Changement climatique
Des conséquences bien visibles en forêt

Marc Labille
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Les sécheresses et les canicules à répétition ont des conséquences bien visibles sur les forêts bourguignonnes. La disparition en cours des épicéas en est le meilleur exemple. Mais d’autres essences souffrent, alors que de redoutables parasites profitent de leur affaiblissement.

Des conséquences bien visibles en forêt
Les professionnels de la forêt s’attendent à une disparition pure et simple de l’épicéa dans le paysage bourguignon.

En forêt, le changement climatique a déjà des conséquences bien visibles dans la région. Les résineux, dont les espèces présentes en Bourgogne sont majoritairement d’origine montagnarde, paient un lourd tribut aux sécheresses et aux canicules successives. L’exemple le plus spectaculaire est celui de l’épicéa qui est actuellement décimé par un insecte xylophage dénommé scolyte. « Les scolytes sont des parasites de faiblesse. Ils s’attaquent aux arbres déjà affaiblis par la chaleur et la sécheresse », explique Romain Lachèze du Centre régional de la propriété forestière (CRPF). Le scolyte de l’épicéa est le plus virulent. Tous les épicéas du bas Morvan sont en train d’y passer, tout comme leurs congénères du Jura en dessous de 800 mètres d’altitude ainsi que dans tous les massifs de l’est de la France. Face à ce fléau, les propriétaires n’ont d’autre choix que de déclencher des coupes d’urgence car les arbres se mettent à dépérir en quelques mois. Ces coupes rases pour assainir peuvent atteindre jusqu’à près de cent hectares !

Épicéas décimés

Le bois scolyté doit être évacué au plus vite. Or face aux quantités de bois d’épicéas qui affluent d’un seul coup, les scieries ne savent plus que faire de ces stocks de bois scolytés secs, d’autant qu’ils ne peuvent être utilisés que pour de la palette ou des emballages, explique Romain Lachèze. Conséquence économique : le marché de l’épicéa s’est effondré. Sur un marché saturé, les propriétaires peinent à valoriser leurs épicéas décimés (à peine 10 € le m3 pour des bois secs scolytés contre 45 € pour des bois verts sains). C’est une grosse perte financière pour eux. Avec un hiver 2019-2020 très doux et un printemps à nouveau sec, un nouvel assaut du scolyte est à craindre sur épicéas. Les professionnels de la forêt s’attendent à une disparition pure et simple de l’espèce dans le paysage bourguignon.

Douglas frappés de dépérissement

Moins en danger que les épicéas, les sapins de Douglas sont frappés de dépérissement sporadique. C’est indiscutablement la sécheresse qui est à l’origine de ces pertes. Le douglas est sujet aux attaques d’un autre type de scolyte, moins virulent que celui de l’épicéa. Mais le parasite profite de l’affaiblissement des sapins privés d’eau pour les achever, explique Romain Lachèze. « Les propriétaires de forêts de douglas se posent beaucoup de questions », confie le technicien du CRPF. Les printemps secs font aussi échouer les plantations avec des pertes importantes de jeunes arbres. Sur les sols les plus séchants, l’intérêt d’investir dans un reboisement en douglas commence à être remis en cause. Pour s’adapter au changement climatique, les forestiers revoient les méthodes de plantation en s’orientant notamment vers des mélanges d’espèces (lire encadré).

Les chênes de Bresse souffrent aussi

Les effets délétères du changement climatique ne concernent pas que les résineux des massifs montagneux. Peu présent en Saône-et-Loire, le pin sylvestre est lui aussi frappé de dépérissement. Une maladie parasitaire est en cause mais, là encore, c’est la sécheresse qui rend l’arbre plus vulnérable au parasite, confie Romain Lachèze. Plus préoccupant pour le département, les forestiers s’inquiètent pour l’avenir du chêne pédonculé en Bresse. Même dans les sols profonds et humides de la région, l’arbre avait souffert de dépérissement en 2003. Le retour de sécheresses de plus en plus sévères fait craindre de nouvelles pertes dans les forêts bressannes, informe Romain Lachèze. Une perspective inquiétante pour les forêts feuillues qui s’ajoute à l’hécatombe qui frappe les frênes décimés par la chalarose. Cette maladie fongique importée d’Asie est en train d’avoir raison de la sylviculture de frêne.

