MSA
Interview croisée de Pascal Cormery président de la CCMSA et de François-Emmanuel Blanc, directeur général de la CCMSA : « La MSA est un outil stratégique au service de l’agriculture et de la ruralité »

Réforme des retraites, convention d’objectifs et de gestion, 5e risque, etc., de nombreux chantiers attendent la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) au cours de l’année 2021. Le président de la CCMSA, Pascal Cormery, et son directeur général, François-Emmanuel Blanc, font un point sur les dossiers en cours et à venir. 

Interview croisée de Pascal Cormery président de la CCMSA et de François-Emmanuel Blanc, directeur général de la CCMSA : « La MSA est un outil stratégique au service de l’agriculture et de la ruralité »

Pascal Cormery, vous avez été réélu à la tête de la MSA. Quels sont les objectifs que vous vous fixez pour votre prochain mandat ?

P.C. : Concernant nos objectifs, il nous faut d’abord aboutir à la signature de la COG (convention d'objectifs et de gestion avec le gouvernement, NDLR) qui est, à ce jour, prévue fin mars. Il reste encore des négociations à mener, des ajustements à trouver avec nos administrations de tutelle. Ensuite, la MSA entend s’ancrer plus encore dans un monde rural qui est aujourd’hui orphelin des services publics et défendre les acteurs agricoles et ruraux tels que la loi le définit. Nous avons une mission de solidarité au plus profond des campagnes et nous entendons l’exercer pleinement. Pour ce faire, nous entendons conserver nos moyens humains et financiers pour remplir ces objectifs et ces missions, tant au profit des plus jeunes que des plus anciens. 

F-E.B : Comme le président Cormery, j’estime que la MSA est un outil stratégique au service de l’agriculture et de la ruralité. Nous l’avons vu lors du premier confinement avec les craintes d’une pénurie alimentaire. Nos compatriotes ont tout à coup pris conscience que sans l’agriculture, sans les exploitants, leurs salariés, ceux des entreprises agroalimentaires, sans les supports logistiques, etc., la chaîne alimentaire pouvait s’enrayer. Protéger ces populations comme nous l’avons fait pendant le confinement en délivrant des fiches contacts spéciales Covid-19 (reprises par les autres organisations souvent), en informant tous nos ressortissants, a permis de préserver les intérêts vitaux de notre pays.

Vous allez devoir mettre en place la réforme des retraites agricoles au 1er janvier 2022. Quels sont les chantiers de la MSA en ce domaine ? Que vous reste-t-il à faire ?

P.C. : La discussion sur ce dossier a évolué avec le débat parlementaire. Le minimum de pension d’un chef d’exploitation à carrière complète devrait être revalorisé à hauteur de 85 % du Smic par mois au plus tard en 2022. Il restait à examiner le cas des polypensionnés car certains agriculteurs ont pu exercer, à un certain moment de leur vie, un autre métier. Il fallait donc une nécessaire coordination avec les autres régimes de retraite afin que cette réforme puisse être équitable. S’il ne s’était agi que de revaloriser les seules retraites des agriculteurs qui ont exercé toute leur vie ce métier à 100 %, la réforme aurait pu être prête pour le 1er janvier 2021.

F-E.B : Le gouvernement a indiqué que ce serait au plus tard le 1er janvier 2022. Nous serons prêts, et si le gouvernement décidait au vu des données techniques que la date puisse être anticipée, nous serons prêts également.  

La société demande toujours plus à la société agricole et agroalimentaire sans que cette dernière y retrouve de la reconnaissance sociale et financière. Comment expliquez-vous ce décalage et la MSA peut-elle agir ?

F-E.B : Notre qualité de guichet unique pour les volets maladie, maternité, accident du travail, arrêt de travail, invalidité, décès et retraite, nous donne une vision globale du monde agricole et rural ainsi qu’une légitimité. Cette protection sociale dédiée permet de construire une identité sociale forte, ce qui constitue déjà une marque de reconnaissance. En consolidant la MSA et ses moyens, on renforce cette identité. Mais ce n’est aujourd’hui pas suffisant pour les territoires ruraux qui constituent une partie de cet archipel français souvent décrit. Il faut aller plus loin et nous donner les moyens d’être plus présent physiquement dans les territoires, en particulier en tant qu’opérateur des Espaces France Services. Il en est de même en nous permettant de mieux accompagner la transition agroécologique.

P.C. : Je poursuis l’analyse de François-Emmanuel Blanc en précisant qu’il n’est plus possible aujourd’hui de produire mieux et plus à des prix toujours moins chers, surtout quand, en amont, dans l’exploitation, vous faites face à des hausses du prix des carburants, des intrants, de l’énergie, de l’alimentation du bétail, etc. La pression des grandes enseignes est, sur ce point, très inquiétante et j’ose dire lamentable. L’État doit intervenir et moraliser les relations tout le long de la chaîne. Il doit surtout appliquer pleinement la loi ÉGAlim. Il en va de notre souveraineté et donc de notre indépendance alimentaire. Quand je me suis installé en 1990, nous étions “exportateur net” car nous couvrions 105 % de notre consommation. Maintenant, nous ne sommes plus qu’à 80 %. Voilà de quoi réfléchir. 

