Stocks fourragers
Des dérobées d’été pour refaire des stocks fourragers de sécurité ?

Marc Labille
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Alors que les stocks fourragers étaient plus qu’épuisés en fin d’hiver, toutes les voies permettant de refaire du stock complémentaire méritent d’être étudiées. Pour les éleveurs tentés par l’implantation des dérobées d’été, la Chambre d’agriculture livre ses conclusions de dix années d’essais. 

Des dérobées d’été pour refaire des stocks fourragers de sécurité ?
La réussite des dérobées d’été demeure aléatoire, mais en bonne condition, certaines intercultures peuvent tout de même fournir des fourrages de très bonne qualité.

Au Lycée de Fontaines, des essais de dérobées d’été ont été conduits par la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire depuis 2011.

Les dérobées d’été sont des cultures annuelles d’appoint, semées en interculture en été. Elles ont la réputation d’être plutôt risquées, avec des rendements aléatoires liés aux conditions climatiques de l’été. « Dans les exploitations de polycultures-élevage, elles ont donné des résultats plus ou moins satisfaisants », confirment Amélie Poulleau et Denis Chapuis, de la Chambre d’Agriculture. « Pour éviter les mauvaises surprises, il faut raisonner le choix de ces cultures dans une stratégie fourragère globale », introduisent-ils. 

L’implantation de dérobées a plusieurs intérêts pour l’agriculteur. Elles offrent un moyen de sécuriser le système fourrager en implantant une culture intermédiaire. Elles peuvent être source de rendement et de qualité alimentaire élevée grâce à des fauches précoces et une proportion de protéagineux et de légumineuses adéquate. Elles permettent de valoriser des surfaces nues et de constituer du stock hors surfaces fourragères. « Il faut aussi identifier les avantages et les limites zootechniques et agronomiques des différents mélanges avant l’implantation d’un maïs ou d’une céréale », complètent les experts.

Des stocks d’ajustement seulement

Semés en dérobés après la récolte d’une céréale, « ces fourrages constituent seulement des stocks complémentaires d’ajustement », mettent en garde Amélie Poulleau et Denis Chapuis. Car ils sont très vulnérables aux conditions météo de l’été et leurs résultats en sont donc très variables.

« La sécurité du système fourrager passe avant tout par la gestion des prairies permanentes et temporaires ainsi que les cultures mises en place en automne et au printemps », rappellent-ils. Il faut une cohérence entre le chargement et le mode de récolte (foin, fauche précoce, part d’ensilage). On peut jouer aussi sur la diversité des cultures fourragères : maïs, sorgho… Des semis en automne et au printemps limitent l’exposition aux risques climatiques. Enfin, l’association de légumineuses aux graminées permettent d’économiser de l’azote, d’améliorer la valeur alimentaire et la régularité des rendements, rappellent Amélie Poulleau et Denis Chapuis.

Sur chaume ou sol déchaumé

Deux techniques d’implantation sont possibles pour les dérobées. La première consiste en un semis sur chaumes. Il se fait au semoir à disque ou à dent, au combiné, à la volée avant déchaumage, sur déchaumeur par recouvrement. Cette technique donne de bons résultats si le semis a lieu juste après moisson pour bénéficier de l’humidité résiduelle du sol. Les avantages en sont des graines enterrées, à la bonne profondeur. Les pailles en surface protègent contre l’érosion et la battance. L’autre technique consiste au semis sur sol déchaumé. Les avantages sont une répartition homogène des pailles en surface, un mélange terre/paille qui accélère la décomposition, une gestion des adventices grâce à l’effet faux semis, l’enfouissement de la matière organique, une régulation de certains ravageurs (limaces, rongeurs).

Pour atteindre un minimum de production, le démarrage doit être rapide. Pour ce faire, « il faut favoriser le contact sol/graine par une profondeur avec un minimum de terre fine ; assurer la régularité de peuplement avec une dose suffisante ; favoriser une levée rapide en implantant sitôt la récolte ou avant la pluie ; prévoir un antilimace si besoin… Il faut aussi prendre garde aux résidus d’herbicides de la culture précédente. La croissance étant dépendante de l’azote disponible, fertiliser pour assurer la pousse », recommande-t-on. 

Cinq types d’associations testées à Fontaines

Cinq types de dérobées d’été ont été implantés dans les essais réalisés à Fontaines : association de céréales (56%) + trèfle + vesce à la dose de semis de 35-40 kg/ha ; associations sorgho + trèfle et sorgho + trèfle + pois à la dose de 20-25 kg/ha ; association moha-trèfle à la dose de 25 kg/ha et sorgho seul à 20-25 kg/ha. Le semis a été réalisé après moissons pour une récolte en automne.

Dans les essais de 2014 à 2020, ce sont les associations vesces-avoines-trèfles d’Alexandrie qui se sont avérées les plus « fréquentes » avec une régularité pour la matière azotée et une valeur UFL correcte. Par contre, les rendements étaient plus hétérogènes et dépendaient beaucoup de la date, de la dose, de la qualité de semis et d’un minimum de pluie, rapportent Amélie Poulleau et Denis Chapuis. Les associations moha-trèfle se sont révélées plus productives, plus résistantes à la chaleur mais hétérogènes avec une valeur alimentaire nettement plus basse liée à une épiaison rapide. Les sorghos ont fait du stock avec des valeurs moyennes. 

Productivités assez faibles…

Globalement, les essais du Chalonnais ont mis en évidence une productivité des intercultures d’été assez faible (1,7 à 2,7 tonnes de MS/ha) et la production a même été nulle deux années sur neuf… Le sorgho n’a dépassé 5 tonnes de MS/ha que pour une année sur quatre et les autres couverts n’ont pas dépassé 3,5 t de MS/ha.

« Ces essais montrent que les couverts d’été sont globalement exploitables 70 à 80 jours après le semis », concluent Amélie Poulleau et Denis Chapuis qui ajoutent que « la réussite de la culture est conditionnée par une préparation de semis de qualité. L’apport de matière organique ainsi que les reliquats azotés issus de la culture précédente peuvent suffirent à la fertilisation des dérobées. Mais si les conditions sont favorables, un apport azoté minimum (40 à 60 unités) sera valorisé. En bonne condition, certaines intercultures peuvent tout de même fournir des fourrages de très bonne qualité. Mais les valeurs sont très variées en fonction des espèces et de la date de récolte. Des analyses précises sont indispensables pour adapter la complémentation des animaux. Attention à ne pas trop déconcentrer les rations sur des régimes plus intensifs (JB et vaches laitières) », complètent les deux experts.