Fermoscopie 2022
Il faut savoir gérer « en bon père de famille »

Marc Labille
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Le 22 novembre dernier, la première session de Fermoscopie avait lieu à Charolles. Devant une salle pleine d’experts, d’éleveurs, responsables et lycéens, CER France 71 a dressé un état des lieux de la situation économique des élevages. Situation paradoxale avec certes des prix redevenus rémunérateurs mais des intrants en roue libre. La prudence est de mise.

Il faut savoir gérer « en bon père de famille »
Dans cette « conjoncture instable sur les charges », les experts de CER France 71 recommandent de raisonner les « charges à enjeux » : alimentation, engrais, carburants, travaux part tiers…

Pour les experts de CER France 71, l’année 2022, chaotique s’il en est, aura fait voler en éclats tous les repères. Hausse inédite des prix agricoles ; marchés bousculés par le conflit en Ukraine ; retour de l’inflation… Et un réchauffement climatique qui semble s’accélérer avec une sécheresse « pire que 1976 », qui a posé pour la première fois la question de la ressource en eau…

Décapitalisation à l’œuvre

En 2022, le monde de l’élevage a enfin pu retrouver des prix rémunérateurs. « Une embellie historique (+ 23 % en moyenne) », qualifie-t-on à CER France. Le prix des broutards a augmenté de + 30 % en 9 mois tandis que celui des vaches de réforme a pris + 20 % sur la même période avec des femelles « R » payées jusqu’à plus de 5 €/kg de viande, indiquait Nathalie Lebeau. Ces prix résultent d’une situation de marché nouvelle avec un manque de viande bovine lié au phénomène de décapitalisation. En 5 ans, on a perdu 11 % des femelles reproductrices. À cela s’ajoute le fait qu’une vache sur deux appartient à un éleveur de plus 50 ans et que le renouvellement des générations n’est pas assuré, rappelaient les intervenants.

Surveiller « les charges à enjeux »

Le « miracle » de l’envolée des prix agricole est gâché par une hausse des intrants encore plus forte : + 30 % sur les aliments ; + 50 % sur le carburant ; + 100 % sur les engrais ! Et la sécheresse a aggravé les choses en 2022 avec une hausse des charges généralisée. Les charges opérationnelles augmentent et augmenteront encore en 2023. Les charges de structure atteignent des niveaux « pas connus depuis dix ans ». Dans cette « conjoncture instable où l’on est en perte de repères sur les charges », les experts de CER France recommandent de « raisonner différemment » en « regardant les charges à enjeux ». Ce sont en effet les postes « engrais, carburants, alimentation, travaux part tiers » qu’il faudra faire évoluer, expliquait-on.

La rentabilité stagne toujours

Malgré un produit en forte augmentation, la rentabilité des élevages allaitants stagne. L’efficacité économique, mesurée par le ratio EBE/produit, ne s’améliore pas et se dégrade même un peu par rapport à 2021.

Heureusement, la progression de marge brute permet de rémunérer à nouveau le travail des éleveurs avec un revenu agricole supérieur au Smic par Utaf à 21.100 €. « C’est le résultat le plus élevé enregistré depuis dix ans ! », faisaient valoir les experts de CER France.

Le taux d’endettement des éleveurs allaitants est stable et les trésoreries aussi. Mais avec la hausse supplémentaire des intrants attendue, la situation risque d’être plus compliquée en 2023.

Prix de revient couvert mais…

Les prix de vente 2022 couvrent pratiquement le prix de revient du kilo de viande vive. Ce prix de revient s’élève à 3€20 pour une rémunération de 1,5 Smic. En 2023, une hausse de ce prix de revient est attendue. Ce qui incite malgré tout à la prudence, mettent en garde les experts de CER France 71. En effet, « la flambée du coût des matières premières risque d’anéantir tous les effets positifs de la progression du produit ».

Plus que jamais, les conseillers de gestion incitent les éleveurs à compter « combien ça coûte ». La technique reste ce qui fait le fondement du revenu, répètent-ils. L’autre conseil du jour est une gestion prudente « en bon père de famille ». Une stratégie terre à terre qui consiste déjà à « s’assurer en mettant de côté contre les coups durs ».

Enfin, les experts de CER France expliquaient que les perspectives de la future Pac se révèlent finalement plutôt rassurantes. En effet, malgré des modalités différentes (ABA remplacée par la prime à l’UGB, écorégimes…), les exploitations devraient conserver le même niveau d’aide. « C’est plutôt sécurisant », estimaient les intervenants qui évoquaient aussi la nouvelle assurance récolte.

 

Des éleveurs qui s’en sortent…

Des éleveurs qui s’en sortent…

« Face à un monde chaotique, il y a toujours des raisons d’être confiant ». C’est en ces mots que les animateurs de Fermoscopie ont introduit le témoignage vidéo de Jérôme Beauchamp, éleveur à Chambilly. Installé depuis six ans, le jeune éleveur exploite 220 hectares et élève un troupeau charolais de 140 vêlages ainsi qu’une troupe ovine de 160 agnelages. Dès son arrivée sur l’exploitation familiale, Jérôme a fait le choix de modifier le système jugé « trop dépendant de la pousse de l’herbe et des achats de concentrés ». Le jeune agriculteur s’est mis à labourer des terres pour rechercher plus d’autonomie fourragère, énergétique et protéique. Les leviers actionnés ont été les rotations longues, la fauche précoce, le pâturage tournant, la diversification des cultures… Betteraves fourragères, luzerne ont enrichi l’assolement. Le concentré est désormais réservé à la finition. Une période de vêlage plus adaptée permet de meilleures performances… « Jérôme a saturé son système. La recherche de l’autonomie alimentaire le rend moins dépendant des achats extérieurs. La diversification de l’assolement rend l’exploitation moins sensible aux aléas climatiques. Fauche précoce, pâturage tournant, luzerne… contribuent à constituer des stocks de fourrages de qualité. Enfin, la conduite du troupeau permet de produire des lots homogènes », commentait CER France.

Ce témoignage fait écho à ce que pratiquent les éleveurs qui obtiennent les meilleurs résultats économiques. L’autonomie alimentaire, la maîtrise des coûts de mécanisation, la valorisation des animaux sont autant de paramètres qui leur permettent d’afficher 5 à 6 % de rentabilité supplémentaires par rapport aux autres et + 11 à + 12.000 € de revenu en plus, révélait-on.