La Maison du blé et du pain de Verdun sur le Doubs
Blé et pain, des denrées politiques ?

Clara Desmottes
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Le 25 novembre, le Groupe d’études historiques de Verdun-sur-le-Doubs  (GEHV) en partenariat avec l’Écomusée de la Maison du blé et du pain, invitait pour une conférence, Vincent Chambarhlac. Historien et professeur à l’université de Bourgogne, son discours était axé autour d’un « triptyque » allant bien au-delà de la ville de Verdun-sur-le-Doubs : sa coopérative, le blé et le pain.

Blé et pain, des denrées politiques ?
L'ancien directeur de la coopérative, fils du directeur fondateur, Michel Duvernois était présent pour débattre.

Le blé a toujours été une des bases alimentaires de la population. Sensible aux aléas des saisons, mais aussi des guerres et des conflits, cette céréale - "denrée" ou farine pour faire le pain - pouvait subir des pénuries. Les prix augmentaient alors, la famine arrivait et c’est toute une population qui se retrouvait démunie et en difficulté : sous-alimentation, maladies, mort… Les famines du Moyen-Âge sont décrites « sous le signe du complot de famine », rappelle Vincent Chambarlhac. Le complot serait très familier « au XVIIIe siècle » avec la politique notamment : lorsque « le pain manque, il y aurait nécessairement une conspiration pour affamer le peuple ». Car, il faut se replacer à l’époque. Ce sont les gouvernements qui se chargent de la distribution du blé, fixe son prix, encadre sa législation. Le blé dévie facilement comme un « objet politique ».

Il y a moins d’un siècle, la crise de 1929 remet à la page ces mêmes inquiétudes sur l’approvisionnement en blé. Les agriculteurs subissent ce choc financier et économique mondial puisque la chute des cours mondiaux les appauvrit. Les saisies dans le monde agricole se multiplient. Le mécontentement est national, comme régional. Pour preuve, quelques années plus tard, à Dijon, le 3 septembre 1932, une manifestation suit la projection d’un film documentaire sur le blé. Sur les pancartes, on lit "la spéculation lèse le producteur et le consommateur, au gouvernement de la supprimer", poursuit Vincent Chambarhlac. Le blé reste « un réel moteur de crise sociale ». Des solutions sont proposées par l’État mais ne suffisent pas à calmer la colère et le besoin des agriculteurs. La coopérative de Verdun a vu le jour dans ce contexte-là.

Une coopérative Verdunoise moderne

Dans les années 30, le peuple réclamait à l’État d’intervenir pour répondre aux crises viticoles et agricoles, notamment celle du blé. En parallèle, un homme politique local, Charles Borgeot, sénateur radical-socialiste souhaitait intervenir pour aider les agriculteurs de sa ville. C’est alors que le 21 avril 1930, une réunion à Verdun aboutit à la création d’une société coopérative, avec seulement 36 souscripteurs. C’est une première en France. En 1932, ils seront 2.500 à y souscrire. Avec la mutualisation des récoltes, la coopérative met à la vente un volume conséquent et accorde un bon prix de vente pour les adhérents.

Pour vendre au meilleur moment, la construction de la coopérative est symbolique avec ses silos coopératifs. Ces derniers ont été inaugurés le 28 août 1932. Financés par le Crédit Agricole et par le gouvernement qui « appuie et relaie largement la construction de ces premiers silos coopératifs », ils offrent à Verdun, une image moderne. Le conférencier note deux caractéristiques des silos qui font la modernité « rurale » de l’organisme : « Les silos sont les premiers de France, s’inspirent d’un modèle strasbourgeois et allemand (Hochfelden). Ils sont l’expression d’une modernité agroalimentaire capable de rivaliser avec l’industrie allemande. Ils sont aussi un exemple d’organisation de la profession agricole par la coopérative contre le modèle libéral (jugé spéculatif), comme les coopératives viticoles de la côte chalonnaise. On retrouve ici l’influence de Charles Borgeot sensible à l’instruction agricole (il représente le département à l’école d’agriculture de Fontaine) ». La coopérative, par son poids et son rayonnement, redéploie aussi les actualités et techniques agricoles et artisanales et transforme la campagne alentour. Verdun prend aussi sa place au niveau national : avec notamment la visite d’un ministre, et d’un Président deux Républiques plus tard.

Suivre le rythme mondial

Grâce à ses voies de communication - fluviales avec le Doubs et la Saône, ferroviaire et routier -, la Coopérative suit le rythme de la mondialisation. Le blé pouvant désormais arriver des quatre coins du monde par les nouveaux transports, Vincent Chambarhlac souligne cette concurrence : « Bien qu’invisible au quotidien, la Coopérative vit désormais aux pulsions du monde ». C’est aussi cette histoire et réalité que dépeignent la muséographie du Musée et non la seule « remémoration du temps d’avant le productivisme, comprise comme une sorte de nostalgie pour des temps révolus… ».
Le professeur clôtura son exposé en exprimant que nous basculions vers de nouvelles formes d’agriculture céréalière, « en raison des changements sociétaux, mais surtout avec le réchauffement climatique », rendant le Musée paradoxalement visionnaire du futur « au regard des enjeux contemporains ».
Le message est passé aux oreilles des auditeurs attentifs. Ce musée est bien plus que des animations familiales et scolaires autour de la création de pain, mais partage « son histoire politique et sociale ». Un temps d’échange a clôturé la conférence et la soirée a continué autour d’un verre de l’amitié.

Blé : la baguette de pain inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité

Blé : la baguette de pain inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité

Le 30 novembre, le gouvernement a annoncé l'inscription des « savoir-faire artisanaux et la culture de la baguette de pain » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco. Les ministres de la Culture et de l'Artisanat saluent cette annonce qui « contribue au rayonnement du savoir-vivre à la française ». Ils annoncent envisager des « mesures de sauvegarde », en lien avec le ministre de l'Agriculture, telles que « la mise en place d'actions de sensibilisation à l'importance des pratiques alimentaires faisant partie du quotidien et partagées par le plus grand nombre ». Apparue au début du XXe siècle à Paris, la baguette est aujourd'hui le premier pain consommé dans le pays. Tous les jours, 12 millions de consommateurs français poussent la porte d'une boulangerie et plus de six milliards de baguettes sortent des fournils chaque année. En constante évolution, la baguette « de tradition » est strictement encadrée par un décret de 1993, qui vise à protéger les artisans boulangers et leur impose en même temps des exigences très strictes, comme l'interdiction des additifs. Elle fait aussi l'objet de concours nationaux, lors desquels les baguettes présentées sont tranchées en longueur pour permettre au jury d'évaluer l'alvéolage et la couleur de la mie, « crème » dans l'idéal.

La baguette sur Google Arts & Culture

La baguette de pain et toute la filière céréalière dévoilent leurs secrets dans une nouvelle exposition interactive sur Google Arts & Culture. L’exposition initiée par la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, la Société nationale des meilleurs ouvriers de France et Intercéréales notamment s’attache à célébrer l’histoire du pain et de la filière céréalière au travers de 75 expositions virtuelles. Près de 2.000 images, des témoignages de professionnels de la filière ainsi que des contenus éducatifs à destination du grand public sont ainsi présentés. Cette exposition intervient alors que l’inscription de la baguette au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité est imminente. En France, elle est enregistrée à l’Office national de la propriété intellectuelle depuis 1902.