, les insomnies… 

Désarroi

Le tir de défense simple a été obtenu moins de 48 heures après que le loup ait été identifié. Une réponse rapide, reconnaissent les éleveurs. Chasseurs tous les deux, Aymeric et son père vont eux-mêmes tenter de prélever le loup la nuit. Ils sont désormais aidés par six louvetiers présents chaque nuit ainsi que par les agents de la brigade loup en poste depuis une dizaine de jours. La famille Dumont apprécie le soutien des élus locaux, en particulier du maire de la commune François Bonnetain ainsi que du conseiller départemental Jean-Luc Fonteray.

« On n’élève pas des animaux pour qu’ils soient mangés par les loups », se désole Gérard qui témoigne avec émotion du malaise ressenti face au regard des brebis à l’agonie ou lorsqu’il faut les euthanasier… Le loup remet en cause les choix d’Aymeric qui, après avoir abandonné la vigne sur la ferme de ses parents, voit l’atelier ovin remis en question au moment où les cours des agneaux sont pourtant rémunérateurs. « L’abandon des moutons signifierait le retour à la friche pour de nombreuses petites parcelles », s’inquiète Gérard Dumont.   

Des situations non protégeables

En amont du comité loup qui se tenait en soirée, la FDSEA avait organisé deux visites d’élevages confrontés au loup du Clunisois. En présence du maire François Bonnetain, de Laurent Solas de la chambre d’agriculture et de plusieurs éleveurs, la FDSEA était accompagnée de Claude Font, éleveur en Haute-Loire et spécialiste du dossier loup à la FNO. Après une présentation de l’exploitation et le récit, par les éleveurs, des attaques de loup et des conséquences sur la vie de l’élevage, les participants ont échangé sur la stratégie de lutte contre la prédation. Une fois de plus, les échanges ont pointé du doigt les spécificités de l’élevage qui compliquent la protection des troupeaux en Saône-et-Loire. Bien différent du système alpin, on a affaire ici à des troupeaux dispersés sur des parcelles morcelées et de petite taille ; des brebis et des agneaux qui sont dehors presque toute l’année, une conduite en pâturage mixte avec des bovins… Autant de critères qui justifieraient une « non protégeabilité ». Sur cette question délicate, Claude Font a distingué deux possibilités. « Syndicalement, vous pouvez revendiquer que votre territoire soit reconnu comme non protégeable. Cela permettrait, à la suite d’attaques de loup, d’obtenir le tir de défense simple sans passer par la case mesures de protection et d’accéder directement aux indemnisations. Mais cela a d’autres conséquences : les mesures de protection ne sont alors plus prises en charge et cela ne résout pas le problème à court terme », prévenait le secrétaire général de la FNO. Aussi, pour une solution plus rapide, la réponse la plus appropriée serait de « travailler sur des critères de non protégeabilité », poursuivait Claude Font qui préfère parler « de situation d’élevage à identifier », à l’échelle individuelle. Une possibilité confirmée par le préfet quelques heures plus tard.

Vendredi, le bilan des attaques du loup du Clunisois s’élevait à une centaine de moutons tués et autant de blessés. 

Un dossier « très politique »

Présent une nouvelle fois dans le Clunisois, Claude Font, secrétaire général et référent prédation à la FNO, a redit que la problématique du loup était un dossier national : 39 départements concernés, 12.000 brebis tuées chaque année… Le responsable a insisté sur le fait que de « travailler en amont ; de mettre en place des mesures de protection, ce n’était pas accepter la prédation. Nous sommes tous d’accord sur le fait que l’élevage et le loup sont incompatibles ; tous d’accord pour dire que nous subissons cette prédation. Mais la réalité est là : nous sommes obligés de travailler dans un cadre règlementaire dicté par la convention de Berne qui protège le prédateur. Et pour nous protéger du loup, nous devons travailler en dérogation. Le moindre non respect de procédure peut être contesté au tribunal ». La FNO est à la disposition de tous les départements pour accompagner, soutenir, apporter son expertise aux éleveurs. « Le dossier loup est très politique », confiait Claude Font qui rappelait que ce dossier est « suivi directement par le ministère de la Transition écologique sous l’arbitrage direct de Matignon ». Une configuration singulière qui nécessite la mobilisation des élus de proximité, appelle le secrétaire général de la FNO. Car au-delà de l’élevage, c’est l’avenir de la ruralité et de ses territoires qui est en jeu. 

Le cri d’alarme des élus locaux

Les élus de la Communauté de communes du Clunisois ont écrit à la ministre de la Transition écologique ainsi qu’au ministre de l’Agriculture et de l’alimentation en soutien aux éleveurs victimes du loup en Saône-et-Loire. Rappelant le préjudice subi, les élus locaux ont dit « leur attachement à l’activité d’élevage, vitale pour le territoire, ainsi qu’à la biodiversité riche en Clunisois (…). Maintien de la biodiversité et activités agricoles doivent pouvoir continuer à se conjuguer. C’est cette harmonie entre agriculture, biodiversité et paysages qui fait du Clunisois un lieu de vie exceptionnel et une destination appréciée », ont-ils argumenté avant d’alerter sur le fait que « les dégâts liés à l’arrivée du loup sur notre territoire engendrent une colère forte du monde agricole, et notamment de nos éleveurs de moutons. Si rien n’est entrepris suffisamment rapidement pour mettre un terme aux pertes de bétail, nos éleveurs pourraient abandonner des territoires entiers à la friche, avec toutes les conséquences sociales, économiques et environnementales qui en découleraient ». Les élus du Clunisois demandent aux ministres « un soutien clair à nos éleveurs ovins, afin qu’ils puissent maintenir leurs activités : une information claire et précise sur les conduites à tenir en cas d’attaques ainsi que sur les autorisations de tirs délivrés et sur la bonne mise en œuvre des moyens de défense, notamment par la réalisation locale de formation ; la prise en charge de l’intégralité des démarches administratives d’indemnisation et de demandes de tirs afin de ne pas surcharger des éleveurs déjà affectés ; le financement complet des équipements de défense appropriés (clôtures, électrificateurs solaires) ; la prise en charge financière du fourrage et du paillage nécessaires en cas de retour des animaux en bâtiments. Cela implique d’une part des moyens renforcés de prévention et de protection adaptés aux spécificités de l’élevage local, et d’autre part que les prélèvements de loup puissent être effectués de façon rapide et efficace, dès que des dommages sont constatés : le loup ne connait aucun prédateur si ce n’est l’homme ». C’est un véritable « cri d’alarme pour la sauvegarde de notre territoire et de ses éleveurs » que les élus de la Communauté de communes du Clunisois entendent ainsi adresser. Un cri d’alarme repris par l’Union des maires des communes rurales de Saône-et-Loire (UMCR71) qui a également écrit dans ce sens aux ministres ce 5 juin.