Attaques de chenilles

Dernier fléau en date, des chenilles de papillon Bombyx disparate prolifèrent depuis le début du printemps. Favorisées par un hiver doux et un printemps sec, ces chenilles se nourrissent de feuilles de chênes. Au nord de la Bourgogne, plusieurs centaines d’hectares de feuillus seraient touchés, signale l’ONF. En Saône-et-Loire, l’impact est plus limité mais plusieurs dizaines d’hectares sont concernés dans le nord clunisois (Bonnay, Sailly). Si le phénomène se caractérise par des arbres complètement défoliés, il n’est pas catastrophique puisque le feuillage peut se reconstituer, confie Romain Lachèze. Mais les attaques de Bombyx et de tout autre parasite interviennent sur des peuplements forestiers déjà éprouvés par le changement climatique.

Succession d’années climatiques extrêmes

En 2018, des phénomènes de sécheresse et de canicule intenses ont sévi de fin juin à fin octobre plaçant l’année au premier rang depuis 60 ans pour l’intensité et la durée du stress hydrique et au deuxième rang des années les plus chaudes, avec un nombre de jours de chaleur, supérieur ou égal à 25 °C, deux fois plus important que la normale. Les effets sur la végétation forestière, déjà visibles dans le courant de l’été 2018, se sont renforcés. 2019 a été à nouveau exceptionnelle avec des records de chaleur atteints dès le mois de juin et une sécheresse précoce. 2020 vient d’offrir le deuxième printemps le plus chaud depuis 1900… Cette succession d’années climatiques extrêmes font que les arbres souffrent. « Il est désormais probable que les essences introduites hors de leur aire naturelle sur des stations non favorables disparaîtront à terme en plaine (épicéa et sapin pectiné notamment) », estiment les forestiers.

La sylviculture s’adapte au changement climatique
Chantier de regarnissage d’une plantation de douglas en éco-reboisement.

La sylviculture s’adapte au changement climatique

Encore bien adapté au contexte des massifs du Morvan et du Haut-Beaujolais, le douglas demeure une essence reine. Originaire d’Amérique du Nord, il présente plusieurs variétés dont certaines sont plus adaptées à la sécheresse, indique Romain Lachèze. Outre l’adaptation variétale, le CRPF encourage à diversifier les espèces à la place de la monoculture. Plusieurs essais sont en cours avec des plantations mélangeant cèdres, chênes rouge, pins, douglas, acacias…. « Il s’agit de ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier », confirme Richard Lachèze à la CFBL (coopérative forestière Bourgogne Limousin). Dans le sud Morvan, la coopérative implante des mélanges de cèdres et de douglas ; douglas, cèdres et pins sur les crêtes ; douglas et mélèzes sur les meilleurs terrains. Mais aussi des mélanges de feuillus et de résineux, révèle le représentant de la CFBL. Dans la Nièvre, 70 hectares d’épicéas détruits par les scolytes ont été remplacés par un mélange de onze espèces d’arbres. Les premiers signes de dépérissement avaient été observés au printemps 2018. La récolte en urgence est intervenue dès l’été 2018 générant 18.500 m3 de bois. Avant de replanter, la CFBL a conduit une étude cartographique ainsi qu’une étude pédologique. Pour la première fois, la coopérative a fait usage de son nouvel outil "orthophoto" pour une cartographie plus précise. La prise d’images (plus de 5.000 photos aériennes) a été réalisée au moyen d’un drone. Grâce à l’orthophoto dont la qualité d’image est impressionnante, les cartographes ont pu établir un inventaire très précis des terrains à reboiser et ajuster les peuplements. Parmi les onze essences retenues, le chêne sessile domine avec près de la moitié du peuplement. Il est accompagné de douglas, chêne rouge, sapin de Turquie, mélèze hybride, pin taeda, pin maritime, pin laricio, sapin de Nordman, érable Sycomore, aulne glutineux. Pour la plantation, la CFBL a mis en œuvre la technique dite de la micro-mécanisation plus respectueuse des sols. Elle a utilisé aussi des plants en godets moins vulnérables que les plants à racines nues. Tout cela s’inscrivant dans un itinéraire de préparation du sol localisé appelé "éco-reboisement" pour un taux de reprise optimum.

 

Le douglas, une essence à part sur le marché

L’effondrement du marché du bois blanc d’épicéas n’a pas d’effet sur le douglas dont le cours continue de se situer à 55-60 € le mètre cube. C’est même presque le contraire puisque des scieries utilisatrices d’épicéas pour la charpente se tournent vers le douglas indemne de scolytes. C’est le cas y compris de scieries allemandes habituées aux épicéas outre-Rhin. La demande pour le douglas est très forte en ce moment. Or cette essence est très localisée en Europe au niveau des massifs bourguignons, en Rhône-Alpes, dans le Limousin. Une situation porteuse pour cette essence à part dont la capacité à capter le carbone dépasse de loin celle d’un taillis de chêne.