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La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en France : le débat s’accélère

Depuis plusieurs années, le débat sur la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) refait surface dans un contexte climatique qui frappe de nombreuses cultures. L’agriculture nécessite des besoins en eau, alors que les nappes phréatiques s’assèchent, et que la question de la ressource devient criante. Irriguer des pieds de vigne, par exemple, devient une nécessité dans les zones les plus touchées par le stress hydrique. L’idée de récupérer et utiliser des eaux usées traitées plutôt que de les rejeter dans la nature revient au-devant de la scène.

La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en France : le débat s’accélère
La France réutilise seulement 0,6 % des eaux usées, contre 2,4 % en Europe du Nord selon l’Inrae, 14 % en Espagne et 8 % en Italie. ©Agence de l'eau Artois Picardie

Contexte réglementaire en France

Le retraitement et la réutilisation des eaux usées sont particulièrement encadrés en France. Mais un décret paru le 29 août 2023, pris dans le cadre du Plan eau, est venu apporter de la simplification dans la procédure d’autorisation des projets. Ce décret abroge celui de mars 2020 et supprime la durée maximale de cinq ans auparavant fixée pour l'autorisation délivrée par le préfet aux projets de réutilisation des eaux usées traitées.  « Notre ambition est de passer de 1 % de réutilisation des eaux non conventionnelles à 10 % d'ici à 2030. Nous souhaitons accélérer les procédures administratives et lever les verrous », avait indiqué Emmanuel Macron en mars dernier. « Il s’agit de développer davantage de projets, tout en maintenant une protection totale de la santé des populations », a soutenu un conseiller du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

Une solution controversée

Une étude de Gest’Eau, intitulée « Explore 2070 » et publiée en 2020, a mis en évidence une baisse significative des pluies estivales. Les nappes mettent davantage de temps à se recharger et la sécheresse des sols s’accroît. Ces trois dernières années ont été particulièrement éprouvantes pour les agriculteurs dans la gestion de l’eau. Pour valoriser tout ou partie de l’eau usée, il existe de nombreuses pratiques qui diffèrent selon l’utilisation prévue, mais son utilisation reste principalement à des fins non potables, notamment pour irrigation agricole. Elle permettrait la réduction de la pression sur la ressource naturelle (nappes phréatiques et cours d’eau), la valorisation d’eaux traitées, riches en nutriments organiques, et favoriserait l’économie circulaire. L’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) considère que si les eaux usées étaient valorisées partout dans le monde, l’utilisation d’engrais azotés pourrait diminuer de 30 %, celle d’engrais phosphatés de 15 %. Pourtant, le dispositif porte avec lui un lot de questionnements qui freine la mise en place de projets. Un dispositif de REUT représente un investissement économique important. D’autre part, le prix de l’eau usée traitée se situe entre 0,80 et 1 €/m3, tandis que les eaux brutes se situent entre 0,05 et 0,20 €, selon un rapport du CGAAER publié en mars 2022. Une différence de coût qui mène parfois à une mutation de l’agriculture : Israël est le leader mondial de la REUSE (équivalent international) avec une réutilisation des eaux usées à hauteur de 86 %. Mais l’agriculture a subi une mutation de cultures principalement vivrières à une culture de produits onéreux, destinés à l’export. Un modèle qui n’est pas souhaitable pour la France, engagée en faveur de la souveraineté alimentaire. Filtrées, désinfectées, décantées, oxydées, clarifiées, les techniques sont nombreuses pour libérer l’eau usée de ses contaminants ou polluants. La REUT est donc également coûteuse d’un point de vue environnemental : le traitement est fortement énergivore et nécessite l’utilisation d’additifs chimiques. Cet aspect contrebalance l’idée d’un système à vertu écologique. Autre frein à la REUT : la nécessité d’infrastructures, notamment de stockage de l’eau, ou de grandes stations d’épuration. Si certains soutiennent la REUT, ces derniers refuseraient potentiellement que l’on traite les eaux usées à proximité de leur habitation. L’objectif est donc de créer des solutions « fondées sur la nature » : des dispositifs à bonne intégration paysagère. Des projets qui restent cependant très conceptuels et ne suffisent donc pas à supprimer les craintes.

La REUT, vaste et complexe sujet, est en proie aux débats écologiques, économiques et sociaux depuis de nombreuses années. La France est en « retard » vis-à-vis de ses voisins, puisqu’elle réutilise seulement 0,6 % des eaux usées, contre 2,4 % en Europe du Nord selon l’Inrae, 14 % en Espagne et 8 % en Italie. Mais l’urgence climatique et les dispositifs réglementaires récemment mis à jour dans le cadre du « Plan Eau » pourraient bien accélérer la cadence.

Charlotte Bayon