Avec un nombre de cotisants qui devrait aller en s’amenuisant, comment allez-vous faire pour financer la dépendance qu’on appelle le “5e risque” ?  

F-E.B : La MSA fonctionne sur le principe de la solidarité financière avec l’ensemble des autres régimes de protection sociale. Concrètement, cela veut dire que son financement est mutualisé sur l’ensemble de la population française. Idéalement, ce sera le même principe pour le 5e risque.

P.C. : Nous n’avons pas attendu la mise en place du risque dépendance pour agir et prévenir ce risque, en développant un réseau d’offres dans les territoires. Depuis plus de 30 ans, nous travaillons avec le groupe Présence verte qui propose des solutions innovantes de télé-assistance aux particuliers, notamment un dispositif pour veiller sur les personnes âgées et préserver leur autonomie. Nous avons aussi développé les Maisons d'accueil et de résidence pour l'autonomie (Marpa). Elles permettent aux personnes âgées de vivre dans leur bassin de vie, dans des logements adaptés et de bénéficier de services d’accompagnement dédiés tout en continuant à participer à la vie locale. Notre réseau est fort de 200 maisons réparties sur 70 départements. La MSA a aussi initié, en 2011, le dispositif “Bulle d’air” qui permet aux aidants qui s’occupent de personnes dépendantes, de souffler un peu. Aujourd’hui, la France compte 10 millions de personnes qui aident, à titre non professionnel, une personne âgée de leur entourage, dépendante ou handicapée, dans les activités de la vie quotidienne. En 2019, nous avons signé une charte avec l’Alliance professionnelle retraite pour renforcer son développement sur tout le territoire. En résumé, nous sommes plus que prêts pour le 5e risque.

Suicides et mal-être

Le député Olivier Damaisin vient de rendre son rapport sur le suicide en agriculture. Ce rapport vient-il conforter les actions que vous avez mises en place ?  

Pascal Cormery : Ce rapport parlementaire vient entériner l’important travail que la MSA a réalisé en amont, par la création de cellules pluridisciplinaires de prévention (CPP) dont la mission est de détecter les signes d’alerte le plus tôt possible. Les CPP, présentes sur l’ensemble des caisses de MSA, travaillent avec l’appui de psychologues en libéral afin de mieux prendre en compte la situation de l’agriculteur. Elles forment son personnel d’accueil mais aussi les agents proches des agriculteurs (centre de gestion, techniciens, chambre, etc.) à détecter les signaux faibles pour mettre en œuvre immédiatement un accompagnement adapté. Les CPP ont accompagné, depuis 2012, date de leur mise en place, plus de 6.000 situations d’agriculteurs en fragilité. Par ailleurs, je précise que notre fonction d’organisme collecteur de cotisations sociales nous oblige à redoubler de vigilance à l’égard de nos affiliés. Contrairement à une idée reçue et tenace, nous n’envoyons pas les huissiers de justice réclamer des cotisations en retard dès les premières difficultés de paiements. 

François-Emmanuel Blanc : Le rapport Damaisin conforte l’action de la MSA sur ce sujet délicat. Ses recommandations vont permettre d’améliorer les dispositifs existants en lien avec le ministère de l’Agriculture et tous les autres partenaires identifiés (syndicats agricoles, chambres d’agriculture, etc.). Je rappelle que depuis 2011 la MSA a engagé un vaste plan national d’actions pour prévenir le mal-être et le suicide en agriculture. C’est d’ailleurs un plan unique puisque aucune autre profession ne dispose d’un tel dispositif d’écoute. Le numéro d’appel Agri’écoute (09.69.39.29.19) permet de dialoguer anonymement avec des écoutants formés aux situations de souffrance et de détresse. 

L’action 26 du rapport Damaisin recommande d’inscrire les missions de prévention du mal-être et du suicide dans la nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG) de la MSA ? Quelle est votre réaction ? En quoi cette recommandation pourrait être utile ?  

F-E.B : Cette « action 26 » qui figurera dans la COG n’a d’autre utilité que d’inscrire plus clairement nos différents dispositifs. Sur le fond, elle ne change en rien les actions que nous menons et que nous avons prévu de renforcer dans les prochains mois. D’ailleurs, c’est sur la base de notre projet stratégique MSA 2025 que nous avons rédigé la future COG qui a été transmise, pendant l’été, à nos ministres de tutelle que sont le ministère de l’Agriculture, le secrétariat d'État au Budget et le ministère des Affaires sociales et de la Santé. La crise sanitaire a repoussé la signature de la COG au début du printemps 2021.